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Attentat dans un lycée d'Arras : comment sécuriser les établissements scolaires ?

Les syndicats enseignants et les représentants des collectivités territoriales ont été reçus, mardi et mercredi, au ministère de l'Education nationale, pour travailler au renforcement de la sécurité des élèves et du personnel.
Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Des lycéens pénètrent dans un établissement scolaire de Perpignan (Pyrénées-Orientales), le 20 mars 2023. (JC MILHET / HANS LUCAS / AFP)

Il veut refaire de l'école "un sanctuaire". Le ministre de l'Education nationale, Gabriel Attal, a réuni les représentants des collectivités locales, mercredi 18 octobre à Paris, cinq jours après l'attaque terroriste qui a coûté la vie à un enseignant dans un lycée d'Arras (Pas-de-Calais). Il est invité, jeudi soir sur France 2, de l'émission "L'Evénement, l'interview", sur le thème de la sécurité des établissements scolaires, des élèves et des enseignants. Un sujet au cœur des discussions et qui implique les mairies, en charge des écoles primaires, les conseils départementaux, qui gèrent les collèges, et les conseils régionaux, responsables des lycées.

Le ministre a commencé par recevoir les syndicats d'enseignants, mardi. "On a fait un constat partagé sur le fait qu'il y a une nécessité de mieux sécuriser les écoles et les établissements (...), mais qu'on ne peut pas transformer les établissements en prisons", a rapporté Elisabeth Allain-Moreno, secrétaire générale du SE-Unsa, à l'issue de la rencontre. Pour dresser un état des lieux des mesures déjà en place, Gabriel Attal a annoncé l'envoi d'un questionnaire aux 60 000 directeurs d'écoles et chefs d'établissements, qui ont jusqu'à vendredi pour pointer d'éventuelles failles de sécurité.

"Je veux le dire à tous les enseignants : nous serons au rendez-vous pour assurer votre sécurité", avait promis, dès samedi, la Première ministre, Elisabeth Borne. L'exécutif se sait très attendu par la communauté éducative, mais également par les élèves et leurs familles. Pour leur répondre, il entend agir à trois niveaux.

Des mesures immédiates face à l'urgence de la situation

Dès vendredi, le gouvernement a demandé à renforcer "sans délai" la sécurité des établissements scolaires. Dans la soirée, le passage de la France en alerte "urgence attentat" a entraîné l'activation de nouvelles mesures. A commencer par une intensification du contrôle des abords des écoles, collèges et lycées par les forces de l'ordre, avec la possibilité de vérifier les identités et de fouiller les véhicules. Une note de la police a rappelé aux agents de traiter et d'analyser les "signaux faibles ou forts" et de faire remonter "tout fait pouvant être rattaché à la lutte contre le terrorisme".

Le ministère de l'Education nationale a alerté son personnel sur la nécessité de redoubler de vigilance. "Un contrôle visuel des sacs doit être effectué", a-t-il notamment ordonné sur son site, tout en demandant de limiter les attroupements à l'entrée et à la sortie des établissements. A l'issue d'une réunion avec les syndicats, vendredi soir, le ministre a annoncé le déploiement de 1 000 membres des équipes mobiles de sécurité, un dispositif destiné à lutter contre la violence scolaire.

A l'échelle locale, certaines académies ou collectivités ont complété ce panel de mesures. La région Ile-de-France a réactivé un marché auprès d'entreprises de sécurité privée, permettant le déploiement de maîtres-chiens devant une poignée de lycées. "C'est de la dissuasion, le chien est là au cas où quelqu'un attaquerait", explique sur France 2 un agent, déployé à Montigny-le-Bretonneux (Yvelines).

A Paris, le rectorat a annulé, lundi et mardi, toutes les sorties nécessitant l'utilisation des transports en commun par les élèves de primaire, selon des documents consultés par franceinfo. 

Une meilleure application des dispositifs existants

Les mesures de sécurité en milieu scolaire ont été notablement renforcées depuis les attentats de Paris en 2015. L'une des avancées les plus significatives est l'inclusion des risques liés au terrorisme et aux intrusions dans les plans particuliers de mise en sûreté (PPMS). Depuis 2016, les établissements scolaires doivent réaliser trois exercices de sécurité par an, dont un entièrement consacré au risque "attentat intrusion", identifié par un signal qui doit être différent de celui de l'alarme incendie. "A Arras, c'est probablement ce plan de mise en sûreté qui a permis d'éviter un carnage absolu", a défendu Gabriel Attal, dimanche soir sur TF1, saluant les "progrès" réalisés ces dernières années.

Une meilleure sécurisation des établissements passe par le renforcement de ces exercices anti-intrusion, estime sur France 24 Jérôme Fournier, secrétaire national du SE-Unsa. "C'est cela qui nous permet de rassurer nos élèves : ils deviennent acteurs de leur sécurité", souligne-t-il.

"Les procédures doivent être connues sur le bout des doigts par tous. (...) Cela nous a montré que c'était la meilleure protection."

Jérôme Fournier, secrétaire national du SE-Unsa

à France 24

Dans certains établissements, la mise en œuvre des PPMS reste encore incomplète, faute par exemple de systèmes de sonnerie différenciée, souligne pour franceinfo François Bonneau, président de la région Centre-Val de Loire et vice-président de Régions de France en charge de l'éducation. "Dans de trop nombreux endroits, l'alarme ne fonctionne pas, la porte d'entrée ne ferme pas correctement ou le parking des professeurs est ouvert en permanence", complète Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat du second degré. Confrontée à un manque d'effectifs et à des accès "pas surveillés", une partie du personnel d'un lycée de Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis) a même exercé son droit de retrait, lundi.

De nouvelles pistes techniques envisagées pour renforcer encore la sécurité

Le ministre de l'Education nationale a exprimé, dimanche, son souhait d'"aller plus loin" en matière de sécurité. Disant vouloir avancer "sans tabou", Gabriel Attal a évoqué plusieurs pistes, déjà testées localement, comme le recours à des portiques d'accès ou à la vidéosurveillance. Des élus de droite, à l'instar du maire de Nice (Alpes-Maritimes) Christian Estrosi et du président de la région Auvergne-Rhône Alpes Laurent Wauquiez, suggèrent également d'expérimenter la reconnaissance faciale autour des lycées, malgré l'interdiction d'un tel dispositif en 2020 par la justice administrative.

L'une des propositions les plus récurrentes concerne l'installation de tourniquets à l'entrée des établissements du secondaire. La quasi-totalité des lycées d'Auvergne-Rhône Alpes en sont déjà dotés, et la moitié de ceux du Centre-Val de Loire. "Nous voulons arriver à une couverture totale des établissements", défend François Bonneau, des Régions de France. Ce système d'accès par badge représente toutefois un investissement coûteux et peut poser un problème d'attroupements devant l'entrée si le nombre de tourniquets est insuffisant, souligne-t-il. Il n'est pas non plus adapté aux établissements anciens de centre-ville qui n'ont pas la place d'accueillir ces portiques métalliques.

Des portiques de sécurité dotés d'un système de badge permettent de filtrer les entrées dans un lycée de Rillieux-la-Pape, dans la métropole de Lyon, le 30 août 2021. (MAXIME JEGAT / LE PROGRES / MAXPPP)

Des portiques, "ce n'est pas ce qu'on revendique" pour les écoles maternelles et élémentaires, a averti, lundi, Guislaine David, co-secrétaire générale du SnuiPP-FSU, principal syndicat du primaire. "On doit pouvoir accueillir les parents, ils doivent pouvoir se rendre dans l'école", notamment pour accompagner les petits jusqu'en classe, a-t-elle souligné, sur France Bleu.

"On est toujours sur un fil. Il faut qu'on soit protégés mais il ne faut pas que l'école devienne un bunker dans lequel on ne peut plus accéder."

Guislaine David, co-secrétaire générale du SnuiPP-FSU

à France Bleu

Le risque de "bunkérisation" est également évoqué dans le secondaire. "On ne pense pas que la solution soit de faire des lycées militarisés, avec des barbelés de partout, ça ne donne pas envie d'aller étudier", schématise Gwenn Thomas Alves, président du syndicat lycéen Fidl, sur franceinfo. "Il ne faut pas tomber dans une forme de techno-solutionnisme", abonde sur France 24 l'ancien universitaire Eric Debarbieux, spécialiste des questions de violence à l'école. En 2022, une étude américaine a ainsi mis en avant les effets négatifs que peut avoir une abondance de mesures sécuritaires, en instaurant un climat de suspicion qui nuit aux résultats scolaires et qui accroît l'absentéisme.

En revanche, les représentants des enseignants, des collectivités territoriales et des parents d'élèves s'accordent sur la nécessité de renforcer les moyens humains dans les établissements. "C'est souvent parce que des assistants d'éducation, des conseillers principaux d'éducation et des agents d'accueil sont à l'entrée qu'ils peuvent détecter des situations anormales", souligne François Bonneau. "Cela ne fonctionnera qu'en alliant des dispositifs physiques et de la présence humaine", conclut-il, en appelant à un soutien de l'Etat sur ces deux volets.

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