Mort du juge Lambert : "Un épisode paroxystique de plus" de la longue affaire Grégory
Franceinfo a interviewé la journaliste Isabelle Baechler. Dès 1984, elle a suivi l'affaire Grégory et côtoyé le magistrat, vivement critiqué pour sa gestion du dossier.
Nouveau drame dans l'affaire Grégory. Un mois après la relance judiciaire du dossier, le juge d'instruction Jean-Michel Lambert a été retrouvé mort, mardi 11 juillet dans la soirée. Il avait été chargé, en 1984, d'instruire cette affaire devenue un fiasco hors normes. Grand reporter à France 2, Isabelle Baechler a suivi, au jour le jour, cette affaire aux rebondissements multiples. Et a longuement côtoyé Jean-Michel Lambert, abondamment mis en cause dans sa conduite de l’enquête sur le meurtre du petit garçon. Franceinfo l'a interrogée.
Franceinfo : Vous avez eu affaire au juge Lambert. Qui était-il ?
Isabelle Baechler : Ce juge était une sorte d'"aubaine" pour les journalistes. Il était tellement désireux de parler à la presse au début de l’affaire que nous étions ravis de pouvoir l’interviewer si facilement. Il tenait de multiples conférences de presse, répondait à nos questions juste après avoir entendu les acteurs du dossier, bref, il faisait peu de cas du secret de l’instruction. C'en était même totalement incroyable.
Ce magistrat était un peu comme un animal pris dans les phares d'une voiture, en l'occurrence dans la lumière des médias.
Isabelle Baechler, grand reporterà franceinfo
Sans vouloir accabler cet homme, aujourd’hui mort, on peut dire de lui qu’il était si fat, imbu de sa personne et en même temps si falot, si influençable qu’il en devenait fascinant. Mais nous avons vite déchanté en voyant à quel point il a raté toute l’enquête.
Il faut se souvenir que tous les premiers actes qui ont été effectués par les gendarmes sous sa direction n'ont pas pu demeurer dans le dossier, tant les erreurs de procédure étaient nombreuses. Les expertises en écritures ou même l’autopsie de l’enfant, absolument insuffisante, tout cela n'a pas tenu le coup… Le juge Lambert, qui était un tout jeune magistrat inexpérimenté, n'a jamais essayé de se faire aider par qui que ce soit. De plus, les gendarmes étaient eux aussi inexpérimentés en matière d'enquête criminelle.
Vous faites le portrait contradictoire d’un homme influençable et fier d'être sous le feu des médias. C'est un cocktail étrange pour un juge d'instruction ?
Un cocktail explosif ! Lorsque Jean-Michel Lambert a été rappelé à l'ordre parce qu'il avait négligé son travail de magistrat dans l’administration des preuves qu’il avait commencé à accumuler, il a brutalement tourné le dos aux gendarmes pour se mettre dans les mains de la police judiciaire de Nancy. C'était une volte-face totale, peut-être à l’origine de la mort de Bernard Laroche. Nous avions en effet été plusieurs à l’avoir alerté sur les dangers que courait Bernard Laroche, qui venait d'être remis en liberté. Le juge Lambert a laissé Bernard Laroche sans protection alors que nous savions tous qu’une terrible tempête agitait le crâne de Jean-Marie Villemin.
Les médias pouvaient donc influencer le travail de ce juge ?
En tout cas, pour ce qui est de cet épisode, le juge n'a pas été sensible à ce signal d'alarme. Disons que les médias avaient une capacité à communiquer avec lui. Mais il avait fait un tri chez les journalistes. Il ne parlait plus qu'aux partisans de sa nouvelle thèse, celle de la culpabilité de Christine Villemin, la mère de Grégory. D’une manière assez terrible, il a ainsi contribué à cliver la presse, avec le camp des "pour" et celui des "contre" Christine Villemin.
On a le sentiment que sa vie, à lui aussi, en a été irrémédiablement bouleversée…
Je ne saurais m'engager sur cet aspect des choses. Il a publié en 2014 un livre intitulé De combien d'injustices suis-je coupable ? où il se vante de ses "faits de guerre".
Je ne sais vraiment pas ce qu'il avait dans la tête. Il était à la fois hésitant, falot, confus… On ne sentait pas l'ombre d'une vision ou d'une analyse structurée à l’époque. A-t-il changé par la suite ? J'en doute.
Isabelle Baechlerà franceinfo
Sa mort contribue à faire de ce dossier une succession de coups de théâtre tragiques…
Surtout, cela intervient dans une semaine où la tragédie continue de se jouer. D’un côté, il y a la manière dont Murielle Bolle, la belle-sœur de Bernard Laroche, qu'elle avait accusé avant de se rétracter, affirme être persécutée sur son lieu de détention. Elle a commencé puis cessé une grève de la faim… De l'autre, il y a sa sœur, la femme de Bernard Laroche, qui nie avoir participé à la supposée correction qu'aurait reçue Murielle Bolle pour lui faire changer son témoignage. Et maintenant, il y a ce décès brutal. Ce dernier acte apparaît comme un écho incroyable. S'il s'avère que le juge s'est suicidé, ce sera un épisode paroxystique de plus à une énigme vieille de trente-trois ans.
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