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Incendie d'Aubervilliers : "C'est le virage de ma vie", dit le héros tunisien régularisé

Dix jours après avoir sauvé la vie de ses voisins, Mohssen Oukassi a été reçu à la préfecture de Seine-Saint-Denis, où il a reçu un titre de séjour provisoire.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Mohssen Oukassi pose avec son récépissé de demande de carte de séjour, le 17 juin 2014, à la préfecture de Seine-Saint-Denis, à Bobigny. (YANN THOMPSON / FRANCETV INFO)

Avant de se présenter à la préfecture, il a tenu à se rendre chez le coiffeur. Une première coquetterie depuis le drame qu'il a vécu, le 7 juin, dans son immeuble d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Les cheveux plaqués vers l'arrière, la barbe rasée, Mohssen Oukassi a retrouvé une certaine classe. De l'incendie qui a fait trois morts, il garde pourtant des brûlures au pied, au bras gauche, aux oreilles et à la bouche. Et le traumatisme d'avoir vu "la mort et l'enfer".

Mardi 17 juin, à la préfecture de Bobigny, le Tunisien de 26 ans est reçu avec les "félicitations" du personnel. Pendant que des dizaines de personnes patientent devant les guichets de la direction de l'immigration et de l'intégration, au milieu des cris et des larmes de ce lieu, le sans-papiers, qui a sauvé la vie de ses voisins, est conduit dans un bureau au calme.

La préfecture lance une procédure accélérée

L'histoire de Mohssen Oukassi a attiré l'attention du préfet. Le soir du drame, le jeune homme dévale les escaliers, déjà gagnés par les flammes, pour alerter ses voisins. Remonté au sixième et dernier étage, au milieu d'une épaisse fumée noire, avec un autre habitant, il parvient à entrer chez deux sœurs et les évacue par un échafaudage. "Il a sauvé presque la moitié de l'immeuble", affirme une habitante au Parisien.

Une procédure accélérée a été lancée par le cabinet du préfet, pour saluer sa "formidable bravoure" et celle de son colocataire, lui aussi sans-papiers tunisien, qui souhaite rester discret malgré son courage lors du sauvetage de certains habitants.

Mohssen Oukassi voit ce rendez-vous en préfecture comme un cadeau du ciel. "Dieu m'a testé pour voir ma réaction devant un tel drame", affirme-t-il. Ce mardi est le jour de la récompense.

"Ma vie en France était une longue attente"

Membre du Parti pirate tunisien, opposant du président Ben Ali, Mohssen Oukassi a fui son pays en 2012, après l'arrivée au pouvoir du parti islamiste Ennahda. En Espagne, puis à Vitrolles (Bouches-du-Rhône) et en Allemagne, où il a d'abord trouvé refuge, il affirme avoir reçu des menaces de mort de "soldats secrets d'Ennahda", tout comme le vice-président de son parti, rencontré par L'Express.

Le clandestin est arrivé en France en avril 2013, après avoir changé de compte Facebook et de carte SIM. "Depuis, ma vie en France était une longue attente, peut-être l'attente d'un tournant envoyé par Dieu", résume-t-il. Il s'est fait voler ses affaires, a écumé les petits boulots sur les marchés de Montreuil, Bobigny, Aubervilliers, puis s'est mis à la mécanique. L'ancien soudeur de la puissante Société tunisienne des industries de raffinage est devenu "mécano sauvage", avec une clientèle de voisinage.

Il rêve de devenir pompier

A la sortie du bureau de la préfecture, Mohssen Oukassi affiche un discret sourire. Entre ses mains, il tient, comme son colocataire, un récépissé de demande de carte de séjour. Un document provisoire, le temps que soit imprimée sa carte de séjour d'un an. "Le récépissé est valable trois mois mais la carte de séjour lui arrivera bien avant", assure la préfecture. "C'est le virage de ma vie", lâche Mohssen Oukassi, avec ce morceau de papier que d'autres attendent pendant des années.

"La loi me connaît, je vais pouvoir faire comme les Français maintenant : trouver un travail, un logement, me marier, avoir des enfants", poursuit-il. L'ancien sans-papiers souhaite avant tout rentrer en Tunisie, où Ennahda a quitté le pouvoir. Il espère retrouver son père, âgé et malade, et passer à ses côtés le ramadan, dès la fin juin. Il veut revoir Bizerte, où il a grandi, "comme l'ancien maire de Paris Bertrand Delanoë". Mais pour cela, il lui faudra avoir reçu sa carte de séjour.

Où voit-il son avenir ? "En France, pays de liberté et de démocratie." Jamais loin de ses anciens voisins. Et avec une profession en tête, à laquelle il pensait déjà enfant : "Pompier. Un métier noble."

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