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Mobilisation des "gilets jaunes" : "Nous sommes plus face à une colère qu'une révolte"

La mobilisation qui se tiendra samedi est régulièrement comparée à une jacquerie, en référence aux révoltes paysannes contre des taxes. Une comparaison pas forcément pertinente aux yeux de Béatrice Giblin, géographe.

Article rédigé par Vincent Daniel - propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
La mobilisation des gilets jaunes en préparation, à Nantes (Loire-Atlantique), le 16 novembre 2018. (MAXPPP)

Quelle sera l'ampleur de la mobilisation ? Les "gilets jaunes", un mouvement nouveau, protéiforme, émanant de collectifs de citoyens en colère sur les réseaux sociaux contre les hausses de taxes sur les carburants, mais pas seulement, ont prévu environ 1 500 actions partout en France, samedi 17 novembre, mais seule une centaine d'entre elles ont été déclarées en préfectureMalgré la baisse des prix à la pompe constatée, les "gilets jaunes" comptent bien perturber ou bloquer samedi les accès aux villes, aux aéroports ou aux dépôts de carburant, ainsi que les grands axes routiers. Sur les pages Facebook des appels à manifester, on peut constater une agrégation des colères qui dépasse largement la question des carburants. Que se cache-t-il derrière cette mobilisation inédite ? Franceinfo a posé la question à Béatrice Giblin, géographe et auteure du Paradoxe français : entre fierté nationale et hantise du déclin (éd. Armand Colin).

Franceinfo : Que révèle le mouvement des "gilets jaunes" qui s'est construit sans syndicat, ni parti politique ?

Béatrice Giblin : Nous sommes face à l'expression d'une colère liée à un sentiment d'injustice. Les carburants ne sont que le révélateur de quelque chose de plus large pour des gens qui se disent : "C'est toujours sur nous que ça tombe". Avec les carburants, ils payent des taxes dans la même proportion que les plus riches. C'est l'"automobiliste vache à lait". Et cela fait partie du reproche fait à Emmanuel Macron d'être le président des riches.

En un mois, on a pu voir sur les réseaux sociaux les revendications des "gilets jaunes" s'élargir. La question des taxes sur les carburants est parfois reléguée derrière la démission d'Emmanuel Macron...

Ce n'est pas un mouvement construit ou rationnel, donc tout y passe. Là, nous sommes face à quelque chose d'extrêmement hétérogène, un phénomène de ras-le-bol. Il est impossible par exemple de faire un personnage-type du "gilet jaune". Il y a des personnes avec des intérêts très différents. On compte ainsi des gens qui sont à cinq euros près pour leur plein d'essence. Mais on entend aussi des discours réclamant de payer moins d'impôts, tout en voulant plus d'Etat, plus de services publics... Il y a des paradoxes dans les modes de vie.

Comme le fait de s'être installé à la campagne, d'avoir une ou deux voitures et d'en avoir besoin le samedi pour faire ses courses. On ne demande pas des comptes à la famille Mulliez qui y a mis ses Auchan, ses Boulanger, ses Kiabi, ses Leroy Merlin, ses Flunch, etc. en périphérie urbaine ou aux élus locaux qui ont permis cela. Ce sont des questions d'aménagement du territoire sur 30 ans. De même, on est conscient du réchauffement climatique, mais que fait-on ?

Certains observateurs comparent les "gilets jaunes" avec une jacquerie. Cela vous semble-t-il pertinent ?

Peut-être en raison de l'aspect spontané de la mobilisation, mais la comparaison s'arrête là. Il s'agissait de révoltes paysannes qui n'avaient pas lieu dans des démocraties. Elles étaient très localisées et ne se diffusaient pas. Face à des taxes imposées de façon injuste par la royauté, des gens qui vivaient une situation insupportable et douloureuse se révoltaient. Aujourd'hui, nous sommes plus face à une colère qu'une révolte. 

De la même façon, on compare cette mobilisation aux "bonnets rouges", mais ce n'est pas du tout la même chose. Les "bonnets rouges" n'étaient pas un mouvement spontané, c'était organisé, il y avait des leaders identifiés et c'était localisé en Bretagne. Les militants bretons savent se faire entendre. Là, la géographie du mouvement sera intéressante à regarder. 

Comment cette mobilisation massive sur le web va-t-elle se traduire sur le terrain ?

Même si je ne doute pas que les gens mobilisés seront nombreux, on peut être frappé par le faible nombre de déclarations en préfecture. Les médias ont contribué à donner une épaisseur et une réalité que n'ont pas encore ces "like" sur les réseaux sociaux. Un clique, ce n'est pas la même chose que de prendre sa voiture, sur un temps défini et bloquer une voie publique... C'est un mouvement qui bénéficie d'une couverture médiatique absolument exceptionnelle, certainement parce que c'est inédit et parce qu'on ignore comment cela va se passer... Donc cela suscite une grande curiosité médiatique.

Pour autant, les "gilets jaunes "ne sont pas une construction médiatique...

Attention, je ne dis pas qu'il n'y aura pas de mobilisation, ni de conséquences ou d'impacts à cette journée du 17 novembre. Mais on voit partout cette carte de France où il y a des points jaunes partoutCela donne l'impression que la France est jaune, que le pays entier va se mobiliser toute entière. C'est une fausse représentation qui donne une image de puissance.

  (DR)

Derrière un gilet jaune sur cette carte, il y aura peut-être un péage de bloqué ou un carrefour coincé par 30 ou 40 personnes, ce n'est pas rien ! Mais ce n'est absolument pas toute la France bloquée, comme le laisse croire cette carte. Cela me fait penser aux cartes de certains médias lors des émeutes en banlieue en 2005, ça laissait penser que la France était à feu et à sang. Certes, les choses étaient très sérieuses, mais ce n'était heureusement pas le cas. On peut aussi observer sur les réseaux sociaux une mobilisation, ou une expression, de personnes qui ne sont pas d'accord avec les "gilets jaunes". Mais on n'en parle pas. C'est frappant, c'est comme si tous ceux qui ne suivent pas les "gilets jaunes" se taisaient ou n'existaient pas.

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