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Résultats des régionales : pourquoi la prime au sortant a-t-elle autant joué ?

Tous les présidents de conseil sortants, de droite comme de gauche, ont été reconduits dans les 12 régions de l'Hexagone et en Corse.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d Azur, Renaud Muselier, fête la victoire de sa liste auprès de ses militants à Marseille, au soir du second tour des régionales, le 27 juin 2021. (CAMILLE DODET / HANS LUCAS / AFP)

Son sourire trahit son soulagement. Avant le premier tour, Renaud Muselier a cru sentir passer le vent du boulet. Finalement, il rempile à la tête de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) à l'issue du deuxième tour des régionales, dimanche 27 juin. Car le Rassemblement national (RN) n'a pas été en mesure de remporter la seule région où il était arrivé en tête au premier tour : sa tête de liste, Thierry Mariani, n'a rassemblé que 42,7% des voix, contre 57,3% au sortant.

Le Sud-Est n'est pas une exception : dimanche, les 13 présidents de région sortants de l'Hexagone et de la Corse ont vu leur liste arriver en tête du scrutin, avec des scores très confortables, à l'issue du deuxième tour. A l'arrivée, donc, la carte électorale est strictement identique à celle de 2015, avec cinq régions à gauche, sept à droite, et la dernière, la Corse, aux nationalistes. Pourquoi la prime au sortant a-t-elle autant joué ? Explications.

Les présidents sortants ont profité d'un "bénéfice de notoriété"

Petit rappel : "la prime au sortant", explique à franceinfo Martial Foucault, le directeur du Centre de recherches politiques de Sciences po (Cevipof), "est cette dynamique électorale qui fait qu'un candidat à sa succession dispose de deux avantages au départ. Premier avantage : après plusieurs années de mandat, son nom est désormais connu. Deuxième avantage : il est le mieux placé pour défendre son bilan, sur lequel il va s'appuyer."

"C'est le bénéfice de notoriété", résume Arnaud Mercier, professeur en communication politique à l'université Paris 2 Panthéon-Assas. "Tout au long de sa mandature, le président de région sortant se voit consacrer des reportages, des interviews, sans compter les documents officiels qui sont à son nom." Logiquement, ce nom s'inscrit dans les mémoires.

"Ce bénéfice de notoriété favorise les sortants et nuit aux candidats sortis de nulle part, comme l'était par exemple le candidat LREM en Ile-de-France, Laurent Saint-Martin, peu connu en politique."

Arnaud Mercier, professeur de communication politique

à franceinfo

En 2021, le manque de lisibilité des enjeux régionaux, la faible différence entre les programmes et la quasi-absence de campagne a encore accentué le phénomène, estiment les spécialistes.

"La prime au sortant joue encore plus pleinement lorsqu'il y a absence de différenciation dans les programmes des candidats, et sur fond d'indifférence au scrutin. On s'en remet alors à la personne qu'on connaît, donc au président de région sortant."

Martial Foucault, politologue

à franceinfo

"La complexité de l'offre politique favorise ceux qui sont identifiés", renchérit le politiste Rémi Lefebvre, professeur à l'université de Lille 2. Enfin, les élus locaux bénéficient de relais qui peuvent également faire leur publicité. Car ils se sont forgé "une série d'obligés, comme les maires des petites villes par exemple, qui peuvent devenir des soutiens avec des logiques de tiroir-caisse, remarque encore Arnaud Mercier. Ces élus savent qu'un changement à la tête de la région peut remettre en cause des subventions, ou certains projets." 

Les votants étaient âgés, donc souvent "légitimistes"

Autre facteur qui explique la stabilité de la carte des régionales : la très forte abstention du second tour, qui s'est élevée à plus de 65,7%. Comme au premier tour, déjà boudé par 66,72% des Français, les jeunes se sont massivement abstenus. A l'inverse, les plus de 60 ans et surtout les plus de 70 ans se sont fortement mobilisés. Ce qui a favorisé un vote conservateur (au sens propre) en faveur des sortants, analyse Stéphane Zumsteeg, directeur du département Opinion à l'institut Ipsos

"Quand on regarde qui a voté, il y a une surreprésentation des personnes âgées, qui sont plus légitimistes que les autres."

Stéphane Zumsteeg, directeur chez Ipsos

à franceinfo

Selon l'enquête Ipsos/Sopra Steria réalisée du 25 au 26 juin sur "le profil des abstentionnistes", 21% à peine des 18-34 ans disaient vouloir voter au second tour des régionales, contre 39% des 60-69 ans et 58% des 70 ans et plus.

Le profil des abstentionnistes selon le sexe et l'âge. (IPSOS/SOPRA STERIA)

"Il y a une capacité des sortants à mobiliser les personnes âgées", note aussi Rémi Lefebvre. "Cela offre une surprime pour la droite, mais cela a aussi joué en faveur de Carole Delga, la présidente sortante d'Occitanie [réélue à 57,78%]. C'est plutôt un électorat âgé qui a voté pour elle." Et ce vote a semblé d'autant plus s'imposer, selon Stéphane Zumsteeg, que "le bilan des sortants a été jugé positif par plus de 60%, voire 65% des sondés, et qu'il y avait une très forte méconnaissance des autres candidats têtes de liste."

Le vote sanction n'était pas opérant

Ultime raison mise en avant pour justifier la reconduction totale des présidents de ces 13 régions : l'absence de vote sanction… puisque la majorité présidentielle ne dirigeait aucun exécutif régional. 

"Il y a eu un avantage conjoncturel pour les sortants : il se trouve qu'ils étaient tous, à droite comme à gauche, dans l'opposition au pouvoir en place."

Arnaud Mercier, professeur de communication politique

à franceinfo

"Si les sortants sont assimilés au pouvoir en place, ils sont fragilisés, cela peut animer un vote sanction. Mais la configuration très particulière des régionales 2021, avec l'absence d'implantation du parti présidentiel, les a immunisés contre le vote sanction des élections intermédiaires. C'est vraiment singulier par rapport à ce qui se fait d'habitude", poursuit Arnaud Mercier.

L'effet "vote sanction", qui avait été particulièrement net en 2015 contre François Hollande et en faveur de la droite, n'a donc pas pu se reproduire, constate Stéphane Zumsteeg. "Avant 2015, rappelle-t-il, la gauche dirigeait 21 régions sur 22. En 2015, lorsque ces 22 régions sont devenues 13 grandes régions, la gauche n'a gardé que cinq d'entre elles. Mais cette fois-ci, il n'y a pas eu d'alternance, même pas de changement de liste ni de score serré."

Avec un sérieux bémol sur la représentativité du scrutin puisqu'à peine un Français sur trois a voté. Moins de 21% des habitants d'Occitanie se sont ainsi prononcés pour la socialiste Carole Delga, qui a obtenu le plus gros score pour ce second tour des élections régionales, avec 57,8% des suffrages exprimés. Et en Bretagne ou dans le Grand Est, à peine un électeur sur dix a voté pour la liste arrivée en première position.

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