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Présidentielle : "J'espérais un peu plus de conviction", raconte la lycéenne qui a interpellé Emmanuel Macron sur l'urgence climatique

Article rédigé par Clément Parrot - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Emmanuel Macron répond aux lecteurs de la presse locale, le 18 mars 2022, à Pau (Pyrénées-Atlantiques). (JACQUES WITT / SIPA)

Lors d'une rencontre à Pau, Anna Katarina a été sélectionnée pour poser une question au président, candidat à sa réélection. "Il a tourné autour du pot", estime après coup cette jeune militante écologiste, interrogée par franceinfo.

On est parfois sérieux quand on a 18 ans. Anna Katarina, lycéenne qui habite la petite ville de Nay (Pyrénées-Atlantiques), a interpellé Emmanuel Macron sur l'urgence climatique, lors d'une rencontre organisée à Pau avec des lecteurs de la presse locale. La jeune militante de l'organisation Youth for Climate a demandé au candidat ce qu'il avait à dire à la jeunesse qui descend dans la rue pour manifester son inquiétude concernant le réchauffement climatique.

Anna Katarina, élève en terminale, aimerait bien envisager une carrière dans la recherche scientifique, mais elle souffre d'anxiété climatique et peine à envisager l'avenir. A l'occasion de la journée mondiale de mobilisation de la jeunesse pour le climat, vendredi 25 mars, franceinfo a choisi de donner la parole à cette jeune militante.

Franceinfo : Pouvez-vous nous raconter les coulisses de votre question, de l'inscription pour pouvoir interroger Emmanuel Macron jusqu'au face-à-face avec le président de la République ?

Anna Katarina : Sur le site de La République des Pyrénées, je suis tombée par hasard sur l'information concernant la venue d'Emmanuel Macron à Pau. A la base, je voulais qu'on organise un blocage ou une manifestation, sauf que les délais étaient trop courts. Et puis, j'ai vu que les lecteurs pouvaient venir débattre avec lui. Je me suis donc dit, un peu pour la blague : "pourquoi ne pas l'interpeller sur l'écologie ?"

Je suis une jeune activiste, fortement opposée à certaines de ses idées, et je voulais lui montrer que la jeunesse était là. A l'arrivée, on a été bloqué par les contrôles un bon moment, donc on n'a pas pu avoir le briefing prévu. Je suis arrivée au dernier moment, mais les journalistes étaient quand même très gentils. Ils n'ont même pas relu mon texte, j'étais un peu dans l'inconnu.

Quel a été votre ressenti sur le moment ?

J'aurais aimé un peu plus de débat qu'un simple questions-réponses. On posait une question, Macron faisait un discours bien préparé et on passait à la suite. En plus, la salle était remplie de ses partisans. Vu que je suis une opposante, c'était assez peu rassurant. D'autant que je suis une personne assez anxieuse et timide.

"J'avais beaucoup de choses à dire et peu de temps."

Anna Katarina

à franceinfo

Je voulais lui raconter notamment que lors d'un stage à l'observatoire du pic du Midi, je me suis rendue compte que la recherche n'était pas du tout valorisée, notamment sur le sujet du réchauffement climatique. Mais je n'ai pas eu le temps.

Le seul moment qu'on a eu, c'est avant la photo de groupe et il m'a dit : "Non, mais je comprends parfaitement votre colère." Et il m'a tapé sur l'épaule. Son ton était fortement paternaliste à mon égard, en raison de mon genre, j'imagine... Je suis une femme, jeune, et j'étais assez stressée face à une assemblée qui le supportait et face à beaucoup de caméras. Mais le président en lui-même ne m'impressionne pas. Je n'ai juste pas l'habitude de parler en public.

Avec le recul, êtes-vous satisfaite de la réponse apportée par Emmanuel Macron ?

Je ne suis absolument pas satisfaite. Je suis encore plus en colère. Je trouve qu'il a tourné autour du pot. Je lui parlais d'urgence climatique et il me parlait de financer l'éducation, les retraites... Evidemment tous ses alliés l'applaudissaient dans la salle. Il a dit qu'il n'était absolument pas enchaîné par les lobbys et ça m'a fait franchement rire, entre les dossiers du glyphosate et celui sur les néonicotinoïdes. Au lieu de me parler de mesures concrètes, il me parlait des ménages moyens, de changer leur mode de vie. Je trouve ça inacceptable venant de la part d'un gouvernement ayant été condamné pour inaction climatique.

"Je ne suis pas surprise, mais je suis révoltée."

Anna Katarina

à franceinfo

Le président a évoqué l'éco-lucidité pour répondre à l'éco-anxiété dont vous avez témoigné. Qu'est-ce que vous évoque ce concept ?

Déjà, l'éco-anxiété, c'est un fait. Il y a plusieurs études qui en parlent. En septembre 2021, une étude publiée dans la revue The Lancet Planetary Health a interrogé plus de 10 000 adolescents et jeunes adultes dans 10 pays pour comprendre leur perception du changement climatique et la manière dont cela affectait leur santé mentale. Et les résultats sont sans appel : 84% des répondants disent être inquiets face à ce phénomène, 59% très inquiets et plus de la moitié se sentent en colère, coupables ou impuissants. Ces chiffres sont réels.

"L'éco-anxiété existe, pourtant le président a totalement nié ce phénomène. Il a réduit au silence ce que ressentent les jeunes."

Anna Katarina

à franceinfo

Il a dit qu'il n'aimait pas le terme d'anxiété car il était lié à la paralysie. Pourtant, ces dernières années, les jeunes ne sont pas cachés sous leur couette. Au contraire. Ils manifestent, ils descendant dans la rue, ils font grève pour montrer leur indignation. Ils agissent contrairement aux gouvernements. Et son terme d'éco-lucidité, à mon sens, c'est un terme de start-up nation. Je crois qu'il préfère utiliser ce terme pour se dédouaner, car cette éco-anxiété existe et lui fait un peu partie du problème. 

Qu'auriez-vous aimé entendre de la part d'Emmanuel Macron ? Qu'attendez-vous d'un président de la République au niveau de la lutte contre le dérèglement climatique ?

J'espérais un peu plus de conviction, de grandes mesures à prendre, mais c'était sans doute un peu naïf de ma part. Je ne suis finalement pas étonnée de ses réponses qui invitent les citoyens à changer, alors qu'il a lui-même le pouvoir de faire beaucoup. On sait très bien que le problème ne vient pas des foyers français moyens. Il faut être aveugle pour penser ça. 

"J'attends des actes drastiques, que notre colère soit enfin prise en compte."

Anna Katarina

à franceinfo

On ne veut plus de blabla, il y a des solutions qui existent, mais on préfère céder au capitalisme. Si on demande à une lycéenne de 18 ans un plan socio-économique pour lutter contre le changement climatique, alors qu'il y a des tas de professionnels qui avancent des solutions, ce serait un peu idiot. Il y a des réponses, mais on fait mine de dire que ça n'existe pas, que ça ne marche pas comme ça.

Comment imaginez-vous votre avenir, votre vie en 2050, date à laquelle la France prévoit d'atteindre la neutralité carbone ?

J'ai un peu du mal à prévoir mon avenir dans les prochaines années. En 2030, on prévoit que les +1,5 °C (de réchauffement) seront dépassés et les conséquences seront déjà terribles, donc imaginez en 2050. Il y aura des milliards d'exilés climatiques, des famines, des catastrophes naturelles. Je ne suis même pas alarmiste, je suis réaliste, ce sont des chiffres donnés par des scientifiques. Les conséquences ne seront pas que dans des pays lointains, elles seront visibles chez nous en France, donc je ne sais pas comment sera mon avenir en 2050, mais je le vois très sombre. Je suis pessimiste.

Que pensez-vous de la campagne actuelle ? Les questions climatiques sont-elles suffisamment présentes, selon vous ?

Je trouve cette campagne catastrophique. On exclut certains candidats, il y a des refus de débat, les principaux sujets sont liés à l'immigration, à des idées d'extrême droite, alors que ce ne sont pas les priorités des Français. Je trouve ça scandaleux.

"La question climatique devrait être une priorité et elle ne l'est pas du tout. Ce n'est pas rassurant, c'est même vraiment alarmant."

Anna Katarina

à franceinfo

Que répondez-vous à ceux qui disent qu'à 18 ans "vous êtes trop jeunes pour comprendre ces problématiques et avoir un avis construit" ?

J'ai envie de leur répondre que s'il faut avoir toutes les connaissances du monde pour avoir un avis, personne ne serait légitime. Certes, à 18 ans, on peut être un peu perdu, il y a plein d'informations, on peut être naïf, mais il y a des chiffres qui ne trompent pas. De nombreux politiciens ont commencé très jeunes dans leur lutte, et je ne pense pas qu'on leur a reproché. 

"Il faut arrêter de croire que la nouvelle génération n'y connaît rien. Au contraire, on est la première à avoir autant accès aux informations du monde entier."

Anna Katarina

à franceinfo

On ne peut pas tout savoir, tout comprendre, mais personne ne le peut. On peut quand même réfléchir par soi-même. Quand on voit qu'il y a 100 entreprises responsables de plus de 70% des émissions mondiales de carbone [selon un rapport de 2017], on n'est pas dupes.

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