Manifestation contre la "méga-bassine" de Sainte-Soline : quatre questions qui se posent autour de l'intervention des secours
La polémique autour de l'intervention des secours lors d'un rassemblement contre la "méga-bassine" de Saint-Soline ne retombe pas. Les familles des deux blessés graves plongés dans le coma ont porté plainte pour "tentative de meurtre" et "entrave au secours", mercredi 29 mars. La veille, un enregistrement de la Ligue des droits de l'homme révélait que les secours n'avaient pas été autorisés à intervenir rapidement auprès des blessés samedi.
Le parquet de Rennes, chargé de l'enquête de l'IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale) sur ces deux cas graves, devra faire la lumière sur "les conditions d'évacuation et de prise en charge médicale", comme il l'a expliqué à franceinfo. Voici les questions qui se posent autour de l'arrivée des pompiers et du Samu sur place, jugée trop tardive par les organisateurs.
Qui assurait le commandement sur place ?
C'est l'une des questions auxquelles le parquet de Rennes va devoir répondre : "Quelles ont été les modalités précises de mise en œuvre des opérations de maintien de l'ordre ?" Dans un enregistrement téléphonique de la Ligue des droits de l'homme (LDH) consulté par franceinfo, un opérateur du Samu dit avoir reçu "l'ordre de ne pas envoyer (…) d'hélicoptère ou de moyen Smur sur place", alors que plusieurs blessés étaient signalés, dont "au moins un blessé dont le pronostic vital [était] engagé", selon Le Monde. Questionné par un médecin généraliste et trois avocats de la LDH, l'opérateur du Samu assure : "Non, c'est pas la préfecture qui interdit l'accès, je vous dis que c'est le commandement sur place."
Dans les opérations de maintien de l'ordre, plusieurs acteurs ont des "responsabilités" et "des obligations précises", définies dans le Schéma national national du maintien de l'ordre (SNMO). A savoir, l'autorité préfectorale, ici la préfecture des Deux-Sèvres, qui peut être "présente sur le terrain" "sur les opérations les plus complexes et les plus sensibles", et le Directeur du service d'ordre (DSO), "généralement le chef territorial de la police ou de la gendarmerie". A Sainte-Soline, c'est la gendarmerie qui était en charge des opérations. Assisté d'un "chef de secteur opérationnel" (CSO), le DSO peut, "à tout moment modifier, suspendre ou annuler ses instructions en fonction de l'évolution de la situation". En clair, le schéma tactique n'est pas gravé dans le marbre dès le début des opérations.
Selon le ministère de l'Intérieur, contacté par franceinfo, la chaîne hiérarchique est claire : "Il y a un centre de commandement, à la tête duquel est l'autorité administrative, à savoir la préfecture." Le service communication de la gendarmerie (Sirpa), lui, n'a pas souhaité s'exprimer sur la chaîne de commandement ce jour-là. De son côté, la préfète Emmanuelle Dubée a renvoyé la balle aux forces de l'ordre. Dans un "contexte hostile, il appartient aux forces de l'ordre de définir si l'arrivée d'un véhicule de secours à un certain point est possible ou non", a-t-elle déclaré.
Les forces de l'ordre ont-elles entravé l'arrivée des secours ?
La Ligue des droits de l'homme et les familles des blessés accusent les forces de l'ordre d'avoir retardé l'intervention des secours et la prise en charge des plus cas les plus graves. Dans l'enregistrement de la LDH, un pompier déclare au médecin généraliste : "Je viens d'avoir le Samu sur place qui me dit 'on n'envoie personne sur place, le point de regroupement des victimes est à l'église de Sainte-Soline, une fois qu'ils seront là-bas, l'engagement des moyens sera décidé'."
Selon Farnam Faranpour, chef du pôle urgences de l'hôpital de Niort interrogé par France 3 Nouvelle-Aquitaine, "il n'y a pas eu de barrage de gendarmerie pour empêcher les secours d'accéder". Il reconnaît en revanche des difficultés pour rejoindre les blessés les plus graves, notamment les deux hommes qui sont aujourd'hui entre la vie et la mort. "Il y a eu un premier appel aux pompiers qui sont partis, mais la géolocalisation n'a pas permis de trouver le lieu. Donc, nous avons attendu d'autres appels pour préciser le lieu et nous avons finalement envoyé le Smur de Ruffec qui était le plus proche des lieux", explique cet urgentiste. Quand l'équipe est arrivée, elle a été arrêtée par des manifestants blessés qui avaient besoin de soins, précise France 3.
"Notre intérêt n'est pas qu'il y ait des blessés, souligne-t-on au ministère de l'Intérieur. Ce serait laisser sous-entendre que des fonctionnaires d'Etat sont intrinsèquement malveillants."
Les médecins militaires ne sont-ils intervenus que pour les gendarmes blessés ?
L'entourage de Gérald Darmanin affirme que "les personnes les plus radicales n'ont pas hésité à s'en prendre à un médecin du GIGN, qui s'est fait agresser". Intervenait-il seulement pour les blessés du côté des forces de l'ordre ? "Sa fonction première, ce sont les gendarmes, mais il peut intervenir pour les autres", répond-on place Beauvau.
Emmanuelle Dubée confirme l'intervention d'un médecin de la gendarmerie "qui a notamment porté secours à un participant blessé en urgence absolue". "Il a été la cible de projectiles à son départ alors qu'il a prodigué les premiers secours, détaille la préfète. Si la transcription de l'article [du Monde] laisse entendre que les médecins militaires ne sont pas intervenus au profit des participants au rassemblement, force est de constater que cette affirmation est fausse."
La situation a-t-elle été calme pendant au moins "trente minutes" ?
Toujours dans l'enregistrement, le médecin cite les observateurs de la Ligue des droits de l'homme présents sur place et selon lesquels la situation est "calme depuis trente minutes" et donc "qu'il est possible d'intervenir". "Je suis d'accord avec vous, vous n'êtes pas le premier à nous le dire, le problème c'est que c'est à l'appréciation des forces de l'ordre", répond l'opérateur du Samu.
"Ça n'a jamais été complètement calme, oppose le ministère de l'Intérieur. Les groupes les plus radicaux étaient toujours là." Sans s'avancer, la préfète estime de son côté qu'il n'est "pas surprenant que, si ces conditions de sécurité n'étaient pas réunies, les forces de l'ordre aient pu, pour certaines géolocalisations et dans certaines périodes de temps, indiquer qu'un envoi d'ambulance n'était pas possible dans l'immédiat."
Patrick Baudouin, président de la LDH, soutient sur franceinfo que "ce qui résulte des enregistrements et de la situation réelle sur le terrain, c'est qu'il s'agissait d'une zone qui était complètement sûre depuis un certain temps, parfaitement accessible, sans aucun risque pour les services de secours et aucune difficulté d'accès." "Nous avons les éléments qui tendent à prouver qu'il y a eu non-assistance à personne en danger", ajoute-t-il. La magistrate Evelyne Sire-Marin, membre du bureau de la LDH, espère quant à elle que l'enquête fera la lumière sur ce point.
De son côté, le Samu du département est resté prudent sur ses conditions d'intervention tout au long de l'opération. "Sachez quand même qu'envoyer une ambulance en zone d'affrontements (appelée zone d'exclusion) avec de l'oxygène n'est pas recommandé avec le risque d'explosion", a-t-il fait valoir sur Twitter.
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