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"C'est une erreur stratégique" : les premiers pas de Raphaël Glucksmann pour les européennes sèment la zizanie au PS

Pour la première fois de son histoire, le Parti socialiste n'a pas choisi l'un des siens pour porter le combat aux élections européennes. Un choix contesté et une pierre de plus dans le jardin des divisions socialistes. 

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Raphaël Glucksmann, tête de liste aux européennes du PS et de Place publique, en meeting à Toulouse (Haute-Garonne), le 6 avril 2019. (PASCAL PAVANI / AFP)

"Le gars ne remplit même pas sa part de contrat. Il n'est pas capable de tenir une émission de télé ou un meeting. Désormais, le doute s'installe." La phrase cinglante de ce responsable socialiste tombe par sms, ce lundi 8 avril. Quelques heures seulement avant le premier comité de campagne des élections européennes entre Place publique et le Parti socialiste. Raphaël Glucksmann, tête de liste de cette alliance inédite, a donné deux jours auparavant son premier meeting à Toulouse (Haute-Garonne) et a participé, le jeudi de la même semaine, au premier débat diffusé par France 2.

Des débuts maladroits et hésitants que ses soutiens tentent de transformer en force. En face, ou plutôt dans le même camp, cette entrée en matière achève de convaincre les socialistes qui s'étaient opposés à cette alliance et à la liste dévoilée fin mars.

Après le débat de jeudi soir, j'ai écrit à quelques collègues sur WhatsApp : 'Je n'ai jamais donné les clés de ma voiture à quelqu'un qui n'avait pas son permis de conduire.

Un élu PS

à franceinfo

Dès le départ, c'était mal parti. Affaibli aux régionales de 2015, laminé à la présidentielle de 2017 avec seulement 6% des suffrages pour Benoît Hamon, puis décimé aux législatives avec uniquement 30 sièges de sauvés, le Parti socialiste n'avait que peu d'options pour son avenir. Mais lorsque le Conseil national du PS désigne, le 16 mars, Raphaël Glucksmann, essayiste et fondateur de Place publique, comme tête de liste aux européennes, le sujet crée des remous en interne. Car c'est la première fois dans l'histoire du PS que les couleurs de la rose seront portées par une personnalité extérieure au parti.

Si 128 membres du bureau national ont voté pour la liste, 5 ont voté contre et 35 se sont abstenus. Il s'agit notamment de proches de Stéphane Le Foll. La veille, l'ancien ministre de l'Agriculture avait annoncé quitter le bureau national du PS. "Nous, les socialistes, nous devrions nous effacer derrière Raphaël Glucksmann sans débat interne, sans aucune base idéologique et politique, sans ligne stratégique ? Olivier Faure [premier secrétaire du parti] a fait ce qu’il voulait faire, seul, de son côté et il devra l’assumer", avait-il mis en garde dans une interview au Figaro.

Raphaël Glucksmann et Olivier Faure, en campagne pour les européennes, visitent l'hôpital public de Creil (Oise), le 25 mars 2019. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Les hollandais mais aussi d'autres courants du PS ne se sentent pas à leur place derrière l'étiquette Place publique. "Tous les socialistes souhaitent le dépassement du PS dans une refondation mais ce n'était pas le moment. Le PS, si on le met en mouvement, il a des relais, des élus, on a une force de frappe", martèle François Kalfon, conseiller régional PS d'Ile-de-France et ex-candidat sur la liste pour les européennes. "Dans une élection éclatée, il faut exister sur son identité et capitaliser sur son couloir", appuie l'ancien lieutenant d'Arnaud Montebourg.

La "dilution" des valeurs du PS ?

"C'est une erreur stratégique", confirme Vincent Le Meaux, premier secrétaire fédéral du PS dans les Côtes-d'Armor et lui aussi ex-candidat sur la liste. "La vision de Faure, c'est que l'image socialiste est tellement dégradée qu'il fallait une tête de liste hors du PS", critique ce proche de Stéphane Le Foll.

C'est comme avec une bouteille de jus de fruits. Si vous mettez trop d'eau dedans, vous risquez la dilution de vos valeurs ou de disparaître.

Vincent Le Meaux, premier secrétaire fédéral du PS dans les Côtes-d'Armor

à franceinfo

"Il est significatif que Raphaël Glucksmann cite en référence Michel Rocard ou Pierre Mendès France et pas François Mitterrand ou Lionel Jospin... C'est-à-dire que comme (...) Olivier Faure, il ne cautionne qu'une part de notre héritage, pas l'ensemble", pointe un socialiste. Des arguments balayés par ceux qui soutiennent cette stratégie, comme Laurent Baumel, ancien député d'Indre-et-Loire.

La dilution des valeurs socialistes, c'est amusant car c'est un argument porté par des gens qui ont dilué 100 fois plus les valeurs que Glucksmann quand ils étaient au pouvoir.

Laurent Baumel, ex-député d'Indre-et-Loire

à franceinfo

L'ancien "frondeur" cite le CICE, le débat sur la déchéance de la nationalité ou la loi Travail, tous issus du quinquennat Hollande.

"On aurait pu partir seuls mais l'image donnée n'aurait pas été la même, et puis, face à la montée des nationalistes et des populistes, on met nos moyens en commun", assure pour sa part Sylvie Guillaume, eurodéputée PS sortante et deuxième sur la liste. "Le pari de Faure, c'est de dire : 'si on part tout seuls, sachant qu'il n'y a pas de leader, on va faire 5%. Donc faisons l'impasse sur ces élections mais profitons de cette impasse pour renvoyer une image positive du PS", décrypte le politologue Rémi Lefebvre.

"Quand on me met une claque, je ne tends pas l'autre joue"

Force est de constater que cette stratégie ne fonctionne pas, à ce stade : la liste menée par le PS et Place publique est créditée de 5,5% des intentions de vote, selon un sondage Ifop-Fiducial pour Paris Match, CNews et Sud Radio, daté du 9 avril. Les autres enquêtes donnent des scores similaires. Résultat : plusieurs socialistes, en désaccord avec la stratégie d'Olivier Faure et qui étaient en position inéligible, ont annoncé leur retrait de la liste. Sachant qu'en plus, cette dernière n'est pas figée puisque Place publique doit dévoiler ses candidats le 14 avril. François Kalfon ou Vincent Le Meaux ont ainsi jeté l'éponge.

Reléguée en position inéligible, l'eurodéputée sortante Christine Revault d'Allonnes a, elle, décidé d'abandonner la présidence de la délégation socialiste au Parlement européen. "Je me sens désavouée. Olivier Faure m'a dit qu'il était désolé et n'avait rien pu faire. J'ai le malheur d'habiter en banlieue parisienne. Or, il se trouve qu'il y avait trop de candidats hors PS qui étaient parisiens", soupire-t-elle. "Quand on fait une liste, c'est toujours un exercice difficile et plus encore quand le score prévu est peu élevé", nuance Florence Blatrix, première secrétaire fédérale du PS dans l'Ain.

Il y a à chaque fois du mécontentement, c'est inéluctable, il n'y a pas de liste parfaite. Maintenant, les militants sont fatigués de tous ces commentaires et veulent faire campagne.

Florence Blatrix, première secrétaire fédérale PS dans l'Ain

à franceinfo

"ll n'y a pas un seul élu d'Ile-de-France ou d'outre-mer dans les dix premiers noms éligibles, je dis attention, il faut revoir la copie", avertit, de son côté, le député Luc Carvounas. Un message qu'il avait porté dans une interview au JDD avant le vote des militants socialistes, le 2 avril. Or, ces derniers ont ratifié à 80% la liste PS mais avec seulement 22 000 votants. Soit 5 000 votants de moins que lors des élections européennes de 2014 mais aussi deux fois moins que lors du congrès d'Aubervilliers de 2018 où Olivier Faure avait été investi premier secrétaire du PS. 

Vingt mille votants, c'est ridicule, le PS est en train de se décomposer.

Rémi Lefebvre, politologue

à franceinfo

"Je ne peux me réjouir de cette forte abstention mais la légitimité du vote est là et je vais maintenant faire très activement campagne", annonce Luc Carvounas. Ce n'est pas la position de tout le monde. "Quand on me met une claque, je ne tends pas l'autre joue, qu'ils fassent leur propre aventure", souffle un cadre du parti.

"Sincérité" ou "incompétence" ?

Le moins que l'on puisse dire, c'est que les premiers pas de Raphaël Glucksmann ne rassurent pas les plus indécis. Ce novice en politique n'a été qu'un éphémère candidat pour un parti confidentiel et ultralibéral, Alternative libérale, aux législatives de 2007, avant de se désister. "Le profil de Glucksmann n'apporte pas une telle valeur ajoutée, on le voit, aujourd'hui, ça ne décolle pas", estime un socialiste. Sa prestation sur France 2 lors du premier débat des européennes n'a pas convaincu. "Laborieux", écrit Le Parisien, "raté", juge L'Obs, tandis que Paris Match évoque "un faux départ". "Ce sont les premiers pas de quelqu'un qui n'a pas des années d’expérience derrière lui. Il a un côté sincère, il apprendra", tempère Sylvie Guillaume.

Yannick Jadot, François Asselineau et Raphaël Glucksmann lors du débat TV de France 2 consacré aux européennes, le 4 avril 2019. (LAURE BOYER / HANS LUCAS / AFP)

Une petite phrase lâchée par Raphaël Glucksmann après le débat a également suscité beaucoup d'interrogations. "Je ne suis pas fait pour ça", a-t-il confié à son équipe, selon RTL. Des propos confirmés à franceinfo par le porte-parole de Place publique. "Quand il sort cette phrase, il a l'impression qu'il n'est pas fait pour ce type de spectacle car cela ressemblait moins à un débat qu'à une foire d'empoigne. Raphaël Glucksmann aime le débat d'idées", explique Saïd Benmouffok.

Rebelote pourtant, le 6 avril, lors du premier meeting à Toulouse. "'Votez pour moi', cela, je n'arrive pas à le dire", déclare l'essayiste devant 500 personnes. "C’est cette fraîcheur dont on a besoin, la salle était émue, justifie Saïd Benmouffok. Enfin un homme politique qui considère que son ego passe après le reste : c’est rarissime en politique."

"Il est sincère, il est authentique et je sais qu'il va se battre. J'en ai ras-le-bol de la politique formatée", réagit de son côté Olivier Faure. Des propos qui font bondir certains en interne.

Le commentaire de Faure en mode 'il est sincère et différent'… Quel euphémisme pathétique pour masquer l'incompétence de Glucksmann, désormais avérée.

Un socialiste

à franceinfo

Dernier épisode en date de cette guerre intestine : Aurore Lalucq, candidate sur la liste PS-Place publique et ancienne membre de Génération.s, le mouvement de Benoît Hamon, a annoncé qu'elle siégerait avec les écologistes si elle était élue, et non avec les socialistes. "Cela trouble un peu, effectivement, elle aurait pu être plus prudente mais, au moins, elle a le mérite de le dire", réagit Sylvie Guillaume. "On accepte qu'elle s'inscrive au groupe écolo, ce qui vaudrait une exclusion pour un socialiste", remarque un responsable PS. Olivier Faure, lui, préfère sourire de ces divisions. Pour lui, le parti "est toujours vivant car on arrive encore à se quereller parfois pour rien", s'est-il amusé, jeudi 11 avril, devant des sénateurs et députés socialistes venus rencontrer Raphaël Glucksmann.

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