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Elections régionales 2021 : le numéro d'équilibriste des ministres candidats pour éviter le mélange des genres

Les ministres qui se présentent aux élections, mais aussi leurs conseillers, sont soumis à des règles très strictes pour éviter de mélanger la campagne électorale et leur fonction au sein du gouvernement. Mais quelques zones d'ombre subsistent. 

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti (au centre), et le secrétaire d'Etat aux Retraites, Laurent Pietraszewski (à dr., avec l'écharpe), en campagne pour les régionales, le 8 mai 2021, à Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais).  (FRANCOIS LO PRESTI / AFP)

Ils sont scrutés de très près par leurs adversaires politiques. Pas moins de 15 ministres sont engagés dans la bataille des élections régionales et départementales qui se joue les 20 et 27 juin. Qu'ils soient têtes de liste ou simples candidats, la règle est la même pour tous : "Ils ne doivent jamais utiliser les facilités de la fonction dans laquelle ils se trouvent", explique la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) à franceinfo. En cas de dérapage avéré, les comptes de campagne des candidats fautifs pourraient être invalidés.

Cela n'a pas échappé aux concurrents de la majorité présidentielle. Dans les Hauts-de-France, Sébastien Chenu, tête de liste RN, a ainsi accusé Eric Dupond-Moretti, le très médiatique garde des Sceaux et tête de liste LREM dans le Pas-de-Calais, d'utiliser les moyens de sa fonction pour faire campagne. 

Contacté par franceinfo, Sébastien Chenu explique que ces accusations ont été tenues à l'antenne par un journaliste de BFMTV avant d'être finalement corrigées. La République en marche dément en effet la moindre faute dans cette affaire : "Il n'y a aucune utilisation des moyens du ministère. Lorsque Eric Dupond-Moretti quitte Paris pour les Hauts-de-France, c'est aux frais de la campagne des régionales. C'est complètement hermétique", explique-t-on. "Sur place, il est véhiculé par des militants. Quant à son téléphone, il utilise son portable personnel qu'il paie lui-même", précise l'entourage du ministre à franceinfo. 

Un engagement sur le temps personnel

Seule exception à cette règle très stricte : le recours aux gardes du corps. Le personnel de sécurité, dont le nombre dépend du grade du ministre, continue d'accompagner le membre du gouvernement sur son temps de campagne comme il le fait déjà sur son temps personnel. "C'est très particulier puisqu'un ministre est toujours en risque", précise LREM. "Mon officier de sécurité m'accompagne, mais pas mon cabinet", confirme la ministre déléguée au Logement, Emmanuelle Wargon, tête de liste dans le Val-de-Marne.

Pour le reste, c'est niet. Pas de voiture de fonction, pas de chauffeur, des frais de bouche payés par la campagne. "Je conduis ma propre voiture pour me rendre aux évènements militants", raconte par exemple Emmanuelle Wargon.  

"Aucun moyen de l'Etat n'est mis à contribution évidemment, ni pour les trajets ni pour les événements eux-mêmes."

Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au Logement

à franceinfo

Le moindre détail doit être pensé, au risque de commettre un faux pas. "Cela concerne même l'accès à la presse payante. Les équipes de campagne doivent prendre des abonnements. Tout est hyper contrôlé", explique la direction du parti. Les ministres font d'ailleurs essentiellement campagne sur leur temps libre. "Les déplacements et événements de campagne sont organisés majoritairement en fin de journée et le week-end", détaille Emmanuelle Wargon.

Une période de réserve

En pratique, les candidatures des ministres aux élections régionales ou départementales ne sont pas sans conséquences sur leurs fonctions ministérielles. Ils doivent respecter scrupuleusement une note de la secrétaire générale du gouvernement (SGG), consultée par franceinfo et en date du 15 avril, qui concerne tous les membres du gouvernement, même ceux qui ne sont pas candidats. 

Cette note impose un devoir de réserve aux ministres afin de ne pas porter atteinte à la sincérité du scrutin. Ils ne doivent pas annoncer de réforme et s'abstenir de déplacement officiel, sauf cas particulier pour lequel il faut demander une autorisation. Les ministres dont le portefeuille ne touche pas aux compétences des régions ou des départements ne sont toutefois pas concernés : Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, peut ainsi poursuivre ses déplacements en lien avec la diplomatie. 

Ce n'est pas le cas de Marc Fesneau, ministre chargé des Relations avec le Parlement et tête de liste dans le Centre-Val de Loire, forcé de limiter ses interventions en tant que membre du gouvernement. 

Il y a des choses en gestation dont j'aimerais bien parler, mais je ne peux pas.

Marc Fesneau, ministre chargé des Relations avec le Parlement

à franceinfo

"Cela ne nous empêche pas de faire tourner le ministère, mais on ne peut pas valoriser l'action gouvernementale", souligne le ministre. Et ce dernier de regretter que la règle, édictée par le gouvernement, ne soit pas étendue aux sortants. "Un président de région peut faire des annonces jusqu'au dernier jour..." glisse-t-il.

Les accusations de l'avocat Juan Branco

Si les ministres sont astreints à des règles, il en va de même pour leurs équipes ministérielles. Les collaborateurs doivent faire extrêmement attention s'ils souhaitent participer à la campagne de leur ministre. Si c'est un engagement à temps plein, ils n'ont d'autre choix que de démissionner ou d'être mis en disponibilité. "Deux de mes conseillers ont démissionné pour s'engager dans la campagne", explique ainsi Marc Fesneau. Autrement, les conseillers peuvent s'engager, mais uniquement sur leur temps personnel. "Ils le font sur leurs nuits, leurs week-ends, les vacances. Il n'y a aucune porosité, mais une barrière extrême entre leurs deux occupations", assure-t-on à LREM. 

Faux, a sous-entendu sur Twitter le sulfureux avocat parisien Juan Branco. Ce dernier, qui n'a pas répondu aux demandes de franceinfo, a révélé sur le réseau social un document interne de la campagne d'Eric Dupond-Moretti, accusant le cabinet du ministre d'être pleinement impliqué dans l'organisation de cette bataille électorale. 

"Le document de Juan Branco témoigne seulement du fait que Jean Gaborit, qui coordonne la campagne d'Eric Dupond-Moretti, a très bien organisé la campagne. On n'y retrouve aucun nom du cabinet", s'agace l'entourage du ministre. Jean Gaborit, dont L'Opinion avait tiré le portrait, est l'ancien adjoint du chef de cabinet d'Emmanuel Macron. Il avait également été chef de cabinet du garde des Sceaux pendant quelques semaines en 2020 avant de démissionner, et ne fait donc plus partie de l'équipe ministérielle d'Eric Dupond-Moretti. 

Quant à une autre collaboratrice, citée par Juan Branco dans un second tweet, elle est bien conseillère d'Eric Dupond-Moretti, en charge des élus locaux et des collectivités, mais elle est aussi sa cheffe de cabinet adjointe. "Le seul lien qu'elle fait avec les équipes de campagne concerne l'agenda du ministre pour leur dire, par exemple, à quelle heure il est disponible", affirme l'entourage du ministre de la Justice. 

La zone grise des conseillers com'

Les rôles semblent en revanche bien moins cloisonnés concernant les conseillers presse et communication des ministres, que les journalistes ont l'habitude d'avoir comme interlocuteurs. Franceinfo en a récemment fait l'expérience avec le cabinet de Marlène Schiappa, ministre chargée de la Citoyenneté et tête de liste LREM à Paris. Intrigués par l'opération "Allô Marlène" lancée par la candidate dans le cadre des régionales, nous avons cherché à la joindre grâce au numéro de portable dévoilé par son équipe de campagne sur les réseaux sociaux. Après un premier échec et un message laissé sur le répondeur, Marlène Schiappa nous a finalement rappelés.

Après cette interview, nous avons reçu un SMS de la part de l'entourage de Marlène Schiappa pour valider ses citations, une pratique courante dans la presse écrite. Problème : ce message ne provenait pas de son équipe de campagne mais d'une de ses conseillères ministérielles, cette dernière demandant d'envoyer les citations... sur son adresse e-mail du ministère de l'Intérieur. 

Echanges entre franceinfo et la conseillère presse de Marlène Schiappa.  (CAPTURE FRANCEINFO)

Contactée spécifiquement à ce sujet, la conseillère s'est défendue de tout mélange des genres. "Marlène Schiappa n'est pas avec moi à ce moment-là, je ne peux absolument pas deviner, quand je suis sollicitée par la presse – comme je le suis des centaines de fois par jour –, qu'il s’agit d'une sollicitation pour la campagne", assure-t-elle, confirmant être engagée sur son temps personnel pour la candidature de Marlène Schiappa et avoir participé à plusieurs événements de campagne pour lesquels elle a posé des congés.

"Si elle a répondu sur son temps personnel, très bien, mais alors avec un mail personnel, pas avec un mail pro", glisse une source à la Commission des comptes de campagne. La CNCCFP dispose d'un pouvoir d'appréciation et "un mail, ça ne coûte rien", tempère notre interlocuteur. "Si elle a utilisé le mail du ministère, ce serait une erreur", convient toutefois, gênée, une source à LREM. La direction du parti souligne pour sa part qu'une conseillère communication "est en charge de l'image de son ministre, c'est donc un enjeu de com'".

Combien sont-ils dans les ministères à s'engager sur leur temps personnel dans la campagne de leur ministre ? Difficile de le savoir. "Nous ne faisons pas de comptage mais ce n'est pas la majorité", assure la direction de LREM, expliquant qu'avec la limitation du nombre de collaborateurs dans les cabinets ministériels, ceux-ci sont déjà bien occupés.

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