Attaque au couteau à Paris : on a passé au crible six idées reçues sur les fichés S pour arrêter de dire des bêtises
Après l'attaque au couteau survenue samedi soir à Paris, les fiches S sont à nouveau au centre des critiques. Franceinfo décrypte les idées reçues sur cette méthode de surveillance.
Après chaque attentat, la polémique sur le traitement des individus fichés S revient sur le devant de la scène. L'attaque au couteau perpétrée à Paris, samedi 12 mai, par Khamzat Azimov, jeune Français d'origine tchétchène fiché S, le prouve une nouvelle fois. Plusieurs personnalités de droite et d'extrême droite ont immédiatement pris la parole pour fustiger l'inefficacité de cette méthode de surveillance.
Les fiches S "ne servent à rien", a lancé Marine Le Pen, interrogée sur Radio Classique, lundi 14 mai. Les Républicains ont également dénoncé "l'impuissance du gouvernement" par l'intermédiaire de leur secrétaire général délégué, Geoffroy Didier.
De son côté, Laurent Wauquiez a exhorté Emmanuel Macron à "réunir l'ensemble des chefs de partis pour échanger sur les mesures efficaces à prendre dans la lutte contre le terrorisme". Alors que les fiches S sont de nouveau au centre des critiques, franceinfo déchiffre les idées reçues sur cette méthode de surveillance.
"Tous les fichés S sont des islamistes radicalisés"
Ce n'est pas du tout le cas. Les individus suivis pour radicalisation islamiste représentent moins de la moitié des personnes fichées S : 9 700 sur un total de 25 000 fiches, d'après les derniers chiffres publiés par le gouvernement, en novembre dernier.
Parmi les "fichés S", on retrouve aussi des militants d'extrême gauche, d'extrême droite ou écologistes, ainsi que des hooligans ou des militants du black bloc, précise France Culture. Le site du ministère de l'Intérieur donne une définition large :
Les fichés S peuvent être des personnes soupçonnées d’avoir des visées terroristes ou de vouloir attenter à la sûreté de l’Etat, sans qu’elles aient pour autant commis de délit ou de crime. Elles peuvent également être de simples relations d’un terroriste connu.
ministère de l'Intérieur
Ces fiches S sont en fait une sous-catégorie d'un fichier plus large : le Fichier des personnes recherchées (FPR). Cette liste regroupe 400 000 individus, divisés en 21 sous-catégories. On y retrouve pêle-mêle des personnes sous le coup d'une interdiction de territoire (fiches IT), des débiteurs envers le Trésor public (T), des mineurs ayant fugué (M) et des personnes présentant une potentielle menace pour la sûreté de l'Etat : les fameuses fiches S.
"La majorité des terroristes qui sont passés à l'acte en France étaient fichés S"
Ces dernières années, plusieurs attaques terroristes ont bien été menées par des individus faisant l'objet d'une fiche S, suscitant à chaque fois un grand émoi dans la société française. C'est notamment le cas des trois kamikazes du Bataclan, de Larossi Abballa, le meurtrier des policiers de Magnanville, ou plus récemment de Radouane Lakdim, auteur des attentats de Carcassonne et Trèbes (Aube) fin mars.
Pourtant, seule une minorité des auteurs d'attentats sur le sol français ces trois dernières années étaient fichés S, comme le soulignait en mars dernier Sébastien Pietrasanta, ancien député PS et rapporteur de la commission d’enquête sur les attentats, dans une tribune publiée dans les pages du Monde.
60% des terroristes ayant commis un attentat ces trois dernières années n’étaient pas fichés par nos services de renseignement.
Sébastien Pietrasantadans "Le Monde"
Force est de constater que plusieurs auteurs d'attaques terroristes n'étaient pas suivis par les services de renseignement pour radicalisation. Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, le terroriste de Nice, ne faisait l'objet d'aucune fiche S, tout comme Ziyed Ben Belgacem, qui s'est attaqué à un groupe de militaires à l'aéroport d'Orly en mars 2017.
"Les individus fichés S sont surveillés en permanence"
Non. Les fiches S permettent de collecter des informations sur les individus ciblés et d'échanger des informations entre pays de l'espace Schengen, car ce type de fichage est européen. Elles servent aussi à retracer leurs déplacements. Mais cela ne veut pas dire que tous les personnes fichées S sont sous contrôle permanent, suivies ou sous écoute, précise France Culture.
Chaque fois que l'identité de l'individu ciblé est vérifiée, lors d'un contrôle routier ou au passage d'une douane par exemple, ces informations sont ajoutées à son dossier, sans qu'il soit forcément arrêté. C'est ainsi qu'Amédy Coulibaly a été arrêté par la police, au volant d'une voiture, 10 jours avant la prise d'otages de l'Hyper Cacher, comme l'avait révélé Le Canard enchaîné. En consultant le fichier des personnes recherchées (FPR), les deux fonctionnaires ont découvert qu'il était soupçonné d'"appartenir à la mouvance islamiste" et qu'il devait être "surveillé en toute discrétion".
"Les fiches S ne sont pas efficaces pour lutter contre le terrorisme"
Des jihadistes recensés dans le même fichier que des militants politiques, des individus dangereux pas forcément arrêtés... L'intérêt et la précision des fiches S sont très régulièrement remis en question. Pourtant, ce type de fichage est loin d'être un fourre-tout. Il est divisé en 16 sous-catégories – de S1 à S16 –, renseignant le type de profil ainsi que l'attitude à adopter face à l'individu surveillé.
En fonction du niveau, il peut être recommandé aux forces de l'ordre de "ne pas attirer l'attention", de "rendre compte immédiatement au service demandeur", de "relever les identités des accompagnants" ou de signaler le passage à une frontière, expliquent Les Echos.
Après le double attentat de l'Aube, le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, a justifié l'utilité de ce type de surveillance. "Les fiches S servent toutes les semaines à démanteler des réseaux, à empêcher des attentats", a affirmé Gérard Collomb, interrogé par CNews. Ce fut notamment le cas en avril 2017, lors de l'arrestation de deux individus fichés S, qui projetaient de perpétrer un attentat à Marseille.
"Arrêter tous les fichés S permettrait d'empêcher des futurs attentats"
Ce n'est pas aussi simple. S'il est impossible de prévoir l'effet d'une telle mesure, il est important de rappeler que le droit français ne permet pas d'arrêter des personnes pour la simple raison qu'elles sont fichées S. L'article 66 de la Constitution française affirme que "nul ne peut être arbitrairement détenu". Seule une décision de justice peut permettre l'enfermement d'un individu en prison ou en centre de rétention et les fiches S n'émanent pas d'un juge, mais des services de renseignement.
Interrogé par franceinfo, David Le Bars, secrétaire général du Syndicat des commissaires de la police nationale, rappelle que la radicalisation d'un individu, même si elle est constatée, ne constitue pas une infraction. "Si on parle d'enfermement préventif sur les individus inscrits dans ce fichier, c'est leur prêter le fait qu'ils soient auteurs d'infraction. En France, la liberté d'opinion est un principe constitutionnel", explique le policier.
"Vouloir placer les fichés S dans un centre administratif est totalement arbitraire, explique de son côté Sébastien Pietrasanta, dans les pages du Monde. Arbitraire, car on ne retient pas des individus de manière préventive sans avoir des éléments matériels qui caractérisent une infraction."
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