"Il faut faire six mois de campagne en quatre semaines" : à Paris, Agnès Buzyn tente de refaire son retard aux municipales
En troisième position dans les intentions de vote depuis qu'elle a remplacé Benjamin Griveaux, l'ancienne ministre de la Santé compte sur les derniers jours avant le premier tour pour rattraper Rachida Dati et Anne Hidalgo.
"Bonjour, c'est Agnès Buzyn ! Désolée, on fait irruption chez vous. On fait campagne dans le 17e." Sur le palier de son appartement de la rue Poncelet, samedi 29 février, ce trentenaire parisien, dérangé en plein repassage, ne s'attendait pas à trouver l'ancienne ministre de la Santé accompagnée d'une dizaine de personnes. La discussion s'engage très vite autour des problèmes de prix des loyers permettant à la nouvelle candidate de La République en marche d'esquisser son programme sur le logement pour les élections municipales à Paris. Mais au bout de trois minutes chrono, la candidate repart déjà vers d'autres électeurs à convaincre.
A quinze jours du premier tour, Agnès Buzyn n'a plus de temps à perdre. En campagne dans le 17e où elle est tête de liste, l'ex-ministre enchaîne visite de commerçants, selfies et discussions au débotté avec les Parisiens. Le déroulé de la matinée a été établi au millimètre par son équipe et il ne faut pas traîner en route.
Une "marcheuse" de marché en marché
"Il reste peu de temps, donc elle fait passer des messages simples, efficaces", constate Stanislas Guérini, délégué général de La République en marche et deuxième sur la liste de l'ancienne ministre dans le 17e arrondissement. Au détour des stands de fruits et légumes du marché Poncelet, Agnès Buzyn martèle son programme, en insistant sur quatre axes forts : sécurité, propreté, écologie et solidarité.
"La sécurité s'est dégradée. Comme Paris est malmené et mal géré, les Parisiens vivent de moins en moins bien, affirme-t-elle lors d'une visite d'appartement chez un couple de retraités qui ne cache pas ses sympathies macronistes. L'espace public est moins agréable pour le quotidien. Les trottoirs sont sales, encombrés de trottinettes. Et puis la ville n'est pas préparée au changement climatique..."
Au bout d'une heure, il faut déjà rejoindre un autre marché dans le 16e arrondissement. "Quand il faut faire six mois de campagne en quatre semaines, ça donne ça..." sourit un cadre de son équipe. "On est au pas de course, c'est une campagne éclair, concède une conseillère de la candidate. Ces derniers jours, on se retrouve à faire non pas un sprint par jour, mais plusieurs."
"En peu de temps, il faut installer son offre, sa proposition politique, là où les autres ont prémédité leur coup depuis longtemps", explique Eric Azière, président du groupe UDI-Modem au Conseil de Paris et candidat dans le 14e arrondissement.
Sa touche personnelle sur un programme remodelé
Engagée dans la bataille de Paris depuis le 16 février, en lieu et place de Benjamin Griveaux, Agnès Buzyn a été contrainte de travailler vite ses dossiers pour endosser le costume de candidate. Résultat, elle a parfois fait preuve de maladresses dans ses premières interventions médiatiques. "On ne va pas interdire toutes les terrasses chauffées, parce que que c'est l'âme de Paris d'être à une terrasse de café", a-t-elle par exemple déclaré sur Europe 1, le 24 février, provoquant les moqueries de certains commentateurs, qui n'ont pas hésité à rappeler que les terrasses chauffées sont apparues en 2008 avec l'interdiction de fumer dans les lieux publics.
Mais la candidate a aussi marqué des points en délestant son programme les propositions les plus polémiques de Benjamin Griveaux. "Elle a réussi à remodeler le projet en défenestrant le Central Park sur la gare de l'Est et la prime de 100 000 euros pour l'accès au logement", se félicite Eric Azière.
Elle s'est débarrassée des boulets de Benjamin Griveaux qui restaient accrochés.
Eric Azièreà franceinfo
D'une police municipale de 5 000 agents équipés d'armes létales aux "managers de rue" pour améliorer la propreté de chaque quartier, elle a quand même gardé un grand nombre de mesures préparés par l'ancienne équipe. "Elle ne part pas de zéro, ce qui serait trop difficile. On avait un socle très construit", assure Stanislas Guérini. Mais l'entourage de la candidate aime rappeler qu'elle ajoute sa touche personnelle. "Elle a ouvert un chapitre sur la solidarité envers les plus démunis, assure Eric Azière. Elle vient de la gauche, elle apporte son humanisme social."
Une étiquette de ministre difficile à décoller
Sur le style, l'ancienne hématologue semble à l'aise au contact des gens, malgré l'épidémie de coronavirus qui inquiète les autorités françaises. "Cela rend la campagne un peu différente, mais bon, il faut juste s'adapter un petit peu", constate sa colistière Déborah Pawlik. "On évite au maximum la poignée de main pour suivre les recommandations du ministère de la Santé, donc je m'adapte. Mais bon quand les gens tendent la main, je ne la refuse pas", explique Agnès Buzyn à franceinfo. Difficile de changer les habitudes en campagne électorale, même si la candidate estime sur BFMTV que les Parisiens vont s'y faire et prendre l'habitude de "se taper le coude ou de se taper le pied" pour se saluer.
Malgré tous ses efforts, la candidate LREM accuse encore un léger retard dans les sondages sur Anne Hidalgo, la maire sortante socialiste, et sur Rachida Dati, la candidate des Républicains, même si elle tend à se rapprocher des deux favorites. "Dans les derniers sondages qu'on avait sur Benjamin Griveaux, on était quand même à 13%... Là on monte parfois à 20% et on a des réserves de voix", s'enthousiasme Eric Azière.
"Regarde, c'est la ministre Agnès Buzyn", lance une mère de famille à son fils à l'entrée d'un café. La néo-candidate à la mairie de Paris peine encore à se débarrasser de son étiquette de ministre de la Santé. Le long des stands de la rue Poncelet, elle doit ainsi se justifier coup sur coup sur le déremboursement de l'homéopathie ou sur la question des primes dans le secteur privé pour les soignants exerçant avec des personnes âgées. "Je ne suis plus ministre de la Santé", tente la candidate tout en défendant son bilan ministériel. "C'est toujours autorisé et je m'en suis remise aux autorités scientifiques", argumente-t-elle au sujet de l'homéopathie.
Interrogée sur la difficulté de passer de ministre à candidate en si peu de temps, Agnès Buzyn se veut confiante. "Ça va venir ! Au bout de dix jours, je les autorise à me poser encore quelques questions... Et bon, ça prouve que j'ai été plutôt bien identifiée en tant que ministre de la Santé, il y a pire comme passif", répond l'ancienne numéro 6 du gouvernement.
Elle n'hésite pas d'ailleurs à jouer de son expérience en affirmant sur BFMTV qu'en tant que maire de Paris, elle saurait "exactement les mesures" à mettre en place "en cas d'épidémie" de coronavirus dans la capitale. Elle a également critiqué le manque de préparation de la majorité municipale face au risque de contagion. Des "propos irresponsables", selon Anne Hidalgo. "Dans un moment comme celui-ci, polémiquer sur quelque chose qui renvoie à une pandémie (...), c'est très grave", a estimé la maire de Paris sur Europe 1.
Quinze jours et un débat pour inverser la tendance
Agnès Buzyn est sans doute plus à l'aise sur les marchés que sur le terrain de la polémique. Dans les 16e et 17e arrondissements, deux bastions de la droite parisienne, l'ancienne médecin de l'hôpital Necker-Enfants malades peut mesurer sa popularité auprès des électeurs. "Je suis d'autant plus touché par votre candidature que mon petit frère est l'un des premiers enfants transplantés d'un rein en France, à l'hôpital Necker", lance ainsi un commerçant à la candidate LREM.
"Est-ce que vous n'êtes pas arrivé un peu tard ?", s'inquiète malgré tout une sympathisante. "Non, je ne pense pas. Il y a un débat mercredi soir. On discutera des programmes de chacun", répond sobrement Agnès Buzyn. Son équipe espère mettre à profit les derniers jours de campagne et le débat télévisé sur LCI, prévu mercredi 4 mars, pour faire la différence. L'ex-ministre a d'ailleurs passé une week-end à s'entraîner au débat. "Elle y a pris du plaisir, c'est assez nouveau pour elle, même si ce n'est pas forcément très différent que de faire les questions au gouvernement à l'Assemblée", explique un responsable de la campagne.
De son côté, le camp d'Anne Hidalgo ironise d'ailleurs sur le fait qu'Agnès Buzyn ait besoin d'une formation accélérée pour préparer le débat. "C'est étonnant de faire mettre en scène l'impréparation de sa candidate", tacle un cadre de la campagne de la maire de Paris, joint pas franceinfo.
On souhaite que les gens découvrent le caractère bienveillant et apaisant d'Agnès Buzyn. (...) Je pense que les Parisiens en ont marre des personnalités clivantes, comme Anne Hidalgo ou Rachida Dati.
Paul Midy, directeur de campagneà franceinfo
Les "marcheurs" ont en tout cas l'impression d'avoir gagné des points par rapport au candidat Griveaux, "qui avait une image assez cassante, assez arrogante", confie Eric Azière. "Je vais faire le débat avec mon style, confie Agnès Buzyn à franceinfo. Je ne suis pas une professionnelle de la politique, mais une professionnelle de l'intérêt général et je compte bien le démontrer." Elle souhaite également prouver qu'elle n'est pas déconnectée de la vie des Parisiens : "Vous ne m'aurez pas sur le prix d'une baguette de pain ou d'un ticket de métro."
Dans un coin de sa tête lors du débat, Agnès Buzyn gardera également la perspective du second tour et des éventuelles alliances à nouer. "Vive Villani", lance un partisan du mathématicien dans un coin de rue du 17e arrondissement. "Il sera avec moi", répond dans un grand sourire la candidate LREM.
On s'est beaucoup parlés [avec Cédric Villani] la semaine dernière et je n'ai aucun doute sur le fait qu'on se retrouvera le moment venu.
Agnès Buzynà franceinfo
Agnès Buzyn, qui ne cesse de se proclamer "candidate du rassemblement", envoie également des signaux aux écologistes, même si David Belliard a fermé la porte à une alliance avec elle. "Je suis complètement en phase avec ce que proposent les Verts qui eux siègent à la ville de Paris et sont contre les projets d'Anne Hidalgo", a-t-elle ainsi déclaré sur BFMTV. Fidèle à l'esprit du macronisme, la candidate LREM aimerait pouvoir dépasser les clivages, comme elle le confie à franceinfo. "Il n'y a pas de ville de gauche ou de droite, mais des villes bien gérées ou non."
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