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Grand entretien Présidentielle 2022 : entre Emmanuel Macron et l'extrême droite, quel espace politique pour Valérie Pécresse après sa victoire au congrès LR ?

Pour le politologue Bruno Cautrès, le succès de Valérie Pécresse au congrès LR se double d'une victoire pour les idées conservatrices de l'ex-président du parti, Laurent Wauquiez. L'ancienne ministre doit maintenant composer avec une ligne hostile au centre-droit en vue de l'élection présidentielle, plus indécise que jamais.

Article rédigé par franceinfo - Thibaud Le Meneec
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Valérie Pécresse dans la ville du Cannet (Alpes-Maritimes), le 13 novembre 2021. (ERIC DERVAUX / HANS LUCAS)

Le plus dur commence pour Valérie Pécresse. Désignée candidate des Républicains après le congrès du parti, samedi 4 décembre, la présidente de la région Ile-de-France doit désormais s'employer à rassembler son camp. Une gageure, alors que son parti est pris en tenaille entre une majorité lorgnant à droite et une droite radicale en pleine poussée médiatique. La compétition vient aussi de l'intérieur : l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy est contrainte de composer avec l'ambition d'Eric Ciotti, son dauphin aux idées plus identitaires que les siennes.

Dans cette configuration, la droite peut-elle se frayer un chemin vers le second tour de l'élection présidentielle, en avril prochain ? Pour tenter d'y voir clair dans ce pan du paysage politique, franceinfo s'est entretenu avec le politologue Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po.

Franceinfo : Valérie Pécresse est sortie victorieuse de ce congrès en recueillant près de 70 000 voix (contre près de 3 millions de voix pour François Fillon lors de la primaire ouverte de 2016). Peut-elle vraiment affirmer que la droite est "de retour" ?

Bruno Cautrès : Tout dépend de ce qu'on appelle la droite. Au sens de l'omniprésence des thèmes qu'elle aborde habituellement, la droite est incontestablement de retour. Au sens des Républicains, il est évidemment trop tôt pour le dire. Elle se porte un peu mieux qu'il y a quelques mois, quand se posait l'éventualité de deux candidats concurrents, avec la possibilité de voir Xavier Bertrand mener son aventure en solo. Le parti a réglé un certain nombre de problèmes de forme sur la manière de se lancer dans la bataille. Pour Les Républicains, l'horizon est un peu plus dégagé que lors des premières années du mandat d'Emmanuel Macron.

La présence au second tour d'Eric Ciotti, tenant d'une ligne très assumée à droite, est-elle vraiment une surprise ?

Indépendamment d'Eric Ciotti, quand une organisation est en crise, elle a tendance à régler cette crise par une affirmation de son identité sur un marqueur très fort. Il y avait déjà, en toile de fond, un problème de crise d'identité à régler, avec l'idée de réaffirmer ce qu'était être chez LR, être de droite… De plus, Eric Ciotti, très connu chez les militants, disposait de solides ancrages locaux. Avec l'idée que celui qui incarnait la fidélité au parti, c'était lui et pas Michel Barnier, longtemps à Bruxelles.

Fermeté sur les sujets régaliens, libéralisme en matière économique… En quoi le positionnement de Valérie Pécresse est-il différent de celui de François Fillon il y a cinq ans ?

Chez Valérie Pécresse, on retrouve les fondamentaux des postures de candidats de droite depuis très longtemps, comme Nicolas Sarkozy en 2007. La droite a l'habitude de prôner l'ordre public et la baisse des impôts. Pendant les quatre débats, Valérie Pécresse est parvenue à faire passer ce double message, en se servant de ses réalisations de présidente de la région Ile-de-France, notamment sur la réduction du nombre de fonctionnaires.

Avec cette percée d'Eric Ciotti, conjuguée au départ de Renaud Muselier du parti, le centre de gravité des Républicains se déplace-t-il à droite ?

Par rapport à ce qu'a voulu être l'UMP à sa création en 2002, oui. L'UMP est morte par sa difficulté à maintenir cette union avec les centristes, défendue au début du mouvement. Lors des vingt dernières années, le discours ne s'est pas gauchisé. Au contraire, le curseur s'est déplacé à droite.

Aujourd'hui, on observe une mise en exergue très forte des thèmes sécuritaires et migratoires par rapport à la panoplie des autres thèmes dans la besace de la droite, comme les questions économiques ou les questions européennes. Le vainqueur caché de ce congrès, c'est Laurent Wauquiez.

"Laurent Wauquiez n'a pas eu besoin d'être candidat pour que ses thèmes de prédilection soient présents dans le débat."

Bruno Cautrès, politologue

à franceinfo

Néanmoins, un sujet pourtant cher au président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a été peu abordé dans les débats : le pouvoir d'achat des classes moyennes.

Pourquoi la droitisation des Républicains n'a-t-elle pas empêché l'émergence d'Eric Zemmour ?

L'émergence d'Eric Zemmour, c'est à la fois une cause et un effet de la prééminence des thèmes régaliens. Elle s'explique non seulement par la crise d'identité vécue par la droite depuis 2017, mais aussi par les multiples épreuves qu'a vécues le pays durant le quinquennat. Avec le sentiment à droite qu'Emmanuel Macron a fait des choses bien, sans que tout ne soit réussi.

En réalité, on est dans une situation un peu confuse avec une prise de judo entre Eric Zemmour, Marine Le Pen et Les Républicains : on ne sait pas encore qui va avoir le dessus, les uns essayant de se servir de la force des autres. Valérie Pécresse veut tirer profit de sa dimension présidentielle face à Eric Zemmour, celui-ci peut essayer de profiter de la dynamique droitière des LR, tandis que Marine Le Pen peut maintenant dire que ses thèmes sont largement abordés dans l'espace public.

Pour tenter de s'imposer, Valérie Pécresse va-t-elle devoir se recentrer ou au contraire s'adresser en priorité à une partie de l'électorat de droite qui penche vers Eric Zemmour ?

Eric Ciotti est une ressource stratégique pour Valérie Pécresse, en jouant le rôle de gatekeeper, de portier, pour ceux qui seraient tentés d'aller chez Eric Zemmour. Mais s'il joue trop ce rôle, cela peut néanmoins devenir négatif pour le parti. Ce patchwork contribuerait à un tableau assez illisible de la situation, brouillant le contenu du projet pourtant choisi par les militants. Il faut donc qu'Eric Ciotti accepte que la gagnante ait davantage de prise sur le programme que le vaincu.

Valérie Pécresse a-t-elle, potentiellement, le même électorat qu'Eric Zemmour ou Marine Le Pen ?

Sociologiquement, il reste une différence importante. Pour le moment, les catégories populaires restent bien plus fortement ancrées chez Marine Le Pen que chez Eric Zemmour et Valérie Pécresse. Les ouvriers et les employés, un segment très important de l'électorat, votent bien plus souvent pour Marine Le Pen, alors qu'aucune enquête n'a pour l'instant montré qu'Eric Zemmour n'avait vraiment pénétré ces milieux. L'intention de vote pour Eric Zemmour est également très genrée, deux fois plus importante chez les hommes que chez les femmes.

A l'opposé de la ligne d'Eric Ciotti, que se passe-t-il au centre-droit ? La "maison commune", qui rassemble cinq partis de la majorité présidentielle, penche davantage à droite qu'à gauche. Edouard Philippe, ancien Premier ministre et ex-juppéiste, peut-il siphonner la droite ?

En dégainant son mouvement Horizons bien avant la présidentielle, Edouard Philippe a pris date pour le lendemain de l'élection. Si Emmanuel Macron l'emporte et entame un second et dernier mandat, l'agitation va être maximale au centre-droit pour se présenter comme capable de succéder au chef de l'Etat. L'idée de la "maison commune", c'est de prolonger cette union entre le centre-droit et Emmanuel Macron.

Pourtant, Valérie Pécresse s'est montrée assez stratégique en se positionnant fortement sur le sujet de la dette publique, une question à laquelle cet électorat de centre-droit est très sensible. Elle va être amenée à accentuer ce positionnement. Reste à savoir si elle peut convaincre cette frange convoitée de l'opinion.

La droite est-elle prise en tenaille entre la majorité présidentielle et l'extrême droite ?

Il y a des tenailles partout ! Eric Zemmour est pris en tenaille entre Valérie Pécresse et Marine Le Pen, Valérie Pécresse est prise en tenaille entre Emmanuel Macron et Eric Zemmour... Et aucune de ces trois personnalités n'est assurée de figurer au second tour de l'élection présidentielle.

La désignation d'une candidate unique à droite peut-elle inspirer la gauche, où les divisions sont nombreuses avant 2022 ?

A gauche, c'est l'atonie absolue. Yannick Jadot n'a pas bénéficié de l'effet primaire. Anne Hidalgo a du mal à décoller. C'est en train de bouger sur l'organisation de la campagne de Jean-Luc Mélenchon, qui commence à se projeter, mais la dynamique de l'actualité et de la campagne penche clairement à droite.

Pour la gauche, se rassembler n'est pas une mince affaire, car cela correspond à des difficultés structurelles. Certes, elle est relativement homogène sur les questions sociétales, mais sur l'économie et les questions européennes, il existe de fortes divisions.

"A gauche, c'est l'inverse de la droite, où tout le monde est d'accord sur l'économie, sans s'entendre sur les questions de société et de sécurité."

Bruno Cautrès, politologue

à franceinfo

Ce qu'on entend souvent, c'est que la société et le corps électoral se seraient "droitisés" par rapport à 2017. Cette hypothèse est-elle validée ou infirmée par les enquêtes d'opinion et les derniers scrutins électoraux ?

Il y a deux mouvements distincts : sur les questions sécuritaires et migratoires, le débat s'est tendu à droite. Depuis une dizaine d'années, il y a des tensions exacerbées sur ces sujets. Dans le même temps, sur une longue durée, il y a un accroissement des valeurs de tolérance culturelle en France. On observe une hausse de la tolérance sur les mœurs, comme l'homosexualité, totalement admise aujourd'hui. En résumé, on a à la fois une très forte demande de sécurité et de justice sociale.

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