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Présidentielle : de la "remontada" à la "dégringolada", comment Arnaud Montebourg a plombé sa campagne en 24 heures

Article rédigé par Antoine Comte, Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le candidat à la présidentielle Arnaud Montebourg, à Gonesse (Val-d'Oise), le 22 octobre 2021. (MAGALI COHEN / HANS LUCAS / AFP)

La proposition du candidat de bloquer les transferts d'argent privés vers les pays refusant de rapatrier les migrants illégaux a suscité l'indignation de la gauche et provoqué de forts remous en interne.

"Je me suis fait engueuler par des gens que j'aime." Lundi 8 novembre, à 19h30, Arnaud Montebourg participe à l'émission "Audition Publique" sur LCP, Public Sénat et Le Figaro. Son intervention est prévue de longue date et elle débute d'entrée de jeu avec la polémique sur les transferts d'argent à l'étranger, qui agite sa campagne depuis vingt-quatre heures. Les proches du candidat à la présidentielle espèrent clarifier les propos de leur champion et, peut-être, passer à autre chose. De fait, l'ancien ministre du Redressement productif de François Hollande présente des excuses mais réfute le terme d'erreur, préférant évoquer une "incompréhension".

Pourtant, Arnaud Montebourg avait été parfaitement clair sur RTL dans "Le Grand Jury", diffusée la veille à l'heure du déjeuner dominical. "Je suis décidé à taper au portefeuille", lance Arnaud Montebourg. "Pourquoi on n'arrive pas à intégrer ? Vous avez aujourd'hui 100 000 mesures d'obligation pesant sur des personnes qui doivent quitter le territoire qu'on n'arrive pas à exécuter. Ces personnes sont là et sont d'ailleurs souvent des délinquants", affirme-t-il. Par quels moyens ? "Il y a 11 milliards de transferts d'argent qui passent par Western Union sur l'ensemble des pays d'origine. Nous bloquons tous les transferts aussi longtemps qu'on n'a pas un accueil de coopération, ajoute-t-il. Ces transferts d'argent privé sont une manne pour ces pays et nous avons besoin aujourd'hui de dire : ça suffit."

"Cruel, injuste, stupide"

Sur le plateau, c'est la stupeur. "Mais, même la droite ne propose pas ça", répète, abasourdi, le journaliste de RTL, Benjamin Sportouch. Cette idée a néanmoins déjà été avancée par l'extrême droite. Marine Le Pen propose depuis 2018 de bloquer les transferts d'argent vers l'Algérie tandis qu'Eric Zemmour est sur la même longueur d'onde qu'Arnaud Montebourg. Le polémiste a d'ailleurs sauté sur l'occasion pour féliciter, avec ironie, l'ex-socialiste.

Sans surprise, l'accueil à gauche est glacial. "Ne passez pas sur ce terrain glauque", exhorte le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, sur Twitter. "La proposition commune Montebourg/Zemmour contre les transferts de salaires aux familles dans les pays d'origine augmentera les causes d'émigration. Cruel, injuste, stupide", a-t-il tranché. "Arnaud, reviens avec nous ! A gauche, en sortant du studio", a embrayé l'écologiste Sandrine Rousseau, également sur Twitter.

Du côté des soutiens d'Anne Hidalgo, on boit du petit lait en coulisses. "Arnaud s'est rendu compte qu'il avait dit une grosse connerie. A force de faire le grand écart entre Jean-Luc Mélenchon et Xavier Bertrand, on se fait mal aux jambes", tacle un proche de la candidate socialiste, en assurant ne pas vouloir non plus "tirer sur l'ambulance". "Ce n'est pas sur la bêtise des autres qu'on progressera. Ses propos très déplacés fragilisent et jettent le discrédit sur la gauche dans son ensemble", regrette ce même pro-Hidalgo.

"On a passé un sale dimanche"

Sur Europe 1, Olivier Faure, le patron du parti socialiste et soutien de la maire de Paris, se dit aussi "heurté" par cette mesure "d'extrême droite". Il n'est pas le seul. Dans l'équipe d'Arnaud Montebourg, c'est également la stupéfaction. "Ça a suscité l'émoi chez certains militants, une forme d'incompréhension chez d'autres, ça ne sert à rien de le cacher", reconnaît le porte-parole du candidat, François Cocq.

"On ne peut pas prôner une politique moins verticale et parler comme cela, c'est une erreur grossière", peste quant à lui le sénateur socialiste Mickaël Vallet, également porte-parole du candidat. Ce dernier assure que le candidat à la présidentielle a "reconnu son erreur" lors d'une réunion de crise avec ses principaux soutiens lundi soir. "Une réunion très franche", selon l'ancienne ministre PS Laurence Rossignol, pour qui cette proposition vient "de technos, de hauts fonctionnaires très respectables mais qui n'ont pas été en mesure de dire à Arnaud que Zemmour et Le Pen avaient fait la même proposition auparavant".

A en croire un proche, Arnaud Montebourg devait en réalité plaider pour "une mesure diplomatique", à savoir le gel des avoirs des Etats et des responsables de ces pays en France.

"Cette mesure n'est pas dans son programme et ne le sera pas. Il l'a probablement lue dans une note qu'on lui avait envoyée et, sous la pression, l'exemple lui vient."

Un proche d'Arnaud Montebourg

à franceinfo

"Ça a remué en interne, on a passé un sale dimanche, voire un sale lundi, on ne va pas se mentir", poursuit ce proche. Arnaud Montebourg a "rectifié tout de suite sur Twitter, mais ça a flambé..." Avant de s'exprimer sur LCP, le candidat Montebourg a donc tenté de préciser sa pensée dans une série de tweets publiés dimanche après-midi. "Faut-il en arriver à des menaces de sanctions économiques pour obtenir la coopération des Etats d'origine dans le rapatriement de leurs ressortissants, immigrés clandestins et illégaux sur notre territoire ? Il le faudra car le reste ne marche pas", écrit-il. Une formule un brin alambiquée et surtout bien imprécise. "J'ai compris que je m'étais mal exprimé", finit par admettre Arnaud Montebourg sur la chaîne parlementaire. "J'ai voulu viser les Etats, je ne souhaite pas toucher ces familles qui travaillent dur, envoient de l'argent dans leurs familles de l'autre côté de la Méditerranée", ajoute-t-il.

"C'est complètement dingue ce qu'il a dit"

Ses explications n'ont pas convaincu les Jeunes avec Montebourg qui ont publié, lundi soir, un communiqué annonçant le retrait du collectif de la campagne du candidat. "Il ne s'agit pas pour nous d'une incompréhension, mais bien d'une erreur. L'absence de remise en cause de ces propos dans les heures qui suivirent son intervention nous fait dire que cette proposition était pensée, voulue et assumée. Nous constatons que le candidat est dorénavant en incapacité de rassembler autour de son projet".

"C'est complètement dingue ce qu'il a dit. La question du retrait est venue très rapidement car c'est un sujet majeur de désaccord."

Un membre du collectif "Les Jeunes avec Montebourg"

à franceinfo

Selon deux sources proches du candidat Montebourg, ce collectif n'a en réalité jamais été officialisé par l'ancien ministre. "C'est un groupe qui menait sa propre existence avec des intérêts qui leur étaient propres, ils n'étaient pas rattachés à l'organisation de campagne", assure un soutien. Une affirmation battue en brèche par ceux qui ont claqué la porte. Ils citent notamment des vidéos réalisées avec Arnaud Montebourg. Impossible à vérifier puisqu'ils ont supprimé leur compte Twitter après la publication de leur communiqué.

Malgré ce dernier épisode, l'entourage d'Arnaud Montebourg affiche sa sérénité. "Il faut rester calme dans la tempête", se rassure-t-on. "Je comprends très bien ceux qui se sont émus de cette sortie, certifie son porte-parole, Mickaël Vallet. J'appelle néanmoins mes camarades à l'humilité, car il n'est pas le premier à faire une erreur." Il sait qu'il sera difficile de "faire oublier ce qu'il a dit", mais tente de mettre fin à la polémique en appelant les soutiens du candidat à "continuer à travailler et faire parler de son programme auquel on croit tous".

"Le truc est derrière nous et pour l'instant, il n'y a pas de conséquences", veut croire un fidèle lieutenant d'Arnaud Montebourg. L'épisode pourrait cependant laisser des traces. Sur Twitter, le slogan d'Arnaud Montebourg "La Remontada" a vite été détourné et rebaptisé "La Dégringolada".

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