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"Gilet jaune" éborgné par un projectile : que s'est-il passé lors de la manifestation de samedi à Paris ?

Sur une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux, un homme est violemment touché par un projectile au visage alors qu'il discutait avec d'autres manifestants, samedi à Paris. Selon ses proches, il a définitivement perdu l'usage de son œil gauche.

Article rédigé par franceinfo
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Manuel T. au moment où il a reçu un projectile dans l'œil gauche, place d'Italie à Paris, le 16 novembre 2019. ((CAPTURE ECRAN / TWITTER))

La vidéo est devenue virale. La scène se déroule samedi 16 novembre à Paris, lors des manifestations marquant le premier anniversaire des "gilets jaunes". Sur les images amateurs, diffusées dimanche soir sur les réseaux sociaux et largement relayées depuis, on voit un homme, en train de discuter calmement, recevoir soudainement un projectile en plein visage. Dans l'œil, plus précisément. 

La victime, Manuel T., 41 ans et originaire de Valenciennes (Nord), a été hospitalisé en urgence à Paris puis à Lille. Sa compagne, Séverine, a déclaré mardi à France 3 Hauts-de-France qu'il a définitivement perdu l'usage de son œil gauche. "Il devra sûrement mettre une prothèse. Il souffre beaucoup", témoigne-t-elle, au bord des larmes. 

Sur demande du ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, le préfet de police a annoncé lundi qu'il allait saisir l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). Franceinfo fait le point sur ce que l'on sait de cette affaire. 

Que voit-on sur la vidéo ? 

La séquence se déroule place d'Italie samedi après-midi, où se sont concentrés l'essentiel des débordements. Il était "entre 14 heures et 14h30", selon le témoignage d'une manifestante à l'AFP. Un groupe de manifestants discute en cercle à proximité du centre commercial Italie 2, à l'écart du chaos. Soudain, l'un d'entre eux reçoit un projectile au niveau de l'œil gauche. Fred, un street medic qui filme la scène, le met aussitôt à l'abri. Il raconte à Libération : "D'un seul coup, la cartouche est arrivée, hyper vite. Au moment de l'impact, en voyant les étincelles, j'ai su que ce n'était pas un tir de LBD. On a pensé que c'était un palet de lacrymo mais en fait c'est la cartouche." Attention, ces images violentes peuvent choquer.

Présente à ses côtés à l'hôpital, la manifestante présente sur place a confirmé que Manuel T. "n'avait rien vu venir" avant l'impact. "Dans ses souvenirs, il n'y a aucune charge, aucune violence. Il était persuadé de ne courir aucun danger", a explique cette "gilet jaune" de 55 ans à l'AFP. C'est également ce que montrent les images, où l'on voit l'homme discuter tranquillement avant d'être frappé de plein fouet.

Sait-on d'où vient le tir ? 

Alors que le LBD 40 a provoqué de multiples blessures depuis le début du mouvement des "gilets jaunes", le projectile qui a touché Manuel T. serait "une grenade MP7", a indiqué David Le Bars, secrétaire du syndicat des commissaires de police (SCPN), sur le plateau de LCI, lundi.

Ce type de munition ne doit a priori pas être utilisée en tir tendu, a indiqué une source judiciaire à L'Obs. Ces grenades lacrymogènes sont "d'habitude tirées en cloche ou dans des tirs semi-tendus", ce qui ne semble pas être le cas ici puisque le tir arrive à l'horizontale, précise cette même source.

"Ça aurait pu être moi ou le street medic ou la personne derrière nous. C'était un tir droit alors que c'est censé être des tirs en cloche. Pourquoi à hauteur d'homme ? On ne comprend pas", s'émeut Séverine.  

Quelles sont les séquelles pour le "gilet jaune" touché ? 

Selon Libération, Manuel T. a d'abord été pris en charge par plusieurs street medics, dont Fred : "Au début, je constate que l'arcade saigne abondamment et que l'œil présente un hématome important, gonflé au niveau de la paupière", raconte-t-il au quotidien. Cet intérimaire dans l'industrie automobile a ensuite été conduit aux urgences ophtalmologiques de l'hôpital Cochin où les soignants "ont essayé de regarder dans son œil, mais ils n'ont pas pu bien voir, car le sang giclait dès qu'il l'ouvrait", raconte sa compagne. Les lésions sont telles que Manuel T. risque très probablement de perdre son œil, leur annoncent les médecins.

Toujours selon Libération, la victime a ensuite été envoyée dans un autre hôpital parisien, la Pitié-Salpêtrière, où on lui apprend que son œil pourrait être sauvé. Le couple a passé une nuit particulièrement difficile dans cet hôpital puisque, d'après sa compagne, "personne n'est venu voir l'état de Manu, ils ne lui ont pas donné à manger, ni à boire. On ne lui a pas lavé le sang qui coulait, ni donné de médicaments contre la douleur"

Le couple s'est rendu lundi midi aux urgences de l'hôpital Huriez à Lille, où Manuel T. est toujours hospitalisé. Sa compagne a indiqué à France 3 Hauts-de-France mardi qu'il a "perdu définitivement son œil gauche". "Il est choqué. Il se demande ce qu'il va faire de sa vie maintenant. Il a 41 ans. On essaie de le rassurer comme on peut. On lui dit qu'il va s'habituer", témoigne-t-elle, très émue.

Il garde son calme. J'ai l'impression qu'il garde la rage à l'intérieur de lui. Il en veut au gouvernement, aux CRS, à tout ce qui a fait que, alors qu'il était tranquillement en train de parler, pacifiste comme nous le sommes depuis le début du mouvement, il a été visé... Alors qu'il était juste tranquille.

Séverine, compagne de Manuel T.

à France 3 Hauts-de-France

Une photo de l'œil du blessé, particulièrement explicite, a été diffusée sur la page Facebook d'un manifestant. "Les espoirs étaient minces... Manu est sorti du bloc opératoire... Manu, notre ami nordiste, Valenciennois au grand cœur, père de famille, travailleur et "gilet jaune" pacifique ne verra plus jamais de son œil !", indiquait-il lundi dans la soirée. 

Quelle est la réaction de la police ? 

A la demande du ministre de l'Intérieur, le préfet de police a annoncé qu'il allait saisir l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). De son côté, le parquet de Paris a ouvert une enquête judiciaire pour "violence par personne dépositaire de l'autorité publique avec armes ayant entraîné une interruption temporaire de travail de plus de huit jours" et confié les investigations à l'IGPN.

Manuel T. et sa compagne Séverine, "gilets jaunes" depuis le début du mouvement, ont indiqué qu'ils allaient porter plainte. "On ne va pas laisser passer ça. Il y a déjà eu énormément de blessés inutiles. A chaque fois, c'est tombé dans les oubliettes. Mais là, vous avez vu la vidéo. On ressent ça comme une grande injustice", déclare Séverine à France 3 Hauts-de-France. 

En un an, quelque 2 500 blessés ont été recensés parmi les manifestants et environ 1 800 dans les rangs des forces de l'ordre. Selon le décompte du journaliste indépendant David Dufresne, 24 personnes ont été éborgnées depuis le début de ce mouvement inédit de contestation sociale.

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