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ENQUÊTE FRANCETV INFO. Enfant séquestré à Mulhouse : un drame familial aux nombreuses zones d'ombre

Article rédigé par Catherine Fournier - , envoyée spéciale à Mulhouse
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
C'est dans cet immeuble à Mulhouse (Haut-Rhin) qu'un enfant de 8 ans vivait reclus. Son père a été mis en examen le 11 octobre 2015 pour "enlèvement et séquestration". (SEBASTIEN BOZON / AFP)

Comment cet enfant de 8 ans a-t-il vécu pendant trois ans à l'abri de tous les regards ? Francetv info est revenu sur les lieux de l'affaire. 

Située près de la gare, la rue Kléber, à Mulhouse (Haut-Rhin), est bordée de jolies bâtisses, d'un parc verdoyant, d'une école et d'un centre de loisirs. La vue de tant de distractions serre le cœur à mesure que l'on s'approche du numéro 14, un immeuble où un petit garçon de 8 ans passait ses journées seul, devant la télévision. Son père, Samir H., a été arrêté et placé en garde à vue, vendredi 9 octobre. Présenté à un juge d'instruction dans la foulée, ce Tunisien de 37 ans a été mis en examen pour "enlèvement, séquestration et soustraction à ses obligations parentales". Il a été placé en détention provisoire.

En 24 heures, ce drame familial, noué il y a trois ans dans le sud de la France, a basculé dans la sphère médiatique pour devenir "'l'affaire de l'enfant séquestré à Mulhouse". De quoi réveiller les vieux démons d'une société hantée par ses enfants maltraités.

"La mère avait une relation très proche avec son fils"

Des zones d'ombre subsistent toutefois autour du sort de ce petit garçon depuis la séparation de ses parents, en octobre 2010. Le couple vivait alors à Nice (Alpes-Maritimes). Selon plusieurs sources proches du dossier, le divorce n'a pas été prononcé tout de suite et les parents se sont arrangés entre eux pour la garde de l'enfant, dont le prénom n'a pas été divulgué. En 2012, la situation s'envenime. Les services sociaux de Nice rencontrent la mère et l'enfant pour réaliser une évaluation dans le cadre d'un conflit avec le père. "La mère avait une relation très proche avec son fils", confie à francetv info un membre de l'aide sociale à l'enfance. La médiation s'arrête là. "Elle ne nous a plus donné de nouvelles."

A la fin des vacances de la Toussaint de 2012, le petit garçon ne retourne pas chez sa mère et quitte la Côte d'Azur avec son père. "C'est l'enfant qui a demandé à aller chez son père. Il n'a pas du tout été enlevé", affirme Jean-Marc Fuchs, l'avocat de Samir H.. En garde à vue, ce dernier aurait reproché à son ex-femme de ne "pas bien éduquer" leur fils. Une carence éducative "qui n'est pas avérée", selon le procureur de Mulhouse, Dominique Alzeari.

La belle-famille complice ? 

La mère dépose une première plainte en 2013 pour non présentation d'enfant. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? "Le couple était toujours en contact", indique à francetv info une source policière. Mais selon le parquet de Mulhouse, Samir H. finit par disparaître des radars pour "soustraire" son fils à son ex-femme. "Cet individu se cache, ne déclare rien, fait en sorte de sous-louer à des tiers. Il n'a donc rien à son nom, détaille le procureur. Il est passé au travers des contrôles, jusqu'à ce que le travail d'enquête des policiers leur permette de le localiser."

Il est désormais établi que l'homme a fait étape chez sa propre famille à Tournus (Saône-et-Loire). De source policière, l'enfant était entouré de sa grand-mère, de ses oncles et ses tantes. Etait-il caché et séquestré ? Combien de temps est-il resté ? La belle-famille était-elle complice ? Pourquoi le père n'a-t-il pas pu être localisé à ce moment-là ? L'instruction devra répondre à ces questions. "Il est possible que la police se soit présentée et que le père et le fils aient été introuvables à ce moment précis", suggère un enquêteur. Et de s'interroger, pour justifier les errances de l'enquête : "Est-ce que la mère a manifesté une volonté permanente et continue de vouloir revoir son enfant ?"  

Une disparition signalée par la grand-mère

Elle obtient officiellement la garde de son fils en février 2014. Et dépose une deuxième plainte. En octobre de la même année, le père gagne la région de Mulhouse. Selon un contrat de travail consulté par francetv info, il est embauché en CDD le 27 octobre 2014 dans une entreprise de livraison de colis, située non loin de la ville. Le contrat est établi au nom de Samir H. et à une adresse située dans le centre de Mulhouse. En mars 2015, il bénéficie d'un CDI dans la même entreprise. C'est à cette date que la mère de Samir H. se présente au commissariat de Tournus pour déclarer la disparition de son fils, parti précipitamment du domicile quelques mois plus tôt. 

Cette démarche va relancer l'enquête. Samir H., pourtant, ne masque pas son identité. D'abord hébergé avec son fils chez des amis d'octobre 2014 à mai 2015, dans le centre puis en périphérie de Mulhouse, il loue ensuite un appartement en son nom au 14, rue Kléber. Au même moment, son ex-femme dépose une troisième plainte. Il fournit au propriétaire sa copie de carte de résident, ses trois dernières fiches de paie, contracte une assurance habitation et un abonnement EDF. Il est déclaré à l'Urssaf. "Ce n'était pas du tout un gars qui se planquait", témoigne le propriétaire qui lui a loué ce deux-pièces de 50 m2 pour 390 euros par mois.

L'attestation d'assurance-habitation de Samir H. , établie en son nom.  (DR)

"Un conflit familial comme il y en a beaucoup d'autres"

Son fils, en revanche, échappe aux regards. Il ne bénéficie d'aucune scolarisation ni suivi médical, selon le parquet. Dans l'immeuble où il était hébergé chez un ami de son père, avant qu'il emménage rue Kléber, les témoignages divergent. Une voisine confie à francetv info n'avoir jamais vu d'enfant. Un autre riverain de ce quartier populaire indique au Parisien se souvenir d'un bambin "un peu joufflu" qui "avait demandé à ce qu'on laisse la porte de l'immeuble ouverte, car il n'avait pas les clés". Pouvait-on alors parler de séquestration ?

Samir H. et son fils ont été hébergés début 2015 chez un ami, dans un cet immeuble situé dans le nord de Mulhouse (Haut-Rhin). (CATHERINE FOURNIER / FRANCETV INFO)

Ce chef d'accusation est rejeté par maître Fuchs. "Il n'y a ni enlèvement, ni séquestration", mais une situation qui "relève d'un conflit familial comme il y en a beaucoup d'autres". Selon l'avocat de Samir H., "la situation n'a pas été prise par le bon bout, mais c'est un père aimant". Ce dernier a reconnu devant les enquêteurs avoir "fait n'importe quoi", ne pas avoir "été à la hauteur" et ne pas s'être "bien occupé de l'enfant". Dans l'appartement de la rue Kléber, son garçon est "livré à lui-même" toute la journée, avec pour seule compagnie des dessins animés. Son père travaille du matin au soir, même le samedi. Selon son avocat, il se charge, le reste du temps, de faire la classe à son fils. Des cahiers d'exercices ont été retrouvés sur place, confirme une source policière.

"Il lui avait appris à parler doucement"

Personne ne remarque cet enfant de 8 ans, qui sort de temps à autre prendre l'air ou faire quelques courses avec son père. Dans le quartier, faute de photo, aucun habitant n'est en mesure de l'identifier. Les voisins parlent de son père comme d'un homme très discret. Son ex-propriétaire tombe des nues. "Je le trouvais assez franc du collier, il était stressé mais je mettais ça sur le compte de son travail. Effectivement, il avait un secret." 

Alors qu'il retape l'un de ses logements, cet homme en bleu de travail, qui possède tout l'immeuble de la rue Kléber, se dit choqué par le terme "insalubre" employé par le procureur pour décrire l'endroit où vivaient le père et le fils. "Je loue mes logements en parfait état, je ne vois pas comment, en quelques mois, il a pu devenir 'insalubre", nous assure-t-il, images à l'appui.

 

L'intérieur de l'appartement de la rue Kléber à Mulhouse avant qu'il ne soit loué à Samir H. ( DR )
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Les enquêteurs retrouvent la trace de Samir H. grâce à son dernier employeur, une autre société de colis située près de Mulhouse, qui l'avait embauché avant l'été 2015 alors qu'il venait de perdre son précédent emploi, avant de le licencier rapidement à son tour. Le patron a fourni son numéro de téléphone portable aux enquêteurs – selon le parquet, il utilisait des mobiles à carte pour ne pas être localisé – et l'a appelé pour qu'il vienne "récupérer son solde de tout compte".

Samir H. est arrêté à ce moment-là et dirige les enquêteurs vers son appartement. En ouvrant la porte, les policiers trouvent l'enfant sur un matelas, devant un écran. Selon le parquet, il présente des morsures de punaises et a des lentes dans les cheveux. Lors de son audition par la brigade des mineurs, il parle tout bas. Son père "lui avait appris à parler doucement pour ne pas qu'on l'entende" et l'enfant avait pris une "habitude de prostration", raconte le procureur.

La porte de l'appartement dans lequel le petit garçon de 8 ans passait ses journées, "livré à lui même", selon la justice. (CATHERINE FOURNIER / FRANCETV INFO)

Une description contestée par l'avocat du père, qui assure que l'enfant n'est nullement "dans un état de santé déplorable". Il a été placé dans une famille d'accueil. Son père dort en prison. "Il a fait tout ça pour éviter que son enfant soit placé et on en est arrivé là", regrette maître Fuchs, qui va demander la remise en liberté de son client.

L'instruction pour démêler cette triste affaire s'annonce longue. La mère n'a pas souhaité s'exprimer dans les médias et aucun avocat la représentant ne s'est fait connaître. Elle s'est déplacée à Mulhouse pour voir son fils, mais il a manifesté "peu de désir de la revoir", car il a subi, selon les mots de Dominique Alzeari, une "coupure énorme" vis-à-vis d'elle. 

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