"Ils ne vont pas réussir à nous faire taire" : à Paris, les manifestants contre la réforme des retraites entre inquiétude et colère face aux "violences policières"
"La police mutile, on ne pardonnera pas", "C'est nous les BRAVes", "Soyez doux. Stop police violente"... Les slogans écrits sur les pancartes des manifestants et tagués sur les murs de Paris montrent qu'un tournant s'est opéré, mardi 28 mars, en cette dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Les participants ne sont pas seulement venus pour s'opposer au projet de loi, dont l'avenir est désormais suspendu à la décision du Conseil constitutionnel. Ils sont aussi là pour dire leur colère – et parfois leur peur – face aux "violences policières".
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Depuis le recours au 49.3 pour faire adopter le texte sans vote des députés, le 16 mars, le climat s'est tendu entre forces de l'ordre et manifestants. Les rassemblements spontanés se sont multipliés dans tout le pays et des centaines d'interpellations ont eu lieu à chaque fois.
"Ça effraie un peu, c'est sûr"
Albert et Léo, 23 et 24 ans, racontent justement avoir été interpellés lundi, alors qu'ils arpentaient les rues de la capitale pour s'opposer au rejet des deux motions de censure, déposées par l'opposition. Ils assurent avoir été arrêtés "sans aucun fondement" dans le 2e arrondissement, alors qu'ils manifestaient "pacifiquement", "sans rien abîmer". "J'ai passé seize heures en garde à vue, dont six dans un car de CRS, sans eau", relate Léo, encore un peu sonnée. "Je me suis retrouvée dans une toute petite cellule, avec des restes d'excréments et du sang séché sur les murs", poursuit-elle. Cet épisode n'a toutefois pas entamé la motivation de ces jeunes manifestants. "Au contraire, insiste Albert. Dès le jeudi suivant, on était dans le cortège. On s'est dit : ils ne vont pas réussir à nous faire taire."
Un peu plus loin, Sophie, 40 ans, soignante dans un hôpital parisien, affirme s'être retrouvée dans la même situation, alors qu'elle marchait dans les rues du 9e arrondissement avec d'autres manifestants. "Je suis restée dix-huit heures au commissariat, sans aucun motif. Mon arrestation était totalement arbitraire", assure-t-elle. Vêtue d'une blouse blanche, elle a décidé de revenir manifester avec ses collègues, malgré cet épisode "anxiogène", mais elle avoue ne pas être très rassurée.
"Vis-à-vis de la police, j'ai l'impression que tout peut arriver à n'importe qui, même quand on est manifestant pacifiste."
Sophie, 40 ans, soignante à l'AP-HPà franceinfo
"On a un collègue soignant qui est venu manifester et qui a pris un coup de matraque dans les genoux", poursuit cette adhérente du syndicat Solidaires. "Et il y a cette femme qui a eu son pouce arraché lors d'une manifestation à Rouen. Ça effraie un peu, c'est sûr", souffle-t-elle.
"On a une liste d'avocats à contacter, au cas où"
La diffusion ces derniers jours sur les réseaux sociaux de vidéos choquantes, comme celle d'un policier assénant un coup de poing au visage d'un manifestant ou celle des insultes et intimidations proférées par des policiers des Brigades de répression de l'action violente motorisées (Brav-M), inquiète de plus en plus, y compris chez les manifestants les plus rodés. Marie, professeure d'histoire-géographie dans un lycée au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), a participé à la quasi-totalité des rassemblements contre la réforme des retraites. Mais elle confie être arrivée avec un peu plus d'appréhension pour cette dixième journée nationale d'action.
"Il y a une stratégie de tension et d'intimidation de la part de la police, considère l'enseignante. Des amis ont été gazés alors qu'ils marchaient dans les cortèges syndicaux, ils ont même pris des canons à eau. J'avais arrêté de venir et puis finalement, je reviens, mais en étant flippée. Ça me rappelle l'époque des 'gilets jaunes', où on avait peur de manifester, de recevoir un tir de LBD [lanceur de balles de défense]."
Jérémy et Marie, graphistes web, sont, eux aussi, des habitués des manifestations. Tous deux confient prendre de nouvelles précautions. "J'ai essayé de mettre la tenue la plus neutre possible, sans noir, pour qu'on ne me confonde pas avec un 'black bloc'. On serre bien le cortège, on évite d'aller dans des rues adjacentes, pour ne pas se retrouver seuls ou en petits groupes face à la police", explique Marie, 34 ans. "On a appris le numéro de l'un et de l'autre par cœur et on a une liste d'avocats à contacter, au cas où on irait en garde à vue", ajoute Jérémy.
"Le fait que Gérald Darmanin nie les violences policières crée un sentiment d'injustice encore plus fort. On ressent de la colère depuis quelques jours."
Jérémy, 32 ans, graphisteà franceinfo
Pour d'autres manifestants, la peur des débordements, du côté des black blocs comme des policiers, prend une place beaucoup trop importante dans les médias. C'est l'avis d'un petit groupe d'étudiants de l'université Paris-8, à Saint-Denis, croisés place Voltaire, dans le 11e arrondissement, à la moitié du parcours. "On ne parle pas assez du mouvement des étudiants : c'est incroyable ce qu'il se passe. Toutes les facs se mobilisent, même celles qu'on n'entend pas d'habitude, comme Assas ou Dauphine. Il y a une alliance qui se forme et on en parle beaucoup moins que des arrestations de manifestants", lance India, 18 ans.
Ezéchiel, 19 ans, se souvient tout de même d'avoir eu peur de la police, une fois. "C'était pendant la manifestation qui arrivait à Invalides [le 31 janvier]. Ils avaient chargé très rapidement, on n'avait rien eu le temps de faire." A côté de lui, Martin relativise. "Oui, il y a eu des débordements. Mais dans l'ensemble, tout se passe bien". Il regrette qu'il y ait "une diabolisation des manifs" alimentée, dit-il, "par les médias". "Quand je discute avec des gens qui n'y sont jamais allés, ils ont l'impression que c'est un cauchemar, qu'ils peuvent se faire taper dessus à tout moment par un flic", observe le jeune homme, qui compte bien continuer à se mobiliser. "Hors de question qu'on laisse la peur prendre le dessus."
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