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Infographies Réforme des retraites : copier-coller, demandes de suppression, articles ciblés... Ce que cache le chiffre symbolique des 20 000 amendements déposés

Alors que les députés entament lundi dans l'hémicycle l'étude du projet de loi de réforme des retraites, l'analyse des amendements soumis par les différents groupes révèle notamment de nombreuses propositions similaires.
Article rédigé par Brice Le Borgne
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'Assemblée nationale, le 24 janvier 2023. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

Place au débat. Une nouvelle manche sur la réforme des retraites se joue à l'Assemblée à partir du lundi 6 février, avec l'examen du texte en séance publique. Les députés ont deux semaines pour étudier et voter les quelque 20 000 amendements déposés par les différents groupes représentés dans l'hémicycle. S'il fallait tous les lire en intégralité, il faudrait pourtant plus de 35 jours, à raison de 10 heures de lecture par jour, à condition de pouvoir assimiler 300 mots à la minute. 

Obstruction pour les uns, détermination pour les autres : derrière ce volume d'amendements, qui rend incertain l'examen du texte dans sa totalité, se cachent des propositions strictement identiques et des amendements pour le moins originaux, révélant différentes stratégies. D'autres font relativiser le nombre symbolique des 20 000 propositions. Franceinfo vous résume les particularités de cette liste.

La Nupes à l'origine de 87% des amendements

Le site de l'Assemblée nationale recensait, dans la nuit de jeudi à vendredi, 19 914 amendements. Bien en deçà des 40 000 déposés pour la précédente réforme des retraites, en février 2020, ou du record de 2006, quand les députés socialistes et communistes avaient dégainé plus de 130 000 amendements contre la loi autorisant la privatisation de GDF. 

Ces propositions doivent encore être analysées par les services de l'Assemblée et certaines pourraient être jugées irrecevables d'ici lundi, notamment si elles introduisent de nouvelles dépenses pour l'Etat. Pour l'heure, une écrasante majorité des propositions a été déposée par des députés de la Nupes : pas moins de 17 470 amendements, plus de 87% du total. Une proportion semblable à ce que l'opposition de gauche avait déposé en commission, une semaine plus tôt.

Dans le détail, les députés de La France insoumise (LFI) en ont rédigé le plus grand nombre (12 807), loin devant leurs collègues écologistes (2 193). Les socialistes occupent la troisième place avec 1 306 amendements et les Républicains (LR) la quatrième, avec 1 229 amendements, notamment pour insister sur le renforcement de l'emploi des seniors.

C'est Hadrien Clouet, député LFI de Haute-Garonne, qui a déposé le plus d'amendements : 1 027 à lui seul. Il est suivi par sa collègue Mathilde Panot (888 amendements), et l'écologiste Sandrine Rousseau (694). Avec cette profusion de retouches, Hadrien Clouet affirme à franceinfo qu'il veut "obliger le gouvernement à répondre". Que répond-il aux accusations d'obstruction par la majorité ? "Pour eux, c'est un crime de lèse-majesté. Si on examinait ce texte comme une loi normale, si on avait plus de 11 jours, on serait en mesure d'examiner ces amendements", estime l'élu, regrettant que cette réforme soit intégrée au projet de loi de finances, au lieu d'être une loi à part entière. En moyenne, les députés LFI ont déposé 173 amendements chacun, contre 6,4 pour ceux de la majorité, et 4,3 pour ceux du Rassemblement national.

>> Réforme des retraites : on vous résume les principaux amendements déposés par les députés avant l'examen du texte à l'Assemblée

Les articles 2 et 7 dans le viseur de l'opposition

Sans surprise, l'article 7 concentre les critiques des oppositions : c'est à son troisième alinéa qu'est mentionné le report à 64 ans de l'âge de départ à la retraite. La durée des discussions en commission, la semaine passée, n'avait pas permis d'atteindre l'étude de cet article, renforçant la frustration des députés. Pour l'examen en séance publique, près de 1 000 amendements ont pour seul objet la suppression de cette disposition. Au total, 6 821 propositions concernent l'article 7, notamment pour y apporter des précisions ou en changer le contenu. 

L'article 2 du projet de loi est aussi la cible de l'opposition, avec 8 614 amendements. Nombre d'entre eux portent un objectif similaire : instaurer une contribution exceptionnelle pour les milliardaires ou sur les entreprises dégageant le plus de chiffre d'affaires, pour la reverser au financement du système des retraites. Une proposition portée par l'association de lutte contre la pauvreté Oxfam dans son dernier rapport sur les inégalités.

De nombreux copier-coller

Face à la masse des 20 000 amendements, plusieurs responsables politiques ont accusé la Nupes d'obstruction des débats. "Examiner tous ces amendements nécessiterait quatre mois de débat parlementaire", a fustigé sur Twitter la cheffe des députés Renaissance, Aurore Bergé. En réalité, lorsque plusieurs membres d'un même groupe présentent des amendements identiques, les députés procèdent à un seul vote sur l'ensemble des amendements similaires. Or, beaucoup de ces modifications sont identiques : les élus LFI, à 68 reprises, demandent à propos de l'article 7 de "supprimer cet article". Au bout du compte, une fois les doublons retirés, il reste 11 805 amendements. Plus de 3 000 d'entre eux n'ont pour objet que de supprimer un article ou un alinéa.

D'autres députés ont opté pour une stratégie différente : copier-coller un amendement en n'en modifiant qu'une partie. Les socialistes, par exemple, ont déposé des centaines d'amendements semblables pour exclure de la réforme, une à une, les nombreuses catégories socio-professionnelles listées par l'Insee. L'Insoumis Hadrien Clouet a aussi introduit des dizaines de lignes demandant l'instauration d'une contribution sur les dividendes des entreprises les plus fortunées, où seul variait le seuil de chiffre d'affaires : 750 000 000 euros, 750 000 001 euros, 750 000 002 euros et ainsi de suite jusqu'à 750 000 049 euros, soit 50 amendements quasiment identiques.

Ce jeu d'écriture, utilisé par d'autres députés et sur d'autres indicateurs, est assumé. "Notre but n'est pas de faire perdre du temps, assure Hadrien Clouet. C'est la garantie de dire au gouvernement que l'on veut une réponse sur nos propositions. On veut montrer qu'on est prêt à discuter du montant exact, des assiettes, du barème." D'après une estimation de franceinfo, lorsqu'on compare les amendements en laissant de côté ces maigres modifications, le nombre de propositions déposées tombe sous les 8 000. 

Derrière la masse des 20 000 amendements, se cachent enfin quelques centaines de propositions de pure forme. Remplacer "le temps partiel" par "les périodes de temps partiel", ou "le fonctionnaire" par "les fonctionnaires"... La rapporteuse du texte et députée Renaissance, Stéphanie Rist, a ainsi déposé 135 amendements dits "rédactionnels", visant simplement à reformuler certains passages. De quoi relativiser, ici aussi, le nombre de 446 textes déposés par le parti de la majorité présidentielle. 

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