Cartes Portugal, Pays-Bas, Italie... Visualisez la progression des partis d'extrême droite en Europe lors des législatives depuis 2010

Alors que le Portugal vient d'élire son nouveau parlement, le parti d'extrême droite "Chega" a remporté 18% des voix, un record. Ce score fait écho à la progression de l'extrême droite partout en Europe, à seulement trois mois des élections européennes.
Article rédigé par Pauline Paillassa
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Dans neuf pays sur les 27 qui composent l'Union européenne, l'extrême droite a franchi la barre des 20% lors des dernières élections législatives. (GETTY IMAGES / PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

Jamais l'extrême droite n'avait eu autant le vent en poupe ces dernières années au Portugal. Le parti "Chega" ("Ça suffit" en Portugais) y a effectué une percée historique, dimanche 10 mars, en remportant 18% des voix aux élections législatives, selon des résultats partiels. Arrivé troisième derrière la gauche et le centre-droit, le parti d'extrême droite redessine ainsi les contours du jeu politique au Portugal et en Europe.

En effet, alors que les citoyens de l'Union européenne se rendront aux urnes dans trois mois, entre le 6 et le 9 juin, pour élire leurs eurodéputés, le RN (Rassemblement National) et ses alliés européens partent à la conquête des institutions européennes pour mieux les affaiblir. Un appétit conforté par leur percée dans presque tous les pays de l'UE. Ces dernières années, l'Italie, la Hongrie, la Slovaquie ou les Pays-Bas ont rejoint la liste des pays où l'extrême droite est sortie victorieuse des législatives locales.

Discours xénophobes et autoritarisme

A quel point le phénomène est-il commun aux Etats européens ? Pour le vérifier, des chercheurs en science politique ont recensé depuis 2019 les partis assimilés à l'idéologie de l'extrême droite, donnant naissance au projet  The PopuList* . Une base de données de référence, qui porte sur l'analyse de 31 pays, dont les 27 de l'UE.

Qu'entendent précisément ces chercheurs par "partis d'extrême droite" ? Ils considèrent les formations qui défendent une idéologie nativiste, c'est-à-dire établissant une hiérarchie entre les individus selon un prétendu degré d'appartenance au groupe ethnoculturel majoritaire et d'ancienneté sur le territoire. Ces partis tiennent ainsi un discours xénophobe, où les "non-natifs constitueraient une menace pour l'homogénéité de l'Etat-Nation", expliquent les auteurs de The PopuList. Autre critère caractéristique : l'autoritarisme. L'extrême droite promeut "une vision de la société où règne l'ordre et où les atteintes à l'autorité doivent être sévèrement réprimées", soulignent les chercheurs.


Si l'on tient compte de ces critères, la quasi-totalité des pays européens comptaient des formations d'extrême droite au sein de leur Parlement en 2023. Dans neuf d'entre eux, elles dépassaient même les 20% . Au classement des pays de l'UE où l'extrême droite cumule le plus de voix, la France arrive en 8e position. En 2022, les partis de Marine Le Pen, Eric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan avaient recueilli 24% des voix à eux trois. Soit 10 points de plus qu'en 2017. 

Seuls deux Etats se tiennent à l'écart de ce constat : Malte et l'Irlande, où aucun parti d'extrême droite, selon la nomenclature établie par les chercheurs, n'était en lice pour les législatives. 

Une montée en puissance accélérée depuis 2010

Les extrêmes droites, bien qu'issues d'histoires très diverses, se sont fortement développées dans la décennie 2010. Les chercheurs préfèrent d'ailleurs à "extrême droite" le terme "droite radicale populiste". "Il permet de regrouper les droites populistes jouant le jeu parlementaire, en les différenciant des groupuscules d'extrême droite", explique Nonna Mayer, chercheuse en sciences politiques au Centre d'études européennes de Sciences Po.

Evolution des scores de l'extrême droite aux législatives des pays européens depuis 2010

"Cela englobe des partis comme le RN, qui a une tradition d'extrême droite, comptant parmi ses fondateurs des anciens Waffen-SS, des collaborationnistes, des nostalgiques de Vichy, des partisans de l'Algérie française, des anciens poujadistes et des partis venus de la droite parlementaire comme le Parti pour la liberté de Geert Wilders aux Pays-Bas, venu du parti libéral VVD, reprenant la ligne islamophobe du parti de Pim Fortuyn", complète la chercheuse.

Alors que ces partis ont connu leurs premiers succès électoraux dans les années 1990, plusieurs facteurs expliquent cette percée. "C'est une réaction à la mondialisation économique et à la crise de la représentation politique, la défiance à l'égard des partis politiques traditionnels perçus comme impuissants", détaille Nonna Mayer.

Au cours de la décennie 2010, des facteurs conjoncturels sont venus s'y ajouter : "la récession de 2008, la crise des réfugiés de 2015 ou les attentats terroristes islamistes", énumère la spécialiste.

Davantage de voix et davantage de partis

Longtemps marginalisés, les partis d'extrême droite se sont, à l'image du Rassemblement national (RN) en France, installés dans le paysage politique. Le parti des Démocrates de Suède, fondé en 1988, est ainsi resté cantonné en dessous des 2% aux législatives jusqu'en 2006. En 2022, il est arrivé en deuxième position, en raflant 20,5% des suffrages.

Parmi les autres forces politiques qui sont venues gonfler les rangs de l'extrême droite figurent les partis de droite, qui avaient pourtant une tradition parlementaire, et qui se sont appropriés le discours de l'extrême droite ces dernières années. Les auteurs de The PopuList estiment ainsi que le parti Nouvelle Slovénie, existant depuis 2000, a effectué un tel virage en 2015. Un phénomène sur lequel insiste Nonna Mayer : "Il faut distinguer un parti qui est issu de la droite parlementaire et qui se radicalise d'un parti issu, au départ, d'une longue tradition d'extrême droite comme le Front national et qui essaie de le faire oublier."

Les partis concernés n'ont pas seulement progressé dans les urnes : ils se sont aussi multipliés. Aux Pays-Bas, lors de l'élection générale de 2007, le seul mouvement nativiste et autoritariste était le Parti pour la liberté. En 2023, il avait non seulement gagné 28 sièges par rapport à 2006 sur les 150 à pourvoir, mais deux autres organisations politiques identifiées à l'extrême droite (Forum pour la démocratie et Juste réponse 2021) avaient émergé. "Elles réussissent d'autant mieux électoralement que l'abstention est forte chez leurs adversaires, notamment à gauche", analyse Nonna Mayer.

Des droites radicales et populistes très hétérogènes 

Pourtant, cette montée en puissance globale cache des divergences importantes. "Si ces droites radicales ont en commun leur autoritarisme et leur nationalisme, elles portent des valeurs économiques et culturelles différentes", souligne la chercheuse en sciences politiques.

Elle cite ainsi l'exemple de la Hongrie et de la Pologne : "Là-bas, les droites radicales et populistes sont sur une ligne très conservatrice sur le plan des mœurs, qui n'est pas celle de Marine Le Pen mais qui se rapprocherait plutôt de celle de Marion Maréchal. Et elles sont plus libérales sur le plan économique."

Même au sein du Parlement européen, les extrêmes droites se déchirent. Elles ne font pas corps au sein d'une entité commune, mais se répartissent entre le groupe Identité et démocratie (ID) et celui des Conservateurs et réformistes européens (CRE). Leur défiance partagée vis-à-vis de l'Europe ne parvient pas à leur faire dépasser leurs intérêts nationaux. "Elles sont sur la même ligne nationaliste, avec le même mot d'ordre : Français d'abord, Italiens d'abord, notre pays d'abord. Mais elles sont trop divisées pour constituer une force de blocage des institutions européennes", assure Nonna Mayer. 


*Méthodologie

Franceinfo s'est appuyé sur le travail de The PopuList, mené depuis 2019 par huit chercheurs en sciences politiques de différentes universités européennes. Ils recensent les partis d'extrême droite ("far right") en Europe dans une base de données revue et corrigée par une centaine de pairs. Elle porte sur l'analyse de la vie politique de 31 pays, dont les 27 de l'UE auxquels ont été ajoutés la Suisse, le Royaume-Uni, la Norvège et l'Islande. Régulièrement mis à jour, ce répertoire a été restreint aux organisations politiques actives entre 1989 et fin 2022.

Pour établir le total des voix des partis d'extrême droite aux législatives de chaque pays depuis 2010, les scores de chaque formation classée à l'extrême droite par les auteurs de The PopuList ont été additionnés par franceinfo.fr. Par exemple, en France, en 2022, 18,7% des voix étaient en faveur du RN (Rassemblement national), 4,2% en faveur de Reconquête et 1,1% à destination de Debout la France. L'extrême droite a ainsi remporté 24% des suffrages. Pour effectuer ce calcul, seuls les partis ayant dépassé au moins une fois les 1% ou obtenu au moins un siège au Parlement entre 2010 et 2023 ont été étudiés.

Sept partis sont néanmoins considérés par The PopuList comme des "cas limite". Les auteurs de l'étude ne tranchent donc pas sur leur appartenance, ou non, à l'extrême droite. Il s'agit de : la Nouvelle Alliance flamande (Belgique), le Parti des Finlandais, Bulgarie sans censure, Solidarité (Chypre), le Mouvement agriculteur-citoyen (Pays-Bas), l'Union démocratique croate et le Parti du progrès (Norvège). Franceinfo n'a donc pas comptabilisé ces formations.

Lorsque des partis d'extrême droite se sont alliés à des partis classiques, ils n'ont pas non plus été comptabilisés par franceinfo. Malgré les scores élevés de l'extrême droite dans certains pays, il s'agit donc d'une présentation a minima.

Franceinfo a en revanche tranché dans un cas de figure : le parti Spartiates (Grèce). Jusqu'en 2022, il n'avait jamais dépassé la barre des 2%. Or, cette période récente n'est pas couverte par l'étude de The PopuList. Par conséquent, même si les chercheurs de The PopuList avaient connaissance de son existence, il était donc considéré comme trop peu significatif pour être examiné et que soit évaluée son appartenance ou non à l'extrême droite.

Toutefois, pour l'année 2023, franceinfo.fr a considéré qu'il répondait aux critères de l'extrême droite définis par cette étude. Ce mouvement est proche du parti néo-nazi Aube dorée, condamné en 2020 et considéré par la justice grecque comme une organisation criminelle. Dans sa déclaration fondatrice, Spartiates annonce par ailleurs que sa "priorité est la Grèce et les Grecs" et qu'il s'oppose à "toute tentative de modification de [son] identité culturelle et à la tentative d'islamisation".

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