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"Gilets jaunes" : six questions sur la cagnotte de soutien à Christophe Dettinger, l'ancien boxeur accusé d'avoir frappé des gendarmes

La cagnotte a été lancée lundi 7 janvier. En moins de 24 heures, plus de 6 500 personnes y ont contribué. Finalement, mardi à la mi-journée, Leetchi a refusé toute nouvelle contribution, une manière de clôturer la cagnotte.

Article rédigé par franceinfo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Capture d'écran de la cagnotte lancée le 7 janvier 2019 pour soutenir l'ancien boxeur Christophe Dettinger, soupçonné d'avoir frappé deux gendarmes. (LEETCHI / FRANCEINFO)

Plus de 7 700 participations en 24 heures. La cagnotte créée lundi 7 janvier à la mi-journée, sur Leetchipour soutenir Christophe Dettinger, l'ancien boxeur qui a reconnu avoir frappé deux gendarmes lors d'un rassemblement de "gilets jaunes" à Paris, samedi 5 janvier, a rencontré un vif succès. Alors que Leetchi a annoncé la clôture de la cagnotte, mardi, au lendemain du placement de cet homme en garde à vue, l'existence même d'un tel appel aux dons a soulevé de nombreuses questions.

1Qui a lancé la cagnotte ?

Peu d'informations ont filtré à ce sujet. L'appel aux dons indique simplement ceci : "Nous souhaitons soutenir sa famille et lui montrer la solidarité du peuple des Gilets Jaunes, du vrai peuple français. Cette cagnotte officielle est la seule et unique validée par sa famille." L'organisateur qui apparaît sur la page Leetchi est Nicolas Alves. Ce dernier n'en dit pas plus sur son lien avec l'ancien boxeur. Dans les commentaires sous le texte de la cagnotte, il est mentionné comme étant un ami de Christophe Dettinger.

Toujours dans ces commentaires, Sandrine Da Silva Dettinger, qui affirme être la cousine de l'ancien boxeur, assure que cette cagnotte "est bien pour lui et sa famille". Elle répond ainsi aux internautes qui se posent des questions sur la destination des fonds récoltés. Contactée par franceinfo, elle n'a pour l'heure pas donné suite à nos sollicitations.

Par ailleurs, une femme qui se présente comme la belle-sœur de Christophe Dettinger mentionne le lien vers la cagnotte sur son profil Facebook, en la présentant comme "officielle". C'est elle qui a diffusé, lundi, la vidéo dans laquelle il explique pourquoi il s'en est pris violemment à des gendarmes mobiles. Cette vidéo a été mise en ligne après son placement en garde à vue.

2Pourquoi le montant récolté a-t-il été caché ?

Dans la matinée de mardi, les organisateurs de la cagnotte ont caché la somme recueillie, comme l'autorise Leetchi. Ils se justifient ainsi : "Suite à l'engouement et aux pressions médiatiques, et afin de préserver la famille de Christophe, nous avons décidé de ne plus afficher le montant total. Christophe et ses proches sont sincèrement touchés par votre générosité et remercient du fond du cœur les donateurs." 

On ne sait donc pas quelle est la somme totale récoltée par les organisateurs de la cagnotte. Mais en moins de 24 heures, la somme recueillie atteignait déjà plus de 100 000 euros.

3Pourquoi cette cagnotte a-t-elle été critiquée ?

Dans la soirée de lundi, Mounir Mahjoubi, secrétaire d'Etat chargé du Numérique, s'est insurgé contre l'existence de cette caisse de solidarité. "Cette cagnotte est indigne", a-t-il jugé dans un tweet.

Il n'est pas le seul : sur Twitter, des policiers, dont les comptes sont anonymes, ont fait part de leur indignation.

"Cela nous choque, ça devrait être arrêté, a réagi sur BFMTV Johann Cavallero, délégué national CRS du syndicat Alliance, mardi matin. Pour nous, c'est inadmissible. Quelque part, on légitime la violence contre les forces de l'ordre. On ne peut pas présager de ce qui va se décider à l'issue de la garde à vue. On ne peut pas tolérer qu'il y ait des cagnottes à chaque fois qu'on frappe ou blesse les forces de l'ordre."

"Cela veut dire quand même qu'une frange de la population soutient des gens qui délibérément ont frappé des représentants des forces de l'ordre, a également estimé Jean-Marc Bailleul, secrétaire général du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI), sur franceinfo. C'est inquiétant pour nous qui sommes sur le terrain. On se rend compte qu'il y a des gens qui trouvent légitime de frapper comme ça devant les caméras de télévision."

4Cette cagnotte est-elle légale ?

L'économiste libéral Jean-Charles Simon s'en est directement pris au site Leetchi et a dénoncé "le financement des factieux qui attaquent les forces de l'ordre". L'entreprise de cagnottes en ligne lui a répondu du tac au tac.

Leetchi martèle être seulement un "intermédiaire". A ce titre, l'entreprise touche une commission sur les cagnottes lancées en ligne : 4% pour des sommes récoltées en dessous de 2 000 euros, 2,9% de 2 000 à 200 000 euros et 1,9% au-dessus de 200 000 euros. Sauf indication contraire, ce sera également le cas pour la cagnotte lancée pour Christophe Dettinger.

Interpellée par d'autres internautes, l'entreprise insiste sur son respect de la législation. "Tout citoyen a droit à une défense et peut collecter des fonds pour cela. Nous serons évidemment très vigilants quant à l'utilisation de celle-ci afin que la loi soit respectée, comme nous le sommes toujours", affirme notamment Leetchi. Qui insiste : cette cagnotte est "légale puisqu'aucune peine n'a pour l'heure été prononcée".

Mais Marlène Schiappa n'est pas de cet avis. "C'est une forme de complicité, a réagi la secrétaire d'Etat sur franceinfo. On a là quelqu'un qui a commis des faits très graves. (…) Soutenir cela, c'est être complice de cet acte et c'est encourager. (…) C'est une cagnotte qui pour moi est illégale dans la mesure où elle soutient un acte au moins délictueux, c'est-à-dire de violence gratuite." Elle a demandé à Leetchi la suspension de la cagnotte, peu avant que celle-ci soit clôturée par Leetchi.

"Gilets jaunes" : Marlène Schiappa demande à Leetchi de suspendre la cagnotte en faveur du "boxeur"
"Gilets jaunes" : Marlène Schiappa demande à Leetchi de suspendre la cagnotte en faveur du "boxeur" "Gilets jaunes" : Marlène Schiappa demande à Leetchi de suspendre la cagnotte en faveur du "boxeur"

5Pourquoi Leetchi a-t-il décidé de fermer la cagnotte ?

Moins de deux heures après les propos de Marlène Schiappa, Leetchi a annoncé, dans un communiqué sur son site, que les contributions n'étaient désormais plus acceptées, "au vu du montant atteint à ce jour". "En aucune manière, nous ne portons de jugement de valeur sur une thématique, une cause ou un projet et ne prenons nullement position. Notre équipe est présente pour faire respecter les conditions d’utilisation de notre plateforme et assurer la sécurité des collectes", rappelle Leetchi en préambule.

6A quoi va servir l'argent récolté ?

Dans ce même communiqué, publié mardi à la mi-journée, "Leetchi s’engage à ce que les fonds collectés sur la cagnotte de soutien à Christophe Dettinger servent uniquement à financer les frais de justice conformément à nos CGU et à la législation en vigueur". "Compte tenu des actes reprochés à Christophe Dettinger, aucune autre utilisation de la cagnotte ne saurait être acceptée", insiste Leetchi. "Le transfert des fonds ne sera ainsi effectué que sur présentation de  justificatifs (devis et notes d’honoraires de l’avocat). L’argent sera reversé directement sur le compte dédié de l’avocat et ce sans aucun intermédiaire", détaille le site. Leetchi précise que le reste de l'argent collecté sera remboursé aux participants après le paiement des frais de justice.

Payer une éventuelle amende avec la cagnotte, si l'ancien boxeur était mis en examen, puis condamné – rappelons qu'il n'est qu'en garde à vue actuellement – ne serait de toute façon pas légal. "Il est interdit d'ouvrir ou d'annoncer publiquement des souscriptions ayant pour objet d'indemniser des amendes, frais et dommages-intérêts prononcés par des condamnations judiciaires, en matière criminelle et correctionnelle, sous peine de six mois d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, ou de l'une de ces deux peines seulement", dispose l'article 40 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

Depuis le début du mouvement des "gilets jaunes", les cagnottes de soutien fleurissent, notamment pour payer les frais d'avocat des personnes interpellées ou les frais d'hospitalisation des manifestants blessés. Par exemple, l'entourage de Cédric, un "gilet jaune" interpellé en novembre, a récolté via une cagnotte Leetchi près de 13 000 euros pour "payer les frais de justice et d'avocat".

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