Cet article date de plus de sept ans.

A l'Ariane, un quartier populaire de Nice : "On a l’impression que c’est nous les coupables"

Peur de l’amalgame et deuil. Les habitants du quartier populaire de l’Ariane, à l’est de Nice, ressentent une double peine après l’attentat du 14-Juillet.

Article rédigé par franceinfo - Juliette Duclos
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Les habitants du quartier populaire de l’Ariane, à l’est de Nice, ressentent une double peine après l’attentat du 14-Juillet. (JULIETTE DUCLOS / FRANCETV INFO)

"Et quoi, pourquoi vous venez ici ? On a rien à voir avec ce mec nous ! Barrez-vous !" Un duo de journalistes pour une télévision suisse est pris à partie par un groupe de jeunes, alors qu’ils réalisaient une interview. Adossé contre un mur, à l’ombre, Kacem regarde la scène du coin de l’œil sur le trottoir d’en face. Bob vissé sur la tête, ce jeune franco-tunisien soupire. "Quand il y a tous les médias qui débarquent comme en ce moment, on a l’impression que c’est nous les coupables, comme pour Charlie Hebdo." Le jeune homme a perdu un proche pendant l’attentat qui a causé la mort de 84 personnes le 14 juillet.

Un terreau fertile

Et pour Kacem, l’omniprésence de la presse dans son quartier représente une double peine. "Je suis sous le choc. On est tous sous le choc. On a pas besoin en plus de se faire stigmatiser." Et Kacem enchaîne très vite. "Ce mec-là, il comprenait rien à l’Islam, c’était pas un vrai muslim", explique-t-il. Une mère de famille, qui passait dans la rue avec sa poussette, l’interrompt brutalement et demande : "Mais pourquoi vous venez toujours nous voir lorsqu’il y a des attentats ? Vous imaginez ce que ça représente pour nos enfants ?" Au quartier de l’Ariane, les médias ne sont pas vraiment les bienvenues. Ici, tout le monde craint le risque de stigmatisation.

Coincé entre l’autoroute et un centre d’incinération, à l’est de la capitale azuréenne, l’Ariane traîne une image sulfureuse. Classé ZUS (zone urbaine sensible), un taux de chômage nettement supérieur à la moyenne de la ville, ce quartier populaire de 12 000 habitants est régulièrement qualifié de terreau fertile pour le jihad. Car l’Ariane a vu grandir et se radicaliser Omar Diaby – devenu Omar Omsen – un ancien rouage essentiel du recrutement d’Al-Nosra, une branche officielle d'Al-Qaïda en Syrie. Et en quelques années, le franco-sénégalais aurait enrôlé près de 80 jeunes, dont la plupart de ses recrues seraient originaires des quartiers populaires de Saint-Roch et de l'Ariane. 

Alors forcément, au milieu des tours grises, malgré le deuil et la douleur, l’attentat ravive de vieux stigmates chez les habitants du quartier de confession musulmane. Et la peur de l’amalgame est omniprésente.

"Des vendus, des apostats"

Devant la mosquée Ar-Rahma (la Miséricorde), la majorité est vêtue de blanc. Couleur de deuil chez les musulmans. Aujourd’hui, une cérémonie est organisée pour Fatima Charrihi, première victime de Mohammed Louhabel, filmée par quelques caméras. Mais le temps des obsèques prend un tournant politique. Amar Lasfar, le président de l’Uoif, l’Union des organisations islamiques de France prend la parole devant un parterre composé d’officiels, de responsables religieux, de journalistes et de fidèles, et rend tout d’abord hommage aux défunts. Et rappelle dans son discours "que les citoyens de confessions musulmanes ont les mêmes peurs, les mêmes craintes que les autres citoyens, car pour les terroristes, ils sont des vendus, des apostats." 

Des paroles qui résonnent particulièrement. La fille de Fatima Charrihi, Hanane, a ainsi été prise a partie par un homme sur la promenade des Anglais, lors de son retour à Nice pour se recueillir sur le corps de sa mère.

Je n’ai pas pu m’empêcher de lui dire que nous étions en deuil, que notre mère faisait partie des victimes. Il nous a rétorqué: "Tant mieux, ça fait un en moins."

Fatima Charrihi

L'Obs

Et parmi les habitants de l’Ariane, de nombreuses personnes témoignent de remarques similaires. "On entend : 'rentrez-chez vous, rentrez-chez vous !' Qu’est ce que vous voulez qu’on réponde…", sourit d’un air désabusé Achraf, un adolescent à l'allure dégingandée. Mais à la fin de la prière, néanmoins, la question de la radicalisation revient forcément dans la discussion avec les journalistes… Malgré les réticences de certaines personnes présentes. 

L'extrême droite très présente

Autour d’un repas organisé après la cérémonie, Yasser, un ancien professeur de SVT de 40 ans, confie son inquiétude pour l’avenir. "Il y avait déjà un fort racisme sous-jacent à Nice, mais avec les évènements, la parole se libère complètement." Ils sont nombreux à l'Ariane à craindre une division entre "Nissa" et ses quartiers. Faeuzi, chauffeur routier de 55 ans, s'emporte. "Ils attendaient que ça, mais ils vont faire quoi ? Séparer les Mohammed des François ? Nice, c'est ma ville." Le risque pour lui : "l’extrême-droite, très présente, qui risque de se renforcer". 

De fait, la cité azuréenne se distingue par une forte présence de groupuscules identitaires, depuis des années. Ici, l'ancien leader de Nissa Rebela, l'antenne niçoise du Bloc identitaire, Philippe Vardon, est conseiller régional du FN. Et depuis le 14 juillet, ce dernier revendique une hausse des adhésions à Nice. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.