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Résultats européennes 2019 : pourquoi les territoires d'outre-mer ont-ils autant voté pour le Rassemblement national ?

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, s'exprime après les résultats des élections européennes, le 26 mai 2019 à Paris.  (BERTRAND GUAY / AFP)

Pour la première fois, huit territoires ultramarins sur onze ont placé le parti de Marine Le Pen en tête dimanche, lors des élections européennes.  

C'est une première dans l'histoire politique des territoires d'outre-mer. Le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen est arrivé en tête dans huit des territoires ultramarins, dimanche 26 mai, à l'occasion des élections européennes. La liste RN, emmenée par Jordan Bardella, obtient ainsi son meilleur score à l'échelle nationale à Mayotte, où elle recueille 45,56% des suffrages exprimés. 

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"Alors qu'ils ont longtemps été une digue infranchissable, les outre-mer sont aujourd'hui touchés comme le reste du territoire national par cette montée du parti d'extrême droite", a regretté Patrick Karam (LR), ancien délégué ministériel à l'égalité des chances des Français d'outre-mer, à l'AFP. Comment comprendre cette récente poussée du Rassemblement national dans ces territoires ? Eléments de réponse avec Christiane Rafidinarivo, politologue et chercheuse invitée au centre de recherches Cevipof de Sciences Po. 

Une abstention massive qui profite au RN

Ces bons résultats du Rassemblement national en outre-mer s'accompagnent de taux d'abstention très élevés dans ces territoires. Même s'ils sont plus faibles que lors des précédentes élections européennes, en 2014, les départements ultramarins concentrent les taux d'abstention les plus élevés du pays lors du scrutin de dimanche. Ainsi, l'abstention est la plus élevée en Guyane (86,59%), puis en Guadeloupe (85,63%), suivies de Saint-Barthélemy et Saint-Martin (85,36%), et de la Martinique (84,78%). Là où l'abstention est la moins élevée dans ces territoires – à Wallis et Futuna –, elle atteint tout de même 65,37%. 

Cette abstention a-t-elle joué un rôle dans ces bons scores obtenus par le RN en outre-mer ? "Oui, car dans ce cas-là, ce sont les plus motivés, les plus mobilisés qui gagnent. Et le RN est le parti qui parvient à mobiliser le plus ses électeurs", répond Christiane Rafidinarivo. "Les militants et sympathisants RN sont très actifs", poursuit la chercheuse. "Ils vont voter, beaucoup plus que dans d'autres partis."

La politologue invitée au Cevipof explique aussi que, depuis plusieurs années, le Rassemblement national parvient à "s'implanter solidement" dans les territoires d'outre-mer au travers de "réseaux sectoriels, tels que les Chambres d'agriculture""Des agriculteurs ont des problèmes avec la Politique agricole commune (PAC), et le RN a travaillé ce réseau", précise Christiane Rafidinarivo. La chercheuse ajoute qu'outre-mer, le parti se rapproche également de certains syndicats dans l'Education nationale, ce qui lui permet de gagner de nouvelles voix dans ce secteur plus acquis à la gauche. Par le biais de ces "réseaux sectoriels", la formation politique parvient ainsi à acquérir, et à mobiliser, davantage d'électeurs.

Des discours porteurs sur l'immigration et l'insécurité

Cette poussée du Rassemblement national dans les territoires ultramarins n'est pas tout à fait nouvelle. Lors du premier tour de l'élection présidentielle de 2017, Marine Le Pen y est arrivée en tête, avec 21,90% des voix, devant Jean-Luc Mélenchon et François Fillon. Son score a même atteint 29% en Nouvelle-Calédonie, et 32% en Polynésie française.

De tels résultats étaient loin d'être acquis pour l'extrême droite. "Pendant très longtemps, ils étaient persona non grata en outre-mer", rappelle Christiane Rafidinarivo. Comment ont-ils réussi une telle percée en quelques années ? "A Mayotte par exemple, où le RN n'était pas du tout implanté, le parti est parvenu à trouver de nombreux électeurs avec la crise migratoire et l'insécurité", développe la politologue. Le département – le plus jeune et le plus pauvre de France – a connu ces dernières années d'importantes arrivées de migrants venus de l'archipel proche des Comores. Chaque année, entre 2012 et 2017, la population a ainsi augmenté en moyenne de 3,8%, relève la 1ère. Les natifs des Comores représentent désormais 42% de la population mahoraise, et 45% des habitants sont "des personnes étrangères en situation irrégulière", selon le ministère des Outre-mer. 

A Mayotte, la question des migrations et de l'insécurité est vraiment structurante dans le vote RN. C'est la stratégie du parti : faire un lien entre les flux migratoires, l'insécurité et le chômage. Dire qu'il faut pour cela se protéger des migrations comoriennes. Et cela a fonctionné.

Christiane Rafidinarivo, politologue

à franceinfo

Les ressorts sont similaires en Guyane, un autre territoire d'outre-mer touché par l'insécurité. La liste de Jordan Bardella y a recueilli 27,4% des suffrages dimanche. "Le RN y a axé son discours sur l'insécurité, le trafic de drogue et les prisons – sur tout ce qui tourne autour de l'échec de l'Etat", souligne Christiane Rafidinarivo. "Dans ces départements touchés par les crises sociales, le RN parle d'insécurité, de migrations et de chômage, en disant aux électeurs : 'Voilà les causes de votre pauvreté'."

Jouer sur "l'échec" de l'Etat et "l'abandon" des outre-mer

Ce discours sur les migrations et les questions de sécurité n'est pas le seul à avoir porté le RN en tête des suffrages, dimanche soir. "Il y a aussi un discours social, celui de dire aux populations d'outre-mer : 'Vous êtes ceux qui souffrez le plus et vous êtes abandonnés par l'Etat", développe Christiane Rafidinarivo. La politologue relève ainsi les bons résultats de la liste de Jordan Bardella dans les Antilles, notamment à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, où le RN dépasse les 28%. 

Il y a eu le cataclysme de l'ouragan Irma. Dans ce contexte, les thèmes de la souffrance et de l'échec de l'Etat, portés par le FN, sont comme des graines semées dans le bon terreau.

Christiane Rafidinarivo

à franceinfo

A travers les territoires d'outre-mer, des électeurs votent ainsi pour le RN non par idéologie, mais par volonté de protestation contre les forces politiques en place, note la politologue. Ils adhèrent, peu à peu, à l'idée d'abandon des pouvoirs publics véhiculée par l'extrême droite. C'est dans ce contexte que le parti de Marine Le Pen a pu obtenir 31,24% des voix à La Réunion, arrivant en tête dans l'ensemble de ses communes. 

Le mouvement des "gilets jaunes", très suivi sur l'île fin 2018, a montré ce sentiment partagé par les Réunionnais d'être délaissés par l'Etat. "Et cette crise a joué en partie sur le vote RN de dimanche à La Réunion", analyse Christiane Rafidinarivo. "Il y a une déception : 40% des Réunionnais vivent sous le seuil de pauvreté, 25% sont au chômage, et ce taux s'élève à 60% chez les moins de 25 ans", rappelle la politologue. "Vous pouvez désormais avoir trois générations de chômeurs vivant ensemble", alerte-t-elle.

Un tel contexte social s'est, une nouvelle fois, montré porteur pour le Rassemblement national. Sans compter, selon la chercheuse, "le refus des autres partis" à La Réunion. Christiane Rafidinarivo cite notamment La France insoumise, arrivée en tête sur l'île lors du premier tour de l'élection présidentielle de 2017, avec 24% des voix, et qui cette fois a obtenu 19,03% des voix, loin derrière le Rassemblement national. "Le RN était très actif et a réussi à mieux mobiliser." 

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