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Réforme des retraites : pourquoi la décision du Conseil constitutionnel ne mettra pas un point final à la mobilisation

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Les principaux leaders syndicaux français.  Au premier rang : Laurent Berger (CFDT), Sophie Binet (CGT), Frédéric Souillot (FO), Murielle Guilbert (Solidaires). Au second rang : Laurent Escure (Unsa), Cyril Chabanier (CFTC), François Hommeril (CFE-CGC), Benoit Teste (FSU) (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
Les Sages feront savoir vendredi s'ils valident ou non, et dans quelle mesure, la réforme des retraites. Une décision très attendue par les syndicats, car elle dessinera en grande partie le futur du mouvement de constestation.

"Tout ne va pas s'arrêter vendredi soir, c'est sûr. Mais sous quelle forme le mouvement va-t-il continuer ?" C'est la question que se pose Cyril Chabanier, président de la Confédération des travailleurs chrétiens (CFTC). Comme le gouvernement, les opposants à la réforme des retraites ont les yeux rivés sur le Conseil constitutionnel, qui doit mettre fin au suspense vendredi 14 avril, au lendemain d'une douzième journée de mobilisation. Les Sages vont-ils censurer la réforme ? Seulement une partie ? Donneront-ils un feu vert au référendum d'initiative partagée (RIP), cher à la gauche et aux syndicats, qui veulent soumettre à une consultation nationale une proposition de loi limitant l'âge de départ à la retraite à 62 ans ?

De mémoire de constitutionnalistes, peu de décisions du Conseil constitutionnel ont fait l'objet d'autant d'attention que celle de vendredi. Elle dessinera en grande partie la suite de la mobilisation. "On a le sentiment qu'il a un peu en main les clés de la crise. Si jamais il valide le texte, il l'approfondit et empêche une possible reprise du dialogue social. S'il l'invalide, il affaiblit l'exécutif au point que gouverner pourrait être impossible", résume Benjamin Morel, maître de conférences en droit public. 

Dans ce cadre, la mobilisation de jeudi est vécue comme "la der des ders" de la première phase d'opposition à la réforme des retraites. "Il faut prouver au Conseil constitutionnel qu'une majorité de nos concitoyens s'oppose toujours à la réforme, et que chaque faille qu'il trouvera dans le texte sera bienvenue, estime Cyril Chabanier, de la CFTC. C'est aussi une pression supplémentaire pour le gouvernement, pour lui montrer que si le Conseil validait la réforme le lendemain, il vaudrait mieux ne pas l'appliquer."

Vers une démobilisation ?

De son côté, le gouvernement joue la carte de la force tranquille, même si "tout est suspendu jusqu'au 14 avril", reconnaît un ministre auprès de France Télévisions. Sur France 2, Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, s'est dit "confiant" quant à la décision des Sages, estimant qu'elle serait "l'aboutissement du cheminement démocratique". "Quand le Conseil constitutionnel aura rendu sa décision, la CFDT s'y pliera et changera de mode d'action par rapport aux manifestations", veut aussi croire un poids lourd de la majorité, alors que l'intersyndicale a prévu de se réunir jeudi soir pour décider des suites à mener.

En cas de décision favorable au gouvernement, la CFDT ne remettra pas en cause la décision des Sages, a prévenu Laurent Berger, son secrétaire général. "Il n'y aura pas de jeu de la CFDT consistant à dire : 'C'est dégueulasse, le Conseil constitutionnel est constitué d'untel'", a assuré le leader syndical sur LCI. Pour autant, il n'est pas certain que cela signe la fin du mouvement d'opposition à la réforme.

"Reconnaître que la décision du Conseil constitutionnel est valable juridiquement, ça n'est pas trouver que c'est une bonne décision et tout arrêter."

Cyril Chabanier, président de la CFTC

à franceinfo

Les grandes manifestations nationales resteront-elles l'outil principal de mobilisation si le Conseil constitutionnel valide la totalité, ou la quasi-totalité, du texte ? "On le décidera ensemble", avec l'intersyndicale, "mais il est clair que la CFDT ne fera pas des manifestations pendant six mois" dans ce cas, a répondu Laurent Berger sur LCI. "Il faut voir si on est capable de mobiliser, la décision du Conseil pourrait créer un peu de démobilisation chez certains, et on arrive dans un moment de vacances scolaires", avance Cyril Chabanier.

Vers des grèves qui s'enlisent ?

Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l'Unsa, est persuadé que l'intersyndicale "continuera à combattre cette réforme" en activant d'autres leviers. Parmi les outils à la disposition des opposants : "aller chercher les 4,7 millions de signatures nécessaires au RIP s'il est validé, attaquer en justice les décrets d'application de la loi...", égraine-t-il. Une censure partielle des mesures compensatoires de la réforme, comme l'index seniors ou le CDI seniors, offrirait aussi aux syndicats l'occasion d'interpeller à nouveau l'exécutif, au motif que "l'équilibre du texte que prétendait avoir le gouvernement n'est plus respecté", comme l'a expliqué Marylise Léon, la numéro 2 de la CFDT, sur franceinfo. Dans ce cas, Laurent Berger a suggéré que le président de la République se saisisse de l'article 10 de la Constitution, "pour aller vers une nouvelle lecture à l'Assemblée nationale". Ce dernier permet au chef de l'Etat, avant la promulgation de la loi, de proposer au Parlement une nouvelle délibération.

Le scénario le plus inflammable socialement serait celui de la validation de la réforme, mais pas du RIP. Si l'intersyndicale assure qu'elle continuera à parler d'une seule voix, les organisations pourraient néanmoins peiner à contenir leur base. Interrogé par l'AFP, Christophe Aubert, coordinateur de la CGT chez Exxon Mobil, s'est dit prêt à aller "jusqu'au retrait de la réforme". "Que le Conseil constitutionnel valide ou pas, ça ne changera pas notre lutte", a-t-il affirmé, précisant que la raffinerie de Donges, près de Saint-Nazaire, appelait à 48 heures de grève jeudi et vendredi. Les éboueurs parisiens sont également appelés à reprendre la grève jeudi. "On verra ce que dit l'intersyndicale. Mais nous, on sent bien sur le terrain que les salariés ne veulent pas de cette loi", a affirmé Fabien Dumas, de SUD-Rail, auprès de l'AFP.

Vers une colère populaire ?

Comme ce fut un peu le cas avec l'entrée en jeu de la jeunesse après l'utilisation de l'article 49.3, le mouvement pourrait aussi en partie échapper à l'intersyndicale. "Une partie de nos concitoyens, notamment dans les petites et moyennes villes, où ont eu lieu beaucoup de manifestations, se sont sentis humiliés par la manière dont le pouvoir a agi. Cette humiliation peut se transformer en colère, et rien ne dit qu'elle s'éteindra, car le Conseil constitutionnel et Laurent Berger ont parlé", relève aussi l'historien Stéphane Sirot, spécialiste des mouvements sociaux.

"On pourrait voir renaître dès vendredi soir des mobilisations spontanées, peut-être encore plus importantes, car la plupart de ceux qui se sont mobilisés contre la réforme n'auront plus d'horizon politique ou institutionnel."

Stéphane Sirot, historien

à franceinfo

Un débordement auquel ne croit pas Cyril Chabanier : "Les organisations syndicales tiennent bien la mobilisation depuis trois mois, je ne pense pas qu'elle puisse nous échapper maintenant, même si des petits groupes plus radicaux peuvent tenter des actions." Il met néanmoins en garde le gouvernement contre une nouvelle crise sociale, comme celle des "gilets jaunes", à moyen terme, s'il ne recule pas sur le dossier des retraites.

"La colère des gens ne va pas s'arrêter du jour au lendemain."

Cyril Chabanier, président de la CFTC

à franceinfo

Faute d'obtenir gain de cause dans la rue, la mobilisation pourrait cependant s'éteindre après quelques jours, envisage aussi l'historien Stéphane Sirot. La colère populaire pourrait alors s'exprimer dans les urnes aux prochaines échéances électorales, avec "une défaite pour la majorité", imagine-t-il.

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