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Vrai ou faux L'entreprise américaine de vote électronique Dominion pourrait-elle être à l'origine d'une fraude lors de la présidentielle française ?

La société est accusée d'avoir truquée l'élection de Joe Biden aux Etats-Unis en 2020. Mais elle ne joue aucun rôle dans le scrutin en France. Par ailleurs, le vote électronique y est très minoritaire, même s'il est vrai qu'il souffre d'un manque de transparence.

Article rédigé par franceinfo - Pierre Angrand
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Publié Mis à jour
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Un homme vote aux élections régionales sur une machine à voter, le 20 juin 2021, à Theix-Noyalo (Morbihan). (BAPTISTE ROMAN / HANS LUCAS)

C'est une rumeur qui a agité les réseaux sociaux ces dernières semaines. A quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle en France, de nombreuses publications virales ont accusé le gouvernement de préparer une fraude massive en confiant la compilation des votes à l'entreprise américaine Dominion, spécialisée dans le vote électronique. Cette société privée, régulièrement ciblée par des publications complotistes, avait été accusée par Donald Trump et des membres du mouvement Qanon d'avoir truqué l'élection présidentielle américaine de 2020 à l'aide de ses machines à voter électronique. Mais alors, existe-t-il un risque de fraude électronique massive à l'élection présidentielle française ?

"Dominion n'opère pas en France"

L'entreprise Dominion Voting Systems, qui affirme sur son site internet être un des principaux fournisseurs de technologie électorale dans le monde, a nié auprès de l'AFP son implication dans le scrutin de dimanche : "Dominion Voting Systems n'opère pas en France". Ce qu'a confirmé le ministère de l'Intérieur : "Le ministère de l'Intérieur ne fait pas et n'a jamais fait appel aux services de la société Dominion dans le cadre de l'organisation des élections", a affirmé l'entourage du ministre auprès de l'agence de presse. Celui-ci a d'ailleurs assuré ne pas faire appel à des prestataires extérieurs dans le cadre des opérations de centralisation des votes.

Dominion n'aura donc aucune influence sur le déroulement de l'élection présidentielle. Mais le vote électronique, lui, sera effectivement mis en place dans certaines communes pour les scrutins du 10 et du 24 avril 2022, de manière très limitée. Ainsi, une soixantaine de communes françaises pourront équiper certains ou la totalité de leurs bureaux de vote de "machines à voter". Autorisées à partir de 1969, ces machines peuvent être mises en place dans les bureaux de vote des communes de plus de 3 500 habitants figurant sur une liste validée dans chaque département par le représentant de l'Etat, stipule le Code électoral. La ville du Havre (Seine-Maritime) par exemple, affirme sur son site internet équiper tous ses bureaux de vote de machines à voter depuis 2005. "Un peu plus d'un million d'électeurs ne peuvent voter que de manière électronique, ce qui représente près de 3% des électeurs" en France, explique Chantal Enguehard, maîtresse de conférences au département d'informatique à l'université de Nantes.

Des machines à voter critiquées pour leur manque de transparence

Toutefois, depuis 2008, un moratoire restreint leur utilisation aux seules communes qui avaient opté pour cette modalité à cette date. Une décision prise après les critiques ciblant le vote électronique, venant notamment d'universitaires. En cause, des problèmes dans la transparence de l'élection. "Quand un électeur vote avec un bulletin papier, le bulletin dans l'urne transparente est bien celui qui est comptabilisé le soir, tout le monde peut le voir, analyse Chantal Enguehard. Avec le vote sur machine, c'est comme si une entreprise privée prenait les bulletins et allait les recopier dans une pièce fermée en vous disant de lui faire confiance."

Pierrick Gaudry, chercheur au CNRS et spécialiste du vote électronique, ne dit pas autre chose : "Tout ce que l'électeur a devant lui, c'est une machine dont il ne comprend pas le fonctionnement."

"C'est parce que les élections sont transparentes que les électeurs qui ont voté pour le perdant peuvent accepter le résultat. Avec ce système, quel que soit le résultat donné par la machine, il faut l'accepter alors que le dépouillement n'est pas observable."

Chantal Enguehard, maîtresse de conférences au département d'informatique à l'université de Nantes

à franceinfo

Les critiques qui visent le vote électronique soulignent également les problèmes techniques qu'il peut poser. L'Observatoire du vote, qui publie depuis 2007 un rapport pour chaque élection, note ainsi une anomalie constante : à chaque scrutin, il y a un écart entre les votes exprimés et les émargements (les listes où l'électeur doit signer à côté de son nom après avoir voté). Or cette différence est en moyenne trois à cinq fois plus importante dans les bureaux où des ordinateurs de vote sont installés. Rien ne prouve cependant que ces écarts soient dus à une manipulation du vote, et ils pourraient être liés à un mode de scrutin auquel les assesseurs sont moins habitués. Autre éventualité problématique, Chantal Enguehard rappelle que, comme pour tout appareil informatique, les machines à voter sont susceptibles d'être victimes de bugs.

Des scellés posés sur les appareils

De là à parler d'un risque de fraude électorale ? Le ministère de l'Intérieur assurait en 2021 à Franceinfo que "les risques de fraude ou de défaillance n'ont jamais été avérés sur les anciens modèles de machines à voter (toujours utilisés)". Pour Beauvau, "un accès physique" à la machine serait "la seule façon" de la "détourner" de son bon fonctionnement. Pour l'éviter, des "scellés" sont posés sur les appareils pour s'assurer qu'ils n'ont pas été ouverts entre le moment de leur configuration pour l'élection et le jour du vote.

Selon Pierrick Gaudry, ce risque n'est cependant pas inexistant, d'autant plus que les machines les plus récentes ont été fabriquées en 2008, ce qui les rend, selon le chercheur, plus vulnérables aux techniques de piratage actuelles. "Sécuriser le vote des machines est extrêmement difficile. Par nature, pour les machines utilisées en France, on ne peut pas avoir d'autres garanties que celles des gens qui les ont auditées avant le scrutin. Si les votes sont modifiés, on n'a pas moyen de le savoir." Un risque problématique au regard du manque de transparence du processus. "Dans une période où les fake news circulent à grande vitesse, ça ne me semble pas être une bonne idée de rajouter du doute", ajoute le chercheur.

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