Comme Mamoudou Gassama, Mohssen Oukassi, "héros" de l'incendie d'Aubervilliers, avait été régularisé après avoir sauvé des vies. Nous l'avons retrouvé
En 2014, au péril de sa vie, Mohssen Oukassi avait évacué des habitants de son immeuble ravagé par les flammes, à Aubervilliers. Depuis, la vie de ce jeune Tunisien est une course d'obstacles.
Les histoires de héros sans-papiers se suivent mais ne se ressemblent pas. Il y a quatre ans, bien avant que Mamoudou Gassama ne fasse parler de lui, le sans-papiers le plus connu de France s'appelait Mohssen Oukassi. Le 7 juin 2014, ce Tunisien de 26 ans a sauvé des habitants de son immeuble en proie à un incendie à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis).
Un acte de bravoure qui lui a valu la reconnaissance de l'Etat, concrétisée par une régularisation express quelques jours plus tard. Mais, contrairement au "Spiderman" malien qui a sauvé un enfant samedi 26 mai à Paris, Mohssen Oukassi n'a pas eu droit à un appui de l'Elysée pour obtenir la nationalité française. Pour lui, une fois les projecteurs médiatiques éteints, les galères ont vite repris le dessus.
Après un coup de spray à la vanille dans son appartement, Mohssen Oukassi nous accueille chez lui, à Paris, mardi 29 mai. Il a atterri dans ce HLM en mauvais état l'année dernière, après trois ans dans un centre d'hébergement, où il dit avoir côtoyé "des gens bourrés et drogués toute la journée", avoir été victime de racisme et s'être fait traiter de "terroriste". Ici, si le voisinage est plus calme, l'homme aux cheveux en catogan dit toutefois vivre dans la "peur" d'un nouveau drame. "Le tableau électrique disjoncte parfois la nuit, décrit-il. J'entends des crépitements et ça saute quand j'allume plusieurs appareils." A Aubervilliers, avant l'incendie qui avait coûté la vie à trois personnes, son immeuble avait fait l'objet de signalements pour des problèmes de sécurité et d'insalubrité.
Après une série de déconvenues administratives, Mohssen Oukassi vit aussi avec l'angoisse liée à sa situation toujours fragile. "Le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé, eu égard à [son] comportement exemplaire, de [lui] accorder une autorisation de séjour", expliquait à l'époque la préfecture. "Après l'incendie, il m'avait promis des cartes de séjour d'un an pendant trois ans, puis une carte valable dix ans la quatrième année, puis un coup de pouce pour être naturalisé la cinquième année, rappelle-t-il. Je n'ai toujours qu'une carte d'un an. Mon dossier administratif s'est perdu entre la Seine-Saint-Denis et Paris."
J'ai perdu plus d'un an de démarches pour rien et cela me freine considérablement.
Mohssen Oukassià franceinfo
Des CDI avortés et un mariage retardé
Désormais âgé de 30 ans, le Tunisien affirme avoir perdu deux CDI en raison de son statut précaire. De début 2016 à mi-2017, il a travaillé pour une société de transport et d'installation de meubles dans de grandes entreprises. "Je devais souvent m'absenter pour des rendez-vous [administratifs], raconte-t-il. Mon patron était bien, il a essayé, mais c'est dur d'accepter des cas comme moi. Il m'a dit de revenir une fois ma situation réglée." Le jeune homme a ensuite trouvé un emploi de nuit dans un dépôt de préparation de marchandises de l'Essonne, pour être disponible en journée. "J'ai tenu quelques mois seulement, j'avais plus de trois heures de transport par jour, j'étais à bout."
Déterminé à présenter le meilleur dossier possible, il s'est alors déclaré comme auto-entrepreneur et est devenu coursier pour une entreprise de livraison de repas. Depuis le début de l'année, il sillonne Paris à scooter, de jour comme de nuit, même sous les orages ("J'ai chuté à cause du déluge lundi soir"), et se vante de sa note de 5/5 après 1 870 courses. Malgré ces efforts, l'argent peine à rentrer dans les caisses. Mohssen Oukassi sait qu'il ne pourra pas aller en Tunisie cet été, où il avait prévu de se marier. "En 2015, j'avais promis aux parents de ma fiancée que j'aurais alors ma carte de dix ans et que je pourrais faire venir ma femme en France", dit-il. La cérémonie attendra, les projets d'enfant aussi.
Toujours handicapé par ses brûlures
"Epuisé" par ses galères bureaucratiques souvent solitaires, l'ancien habitant d'Aubervilliers garde aussi des cicatrices de son combat contre les flammes. "Le feu m'a brûlé les pieds à tel point qu'on n'a pas pu enlever mes chaussettes collées sur ma peau à l'hôpital, décrit-il. Cela n'a pas été bien soigné ensuite. Ça s'est aggravé quand, faute d'argent, j'ai dû me remettre à travailler, avec des chaussures de sécurité, alors que j'avais encore des pansements. Maintenant, quand il fait très chaud, je ne peux pas porter de chaussures pendant plus de 30 minutes."
Lors de ses tournées de livreur, le trentenaire doit faire des pauses régulières et, parfois, travailler en claquettes.
Malgré la douleur, je ne dois pas lâcher. Si je peux encore bouger, pourquoi est-ce que je m'arrêterais ?
Mohssen Oukassià franceinfo
L'ancien sans-papiers, brûlé à la bouche, a également perdu trois dents dans l'affaire. Il dit avoir été "abandonné" par une maison de santé qui avait promis de l'aider et a passé "trois mois sans dents" avant de se faire poser des couronnes en 2015.
Un objectif intact : devenir pompier
Assis sur le canapé rouge de son appartement mal ventilé, attaqué par la moisissure, fissuré par endroits et "glacial" l'hiver, Mohssen Oukassi relativise ses déboires, lot de tant d'autres migrants. "Les choses vont mieux pour moi et, grâce aux papiers, j'ai pu rentrer voir mon père en Tunisie et me recueillir pour la première fois sur la tombe de ma mère", souligne l'ex-clandestin. Fini les contrôles policiers, qu'il redoutait tellement qu'il a quitté l'hôpital juste après l'incendie, de peur d'être interpellé. Le héros de 2014 s'interroge tout de même sur les promesses de naturalisation et d'intégration parmi les pompiers de Paris faites à Mamoudou Gassama.
Comme le monsieur de l'Hyper Cacher [Lassana Bathily], il [Mamoudou Gassama] va vite avoir la nationalité française. Pourquoi mon dossier n'est-il pas comme ça ?
Mohssen Oukassià franceinfo
A Aubervilliers, le frêle jeune homme avait confié son rêve, depuis l'enfance, de devenir pompier. Quatre ans plus tard, il continue de s'y accrocher. "Avec Pôle emploi, j'ai déjà essuyé sept ou huit refus pour des formations d'agent de sécurité, ma première étape pour devenir pompier", déplore-t-il. Il y voit une autre conséquence de son statut précaire. "Sans titre de séjour de longue durée, j'ai l'impression que personne ne voudra m'écouter." Mohssen Oukassi, dont le prénom désigne "homme qui donne, qui aide", attend toujours de recevoir un peu plus.
Contactée, la préfecture de Seine-Saint-Denis n'a, pour l'heure, pas donné suite à nos sollicitations. La préfecture de police de Paris affirme, elle, que Mohssen Oukassi "va recevoir prochainement" une convocation "pour le mois de janvier 2019" en vue de "l'obtention d'un titre de 10 ans".
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