Bloc identitaire, soupe au cochon et chant néo-nazi : Philippe Vardon, le "gros bras" du FN aux portes du conseil régional de Paca
Cinquième sur la liste de Marion Maréchal-Le Pen dans les Alpes-Maritimes, cette figure de l'extrême droite niçoise devrait décrocher, dimanche, son premier mandat électoral.
"Ça va Philippe ?" A peine arrivé dans l'Espace centre, un petit cinéma de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), Philippe Vardon claque des bises à tout le monde, du premier au dernier rang de la salle. En cette soirée du mardi 8 décembre, le Front national y tient une réunion de campagne pour les élections régionales. A la tribune, la tête de liste dans le département, l'ex-UMP Olivier Bettati, mobilise les troupes, micro en main. Dans la salle, son colistier fait de même. La répartition des rôles est bien huilée. A Olivier Bettati les beaux discours. A Philippe Vardon la logistique, et les piles de tracts à descendre du camion pour soutenir Marion Maréchal-Le Pen, leur candidate à la présidence de la région Paca contre Christian Estrosi (Les Républicains).
Veste en tweed marron, chemise blanche, Philippe Vardon est aux anges, malgré la fatigue de la campagne et une présence inopportune, celle d'un journaliste venu lui tirer le portrait. "Je suis très content d'être dans cette campagne", glisse-t-il. Après avoir longtemps frappé à la porte du Front national, ce grand gaillard – 1,82 m pour 125 kg – est arrivé à ses fins. Cinquième sur la liste frontiste dans le département, cette figure de l'extrême droite niçoise va, dimanche 13 décembre, entrer au conseil régional, quel que soit le résultat. Son premier mandat électoral, à 35 ans.
Une longue marche vers le FN
Le chemin n'a pas été de tout repos. Membre d'Unité radicale, organisation politique dissoute après l'attentat manqué contre Jacques Chirac le 14 juillet 2002, puis cofondateur du Bloc identitaire, Philippe Vardon commence sa carrière politique à la droite du FN, avant de faire des pieds et des mains pour y être accepté. En 2012, il soutient la candidature de Marine Le Pen à la présidentielle, puis réclame son soutien aux législatives. En 2013, il parvient à adhérer au Rassemblement bleu Marine (RBM), le parti satellite du FN, mais Gilbert Collard dénonce "un bug", et lui rembourse sa cotisation.
En 2014, il tente d'intégrer la liste FN aux municipales. En vain. Le patron de Nissa Rebela, l'antenne niçoise du Bloc, condamné en 2008 à quatre mois de prison avec sursis pour "reconstitution de ligue dissoute", est jugé trop sulfureux par les colistiers d'un parti en pleine dédiabolisation. C'est finalement sous ses propres couleurs qu'il se lance dans la campagne municipale. Il réunit 4,43% des suffrages, sur le slogan "Immigration-Islamisation-Insécurité : basta !". A l'époque, Olivier Bettati, alors candidat dissident de l'UMP, qualifie son éventuelle entrée au conseil municipal de "catastrophe majeure" pour la ville de Nice.
"Il a beaucoup évolué", assure Marion Maréchal-Le Pen
Aujourd'hui, personne ne remet plus en cause sa présence et celle de trois autres membres de la mouvance identitaire sur la liste. "Cela ne me pose aucun problème, confie Emile, 67 ans, un retraité de Saint-Laurent-du-Var venu au meeting. On fait des procès au FN alors que Gérard Longuet et les autres étaient bien à Occident [un groupe d'extrême droite] avant d'aller à l'UMP." Olivier Bettati lui-même confie désormais son "plaisir à travailler" avec ce "chef d'entreprise, papa de deux petites filles, diplômé de sciences politiques" qui gagne à être connu. "Ce que font les Républicains, avec des gens de l'UDI, de l'ex-UMP, du Parti radical, cela fonctionne aussi chez nous", estime-t-il.
L'intéressé, qui n'est pas encore encarté au FN, assume sa trajectoire.
Chacun a son parcours, chacun fait ses choix. Aujourd’hui, c’est là que je me sens le plus utile.
Aucune figure nationale du parti n'a critiqué l'arrivée de ce militant chevronné, bon communicant, sur une liste en manque de cadres. Marion Maréchal-Le Pen l'a adoubé en juillet, alors que la rumeur de sa candidature bruissait. "Il a beaucoup évolué", justifie la tête de liste en région Paca sur BFMTV.
Remigration et grand remplacement
A-t-il vraiment changé ? Interrogé par Libération en juillet sur ce "rassemblement brun Marion", Philippe Vardon ne concède qu'un changement de position sur la construction européenne, qu'il qualifiait, au début des années 2000, de "nécessité politique". Il ne parle plus, non plus, de l'"Europe des régions", mais se dit "enraciné". Juste ce qu'il faut pour se faire bien voir dans un parti eurosceptique et attaché à l'Etat nation.
Pour le reste, s'il a rompu avec les provocations militantes du Bloc identitaire – distribution de soupe de porc aux SDF, apéros saucisson-vin rouge, occupations de mosquées –, rien ne dit qu'il a abandonné ses convictions racistes et xénophobes, sur le supposé "grand remplacement" et la "remigration", soit le retour dans leurs pays d’origine des immigrés.
"C'est un type intelligent. Il ne m'a jamais dit : 'Je veux brûler tous les Arabes', même s’il le pense sans doute très fort", résume crûment Gaël Nofri, candidat Debout la France aux régionales en Paca, qui a rencontré Philippe Vardon lorsqu'il était au RBM. "Cela fait partie de son habileté, ce n'est pas le gros facho que l'on peut imaginer", abonde Laurent Bouvet, professeur de sciences politiques à l'université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Celui qui fut son professeur dans les années 2000 à Nice garde le souvenir d'un "bon étudiant", "avec une culture politique et des qualités de communication".
Une "autorité morale" pour les identitaires niçois
Officiellement, Philippe Vardon n'est plus membre du Bloc identitaire ou de Nissa Rebela. Mais les liens sont bien réels. Pour le constater, il suffit de frapper à la porte du petit local du groupe "Lou Bastioun", où Philippe Vardon s'affichait encore en mars, et qui est situé juste en face du service des élections de la ville de Nice. "Je vais faire remonter votre demande", glisse le sympathisant préposé au courrier, lorsqu'on lui demande à parler avec des dirigeants du mouvement.
Trois heures plus tard, à Cagnes-sur-Mer, Philippe Vardon nous lance : "Vous vous êtes baladé en ville pour me chercher ? Qu'est-ce que vous vouliez ?" Il assume d'ailleurs sans problème ses relations avec cette mouvance où milite toujours son frère, Benoît Vardon.
Je reste une autorité morale pour un certain nombre de militants identitaires.
"La prochaine fois que je te croise..."
A écouter ses adversaires politiques, il a également conservé de ses années identitaires quelques violentes habitudes. Militant FN, Romain Cardelli est passé chez les Républicains en juillet, en dénonçant dans Nice Matin l'arrivée imminente de Philippe Vardon. "La première fois que je l'ai rencontré, c'était avant les municipales de 2014. On a pris un café et il m'a dit : 'Si vous ne m'intégrez pas sur la liste, je viendrai vous casser la gueule'", se souvient le jeune militant de 24 ans, interrogé par francetv info. Philippe Vardon ne mettra pas sa menace à exécution, mais distribuera, à l'annonce de la liste, quelques gifles devant le local de campagne.
Quelques mois plus tard, en septembre 2014, nouvel incident. Sur Twitter, Romain Cardelli dénonce la "récupération de l'assassinat d'Hervé Gourdel" par les identitaires. "Au conseil municipal suivant, alors que nous étions dans le public, il m'a dit : 'La prochaine fois que je te croise dans la rue, je t'encule', raconte ce soutien de Christian Estrosi. Maintenant, il se fait discret, il a compris qu'à la moindre incartade, il met en danger la liste."
"L'imam Estrosi"
L'homme sait que ses adversaires n'attendent que cela. Mardi 8 décembre, à Marseille (Bouches-du-Rhône), Christian Estrosi brandit une image qui le montre en train d'entonner un chant néo-nazi du groupe Evil Skins, en 1998. "Cela fait trois mois que je demande l'exclusion de Philippe Vardon", rappelle le maire de Nice. Le lendemain, lors d'un débat sur France 3 face à Marion Maréchal-Le Pen, Estrosi remet ça : "Lorsque je vois le CV de ceux qui vous accompagnent, on n'aurait pas fait la guerre du tout, on vous aurait retrouvé à Vichy", lance-t-il, une photo du concert à la main. L'intéressé a beau annoncer un dépôt de plainte sur Twitter, il avait reconnu les faits dans une interview à Mediapart cet été, estimant n'avoir "rien à se reprocher". Après la publication de cet article, son avocat nous a appelé pour indiquer que son client était mineur au moment des faits, que l'homme pointé par Estrosi sur la photo n'est pas lui et qu'il conteste le caractère "néo-nazi" des paroles.
Le FN s'en moque. Le leader identitaire est une arme appréciée contre l'adversaire. En 2013, il a fait condamner celui qu'il surnomme "l'imam Estrosi" pour une subvention, accordée à une salle de prière musulmane, jugée contraire à la laïcité. En septembre, ce dernier l'a fait expulser manu militari pour outrage en plein conseil municipal. "En 2014, il a fait 5 000 voix, rappelle, pragmatique, Olivier Bettati. Le courant qui est le sien pèse deux fois plus que l'UDI", l'allié centriste des Républicains. Dans une région où le résultat s'annonce serré entre le FN et la droite, il serait dommage de s'en priver.
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