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"On est un dommage collatéral de Lubrizol" : près de Rouen, les producteurs désespèrent de voir le marché déserté

La petite ville de Bihorel fait partie des 112 communes visées par un arrêté préfectoral sanitaire dans le département. De quoi faire fuir les clients du marché hebdomadaire.

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le marché de Bihorel (Seine-Maritime), le 2 octobre 2019. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

"T'as un ballon ? On a de l'espace pour faire un foot aujourd'hui !" Sur la place de l'église de Bihorel (Seine-Maritime), un jeune maraîcher s'ennuie et interpelle son collègue poissonnier sur le ton de l'humour. Ce mercredi 2 octobre, le parking qui accueille le marché hebdomadaire du bourg reste désespérément vide. En cause : les inquiétudes des habitants, après l'incendie de l'usine Lubrizol toute proche. Le nuage de fumée n'a pas épargné la ville, désormais visée par un arrêté sanitaire, comme 112 communes dans le département.

Cet arrêté préfectoral (fichier PDF), Bastien Gaffe, maraîcher à Mont-Cauvaire, l'a imprimé et affiché sur son étal. "Je suis content, mon exploitation n'est pas dedans, se réjouit-il, dimanche, un client m'a appelé pour me demander si les épinards achetés la veille étaient comestibles, j'ai pu le rassurer." Il peut donc continuer à vendre ses produits sans restriction. D'ailleurs, son étal regorge de choux-fleurs, poireaux, potirons et radis de saison.

Un maraîcher sur le marché de Bihorel (Seine-Maritime), le 2 octobre 2019. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Ce n'est pas le cas quelques mètres plus loin. Chez Emilie Deroit, la belle production de la rentrée est en partie restée dans les champs. Et pour cause, ceux-ci sont situés à Saint-Saire, dans le périmètre surveillé. "Nous vous proposons uniquement des légumes stockés, ou qui n'ont pas reçu la pluie du nuage de jeudi", est-il écrit sur un morceau de carton affiché sur son stand. Des tomates, produites sous serre, sont également à la vente. "C'est une interprétation de l'arrêté, mais nous n'avons pas vraiment d'information", explique-t-elle. Contactée, la préfecture indique à franceinfo que les productions sous serre peuvent être commercialisées, l'arrêté ne couvrant que le maraîchage plein champ. Un autre maraîcher du coin a carrément décidé de ne pas venir au marché mercredi. Son exploitation est située dans l'une des zones touchées par les suies noires.

"Les gens ne veulent plus consommer local !"

"Les gens ne veulent plus consommer local !", s'indigne Régis Villard, poissonnier. "C'est dingue, ce qui a fait notre force est en train de devenir notre désavantage." Il déplore une baisse de chiffre d'affaires "d'au moins 50%" par rapport à un mercredi classique à Bihorel. "On est un dommage collatéral de Lubrizol et on n'aura sûrement pas le droit à des indemnisations, nous", se lamente-t-il. Deux jours auparavant, le ministre de l'Agriculture, Didier Guillaume, a assuré que les agriculteurs concernés seraient, eux, indemnisés dans une dizaine de jours.

La vendeuse de volailles sur le marché de Bihorel (Seine-Maritime), le 2 octobre 2019. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

"Ça fait trente-sept ans que je fais ça, et là, on se casse vraiment la gueule", lance Frédérique Rade, accoudée à la vitrine frigorifique qui présente ses volailles. Elevées en zone "saine", précise-t-elle d'emblée. "Une cliente m'a dit que sa petite fille ne voulait plus rien manger depuis jeudi." Une psychose ambiante qui n'a pas affecté l'une des seules clientes de la journée. "Oh, on ne meurt qu'une seule fois vous savez", lance cette mamie, penchée sur son sac de courses rempli.

"On va manger des pâtes pendant une semaine !"

Les rares clients qui ont bravé l'arrêté scrutent les étiquettes. "On était fidèles à nos producteurs, mais on va devoir changer", se désole un quadragénaire. "On va manger des pâtes pendant une semaine !", renchérit un autre. Une mère de famille se veut plus pessimiste : "Les autorités nous disent que la pollution est normale… Donc on va mourir d'un cancer normal."

Les produits locaux, hier vantés par tous, se retrouvent aujourd'hui "black-listés". "Même les petits légumes de mon jardin, je ne les mange plus", désespère une cliente. L'incendie de Lubrizol est en train de se transformer en une manne pour les supermarchés, "qui importent les légumes depuis l'Espagne", regrette un producteur local. Jusqu'à quand va durer cette situation ? Personne ne se risque à un pronostic. Le poissonnier conclut : "On fait le dos rond, on attend que ça passe." 

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