Mort de Steve Maia Caniço à Nantes : cinq questions sur le procès du commissaire de police jugé pour homicide involontaire

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une fresque en hommage à Steve Maia Caniço, peinte après sa mort en 2019, photographiée le 21 juin 2022 à Nantes (Loire-Atlantique). (FRANCK DUBRAY / OUEST-FRANCE / MAXPPP)
Le commissaire Grégoire Chassaing est jugé à partir de lundi devant le tribunal correctionnel de Rennes. Il est le seul à comparaître pour la mort du jeune homme, tombé dans la Loire lors de la Fête de la musique en 2019.

L'affaire avait suscité une très forte émotion et de vives critiques sur l'intervention des forces de l'ordre. Lors d'une opération policière destinée à faire cesser une soirée électro sur l'île Beaulieu, à Nantes, organisée pour la Fête de la musique en 2019, Steve Maia Caniço, animateur périscolaire de 24 ans, tombe dans la Loire et se noie. Près de cinq ans après les faits, le commissaire de police qui dirigeait les effectifs sur place, Grégoire Chassaing, est jugé pour homicide involontaire. Son procès, qui s'ouvre lundi 10 juin à Rennes, doit durer cinq jours. Franceinfo revient sur cette affaire en cinq questions.

1 Que s'est-il passé dans la nuit du 21 au 22 juin 2019 ?

Ce vendredi 21 juin 2019, les rues de Nantes sont animées pour la Fête de la musique. Sur le quai Wilson, en bord de Loire, des organisateurs indépendants installent des sound system (murs de son) sous des barnums. Comme les années précédentes, malgré l'absence d'autorisation officielle, la pratique est tolérée jusqu'à 4 heures du matin. Puis les forces de l'ordre demandent à chaque DJ d'éteindre la musique. Les premiers obtempèrent, mais au niveau de l'avant-dernier sound system, le commissaire de police Grégoire Chassaing se heurte à une résistance. A deux reprises, la musique est relancée. "Un des DJ me regardait d'un petit sourire narquois", soutient, lors de ses auditions, le commissaire, qui assimile le rictus à une "provocation". Il ordonne alors à ses troupes de s'équiper pour "y retourner".

Des projectiles (cailloux, bouteilles en verre...) fusent quand les policiers sont en train de se casquer. Il est 4h28. Trois minutes après, les fonctionnaires répliquent avec du gaz lacrymogène, d'après l'enquête dirigée par deux juges d'instruction. Un nuage de fumée enveloppe le quai où les participants sont installés. Une trentaine de grenades lacrymogènes, 12 balles de défense (LBD) et dix grenades de désencerclement sont tirées. La situation ne s'apaise qu'à l'aube.

2 Que sait-on de la mort de Steve Maia Caniço ?

Présent lors des festivités sur l'île Beaulieu, Steve Maia Caniço, un animateur périscolaire de 24 ans, ne donne plus de nouvelles. Sa mère signale sa disparition le 23 juin 2019. Elle est très inquiète, car son fils ne sait pas nager. Or, plusieurs personnes ont chuté dans la Loire pendant la soirée. Son dernier SMS date de 3h12. "Je suis trop fatigué, j'ai besoin d'aide", écrit-il à un copain présent sur place. Un autre ami le voit s'allonger à un mètre de l'eau, un peu à l'écart de la foule. Il le réveille vingt minutes plus tard. Une troisième amie danse avec lui au moment où la musique s'arrête, vers 4h30, avant de s'éloigner. La première salve de lacrymogènes est lancée. Peu après, des témoins disent avoir vu une personne dériver dans l'eau, puis couler.

Le corps de Steve Maia Caniço est découvert dans la Loire plus d'un mois après, le 29 juillet. Les analyses médico-légales concluent à une mort par noyade. L'enquête déterminera qu'il a chuté depuis le quai, qui n'est pas équipé de barrières, sans pouvoir situer l'endroit précisément. Les expertises de son téléphone, retrouvé sur lui, établissent l'heure exacte de sa chute à 4h33 et 14 secondes. L'expertise toxicologique confirme que le jeune homme avait bu de l'alcool mais, selon ses amis, il n'était pas ivre.

3 Que reproche-t-on au commissaire de police ?

Les juges d'instruction reprochent à Grégoire Chassaing une "succession de comportements fautifs". En voulant aller "au contact des teufeurs", il s'est "manifestement écarté de la doctrine du maintien de l'ordre", écrivent-ils dans leur ordonnance de renvoi pour homicide involontaire, rendue le 18 décembre 2023 et consultée par franceinfo. "Plutôt que de calmer les choses, l'attitude du commissaire Chassaing va contribuer à sensiblement envenimer la situation." L'usage des armes "est d'autant plus disproportionné qu'il a été fait de nuit, sans sommations préalables, sans visibilité aucune et sans discernement", soulignent les deux magistrats. Ils lui reprochent également de n'avoir pas pris en compte "la configuration des lieux et des risques de chute avérés" en bord de Loire.

Les magistrats établissent que "dès 4h31 [soit deux minutes avant la chute du jeune homme], les grenades lacrymogènes sont envoyées en direction des teufeurs, provoquant un premier mouvement de refoulement". Ils estiment donc que le commissaire a commis une "faute caractérisée" et "involontairement causé" la mort du jeune homme.

4 Pourquoi est-il le seul renvoyé devant la justice ?

Dans un premier temps, trois personnes ont été mises en examen pour homicide involontaire. Mais Claude d'Harcourt et Johann Mougenot, respectivement préfet et sous-préfet de Loire-Atlantique au moment des faits, ont finalement bénéficié d'un non-lieu. Pour être retenue, une "faute caractérisée" doit exposer autrui à un risque grave, qui ne peut être ignoré, avec une conscience du danger que son comportement fait courir aux autres. Or, pour les juges d'instruction, les heurts entre la police et les fêtards n'étaient pas prévisibles par les autorités.

Seul le commissaire de police est donc renvoyé devant le tribunal correctionnel. Une décision que l'avocate de la famille de Steve Maia Caniço salue. "Si d'autres personnes avaient été renvoyées devant le tribunal correctionnel, la responsabilité du commissaire aurait été diluée et il aurait pu rejeter sa responsabilité sur d'autres prévenus", développe Cécile de Oliveira. "Des responsabilités administratives auraient pu être recherchées, auprès de la mairie et de la préfecture. Mais la responsabilité pénale de l'homicide involontaire est celle de Grégoire Chassaing", considère-t-elle.

5 Comment se défend-il ?

Le commissaire, toujours en poste après une mutation à Lyon, n'a pas été sanctionné sur le plan disciplinaire et garde le soutien de sa hiérarchie, assure son avocat, Louis Cailliez. Grégoire Chassaing rejette en bloc toute infraction. "Il n'a commis aucune faute caractérisée, et n'a pas causé, même indirectement, la mort de Steve Maia Caniço", a déclaré son avocat lors d'une conférence de presse, le 4 juin. Selon lui, "l'explication la plus crédible (...) est celle d'une chute en Loire fortuite, par inadvertance, du simple fait de la configuration intrinsèquement dangereuse des lieux, et sans aucun rapport avec la police". L'avocat souligne en outre que "de nombreux témoins et experts sont cités [29 au total], ce qui signifie que la justice veut refaire le dossier".

"Certains accidents sont à la fois la faute de tout le monde et la faute de personne. Celui-ci, en tout cas, n'est pas la faute de Grégoire Chassaing. C'est difficile à entendre, qu'il n'y ait pas de responsable pénal, mais cela n'en reste pas moins la vérité", insiste l'avocat, qui va plaider la relaxe. Son client encourt jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende, peine maximale prévue pour un homicide involontaire sans circonstance aggravante.

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