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Reportage Réforme des retraites : sur un campus parisien bloqué, les étudiants entendent bien "aider les grévistes et les travailleurs"

Article rédigé par Lola Scandella
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le campus de Clignancourt, à Paris, bloqué par des étudiants, le 21 mars 2023. (LOLA SCANDELLA/FRANCEINFO)
Mardi matin, une centaine de personnes bloquaient l'entrée d'un bâtiment de la Sorbonne-Université dans le 18e arrondissement. Franceinfo a rencontré ces jeunes solidaires du mouvement social.

Contre la réforme des retraites, les universités entrent dans la danse de la contestation. A Paris, le campus de Tolbiac a ouvert le bal, lundi 20 mars, en votant en assemblée générale l'occupation du site. C'est aussi le cas à Bordeaux, à Jussieu, à Montpellier, à Nanterre, à Lille ou encore à Saint-Etienne, où les étudiants poursuivent leur mobilisation après le rejet de la motion de censure transpartisane à l'Assemblée nationale.

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Dans le quartier de Clignancourt, dans le 18e arrondissement de Paris, une centaine d'étudiants se sont rassemblés, mardi 21 mars, au petit matin, pour bloquer l'entrée du campus de la Sorbonne-Université et rejoindre ainsi une contestation qui se durcit, depuis l'usage de l'article 49.3 par le gouvernement pour faire adopter sa réforme.

Devant le portail, quelques poubelles bloquent l'entrée. Dessus, des pancartes en carton avec des slogans hostiles au projet du gouvernement... Le blocage a été voté la veille, lors d'une AG qui a réuni "150 personnes", selon les étudiants présents. Certains sont membres de syndicats étudiants ou arborent des insignes du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) ou des Jeunesses communistes. D'autres ne revendiquent aucune appartenance particulière.

Mobilisées pour leurs parents

C'est le cas d'Allie, 19 ans, le visage enfoncé dans une doudoune blanche, mais souriante et "heureuse" d'être là. La veille, elle a vécu sa "première AG". Ce matin, c'est son premier blocage. L'utilisation de l'article 49.3, dit-elle, l'a décidé "à se mobiliser".

"Depuis les 'gilets jaunes', le gouvernement n'a jamais bougé. Macron n'a même pas voulu débattre pendant la dernière campagne présidentielle. J'ai l'impression que personne n'est écouté, il y a un sentiment de ras-le bol général dans la population."

Allie, étudiante

à franceinfo

Elle pense aussi à son père, "un peu militant", qu'elle souhaite "défendre" face à la réforme des retraites. A côté d'elle, une de ses camarades, Elsa, toute de noire vêtue, approuve. "Cette réforme, je la combats aussi pour mes parents, explique-t-elle. Ma mère a bossé vingt-cinq ans en usine, mon père est éboueur. Alors la retraite à 64 ans, ils ne tiendront jamais."

Tisser des liens entre générations

Un peu après 7h30, d'autres étudiants arrivent par poignées tandis que La Boulette de Diam's résonne devant l'université. "C'est pas l'école qui va nous dicter nos codes, nan, nan...", assène la rappeuse dans sa chanson. Un camion-benne passe et klaxonne avec enthousiasme, puis un bus de la RATP, qui fait de même. Des applaudissements et des poings levés leur répondent. "Ce blocage sert aussi à visibiliser les universités et à montrer notre soutien aux travailleurs", explique Elsa.

C'est aussi l'avis de Raphaël, 18 ans, étudiant en langues étrangères et membre des Jeunesses communistes : "Ce n'est pas nous, seuls, qui allons faire plier le gouvernement, mais notre action doit aider les grévistes et les travailleurs qui ne peuvent pas se mettre en grève."

"C'est important que tout le monde, indépendamment des âges, entre dans le mouvement."

Raphaël, étudiant

à franceinfo

Pour lui, le but du blocage est aussi de pouvoir libérer du temps aux étudiants et leur permettre de rejoindre d'autres actions. "Par exemple sur les piquets de grève des éboueurs" et ainsi créer des liens intergénérationnels. Cet étudiant estime aussi que l'usage du 49.3 est un tournant dans la mobilisation. "Vu que le gouvernement fait la sourde oreille, je ne suis pas contre le fait de développer des actions plus radicales", affirme-t-il.

"C'est cool qu'on bloque, qu'on se mobilise, ajoute un autre étudiant. Avant, on galérait un peu à rassembler, on faisait des AG à 30. Là, ça bouge !" se réjouit-il. Dans les échanges, les sujets de conversation débordent de la question des retraites. Certains évoquent "l'arnaque du SNU", le Service national universel, que le gouvernement pense à généraliser ; d'autres la "lutte pour le climat" et la nouvelle mobilisation contre les mégabassines annoncée le 25 mars dans les Deux-Sèvres. 

Une AG pour décider de la suite

Le blocage se poursuit après 8 heures. Dans des actions parfois teintées de romantisme, comme lorsque des étudiants accrochent des fleurs aux barrières en ferrailles posées devant le portail de l'université. Des personnels du restaurant universitaire voisin viennent montrer leur soutien. "Si ça ne tenait qu'à moi, ils pourraient bloquer la fac un mois", sourit un homme d'une quarantaine d'années, charlotte blanche sur la tête. Il se réjouit de voir de plus jeunes que lui rejoindre le mouvement car "les retraites, ça nous concerne tous".

Barrières fleuries devant le campus de Clignancourt, lors d'un blocage contre la réforme des retraites, à Paris, le 21 mars 2023. (LOLA SCANDELLA/FRANCEINFO)

Un enseignant est là aussi pour soutenir ses étudiants. "La réforme risque de créer une génération de laissés-pour-compte dans le monde du travail, et le gouvernement n'entend pas la contestation. Je comprends que les jeunes veuillent renverser la table", explique-t-il, le visage caché derrière un masque en tissu blanc.

"Pour l'instant, les étudiants sont calmes, mais je ne sais pas si ça va durer. Si la police débarque, j'ai peur que ça finisse mal. C'est aussi pour ça que je reste sur place."

Un enseignant de la Sorbonne-Université

à franceinfo

Des étudiants et étudiantes réunies en AG devant le campus de Clignancourt, à Paris, le 21 mars 2023. (LOLA SCANDELLA/FRANCEINFO)

A 9 heures, une nouvelle assemblée générale à laquelle franceinfo a pu assister s'organise devant le campus. "Quelque chose se passe au niveau de la jeunesse, depuis jeudi, à la tombée de la nuit, beaucoup de jeunes sortent dans les rues, et certains se font massacrer par la police. Nous, dans les facs, il faut qu'on montre qu'on est présents, pour maintenir la pression sur le gouvernement", lance un étudiant en guise d'introduction.

Mais comment poursuivre la mobilisation ? Faut-il maintenir closes les portes du campus toute la journée ? Ou bien rejoindre une manifestation de soutien aux grévistes d'un incinérateur de déchet dans le sud de Paris ? Au mégaphone, les prises de paroles s'enchaînent.

"Si on lâche le blocage, les cours reprennent, il faut qu'on soit crédibles, qu'on tienne, ensemble, devant ce campus."

Une étudiante

à l'assemblée générale sur le campus de Clignancourt

"C'est vrai, mais je pense qu'il faut aussi manifester notre soutien aux grévistes et aux travailleurs – c'est la base du mouvement. On a la possibilité d'être encore plus nombreux, d'intensifier les cortèges sauvages, c'est le moment d'y aller", lance un autre étudiant. Une délégation étudiante est également formée pour aller sur un autre campus, pour "aider la mobilisation à s'organiser aussi dans d'autres facs". Et mercredi, les étudiants seront là tôt le matin, pour poursuivre le blocage.

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