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Présidentielle 2022 : le "procès en imposture" intenté par Valérie Pécresse à Emmanuel Macron peut-il payer ?

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
La candidate des Républicains, Valérie Pécresse, en meeting à Nîmes (Gard), le 17 mars 2022. (PASCAL GUYOT / AFP)

La candidate des Républicains accuse son adversaire d'avoir pillé certaines de ses propositions. Cette stratégie de "l'original face à la copie" est-elle la bonne ?

"Il nous a présenté son projet : c'est un projet du déni et de la contrefaçon, mes amis." Valérie Pécresse arpente l'estrade du gymnase du Parnasse, lors d'une réunion publique à Nîmes, jeudi 17 mars. Face à ses soutiens, micro à la main, la candidate des Républicains fustige le programme d'Emmanuel Macron, dévoilé quelques heures plus tôt. Une "mauvaise copie" du sien, selon elle. "L'original n'est pas la copie et la vraie candidate du courage de faire, c'est moi", lance la présidente de la région Ile-de-France.

Un argumentaire repris immédiatement par ses troupes. "Les seules idées nouvelles sont empruntées à Valérie Pécresse", tacle sur Twitter le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau. "Est-ce qu'il y a de la contrefaçon ? C'est évident. Il s'aligne sur des positions que l'on avait prises avant lui. Mais le vrai sujet, c'est celui de la crédibilité puisqu'il a fait l'inverse pendant cinq ans", assure à franceinfo Othman Nasrou, l'un des porte-parole de la campagne de Valérie Pécresse.

Réforme du RSA, retraite à 65 ans, nucléaire...

De quelles "positions" parlent Valérie Pécresse et ses soutiens ? L'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy en cite plusieurs. La recul de l'âge légal de départ à la retraite à 65 ans en serait un. Emmanuel Macron propose "dès l'été 2022", "le relèvement progressif de l'âge légal de départ à la retraite à 65 ans" tandis que Valérie Pécresse parle du "relèvement progressif de l'âge légal de départ à la retraite à 65 ans à horizon 2030, avec la prise en compte de la pénibilité et des carrières longues".

Sur ce point, force est de constater que le président sortant a changé d'avis. Il a fait le choix de ne pas reprendre la réforme des retraites abandonnée sous son quinquennat. "Les conditions macroéconomiques ne sont pas les mêmes et je tire les enseignements de ce qui n'a pas été compris", a-t-il expliqué lors de sa conférence de presse jeudi. Interrogé sur les similitudes de son programme avec Valérie Pécresse, ce dernier a balayé la critique. "Je m'en fiche royalement, totalement, présidentiellement", a-t-il répliqué.

"Ce qui compte, c'est ce qui fonctionne pour le pays, ce qui est juste, ce qui rend plus fort, ce qui permet aux Françaises et aux Français de vivre mieux."

Emmanuel Macron

lors de la présentation de son programme

Le président-candidat a aussi défendu de "vraies différences" concernant cette réforme des retraites, sans développer. Il a en revanche été plus prolixe sur la réforme du RSA, autre idée qu'il aurait "copiée" sur Valérie Pécresse. Cette dernière souhaite conditionner le RSA "à 15 heures d'activité d'intérêt général". Emmanuel Macron promet "l'obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine" à une activité facilitant l'insertion professionnelle. "Je ne propose pas des travaux d'intérêt général" mais "un travail, une formation, une insertion", a répondu le président en campagne. "Ça peut être des soins, de l’accompagnement psychologique, ça peut être de la formation", a précisé Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques.

Macron : "Je m'en fiche royalement"
Macron : "Je m'en fiche royalement" Macron : "Je m'en fiche royalement"

Autre sujet dénoncé par le camp Pécresse : le nucléaire. La candidate LR propose la construction de six EPR ; Emmanuel Macron veut "poursuivre la construction de six premières centrales nucléaires nouvelle génération". "Valérie Pécresse l'avait proposé avant lui, il l'a rejoint. Emmanuel Macron avait annoncé la fermeture de 14 centrales il y a 3 ans", assure Othman Nasrou. "On parlait nucléaire bien avant elle", contre-attaque le député LREM Roland Lescure. En réalité, la position d'Emmanuel Macron a évolué depuis 2017. Le virage pronucléaire de la fin de son quinquennat tranche avec ses positions de début de mandat, comme le raconte L'Obs.

"Tout cela fait un peu cour d'école"

Mais quelle est la stratégie de Valérie Pécresse ? Pour ses soutiens, il s'agit de souligner la versatilité du président. "Il change d'avis sur des sujets aussi majeurs que la réforme des retraites où il a expliqué qu'il ne fallait pas toucher à l'âge légal. Qu'est-ce qui me dit qu'il ne va pas encore changer d'avis ?" ironise Othman Nasrou. "Foutaises, rétorque Roland Lescure, au fond, tout cela fait un peu cour d'école... L'essentiel est de faire les bonnes choses."

Pour le politologue et chercheur au CNRS Bruno Cautrès, l'angle d'attaque de Valérie Pécresse n'est pas forcément le bon. La candidate apparaît "sur la défensive". "Elle a du mal à imposer ses thèmes et Emmanuel Macron présente des propositions qui peuvent plaire à des électeurs de centre-droit", analyse-t-il.

"Le principal problème de Valérie Pécresse est de mettre des idées sur la table plutôt que de dire 'il pique mes idées'. Elle instruit un procès en imposture qui ne prend pas."

Bruno Cautrès, politologue

à franceinfo

Emilien Houard-Vial, doctorant au centre d'études européennes et de politique comparée, doute lui aussi de l'efficacité de la stratégie des Républicains. Ce dernier prend l'exemple de Nicolas Sarkozy qui a réussi à s'imposer en 2007 avec certaines idées empruntées au FN et qui échoue cinq ans plus tard à se faire réélire. "En 2007, il a face à lui un Jean-Marie Le Pen avec beaucoup de casseroles et il a montré sa capacité à gouverner en tant que ministre de l'Intérieur. Mais en 2012, il a un bilan contrasté et c'est Marine Le Pen en face de lui. A ce moment-là, les électeurs préfèrent l'original à la copie", illustre-t-il.

Pour le chercheur, ce qui fait la différence, c'est la bonne position ou non du candidat, dans les sondages ou l'opinion publique. "Or, Emmanuel Macron est mieux positionné que Valérie Pécresse. Est-ce que cela va choquer des électeurs qu'il pique des idées à la candidate LR ? Pas sûr." Surtout, rappelle-t-il, Emmanuel Macron a déjà mis en œuvre durant son mandat des mesures portées par la droite, notamment sur le plan économique.

Le "baiser de la mort"

Le président sortant l'a bien compris. Il n'a ainsi pas exclu de nommer Valérie Pécresse dans son prochain gouvernement en cas de réélection. "Il faut rassembler tous les responsables politiques sincères qui partagent ce projet, qu'ils viennent de droite ou de gauche", a-t-il dit jeudi. "C'est un peu le baiser de la mort", juge Emilien Houard-Vial. "Il lui a planté un couteau dans le dos", renchérit Bruno Cautrès. Et pour cause : le candidat d'extrême droite, Eric Zemmour, qui ne cesse de souligner les similarités entre Valérie Pécresse et Emmanuel Macron a sauté sur l'occasion.

Valérie Pécresse, qui cherche depuis des semaines à se défaire de l'étiquette "Macron-compatible" que certains lui ont collée, a été forcée de réagir. "Moi, présidente de la République, je ne le prendrai pas comme ministre. Son bilan, c'est son boulet", a-t-elle taclé. Pas sûr que cela suffise. En allant délibérément sur le terrain de son adversaire, Emmanuel Macron veut poursuivre le siphonnage des voix du centre-droit et de la droite. "Je pense qu'il a verrouillé, pour les trois semaines qui viennent, toute espérance de remontée, c'est bien joué de sa part", conclut Emilien Houard-Vial.

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