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Grève contre la réforme des retraites : pourquoi le Rassemblement national peine à faire entendre sa voix

Si la présidente du RN s'oppose à la réforme des retraites, ses positions sur les grèves et les manifestations sont beaucoup plus ambiguës. 

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La présidente du RN, Marine Le Pen, répond à la presse sur la réforme des retraites, à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), le 11 décembre 2019. (DENIS CHARLET / AFP)

"Ils chevauchent ce mouvement social, mais en même temps, ils ne sont pas d'accord avec ceux qui l'animent, c'est un petit problème", sourit Jean Grosset, directeur de l'observatoire du dialogue social de la fondation Jean-Jaurès. Depuis le début de la grève contre la réforme des retraites, le Rassemblement national semble marcher sur des œufs. En cause principalement : l'animation du mouvement par des syndicats classés à gauche. Si le parti de Marine Le Pen s'oppose au projet du gouvernement et réclame un référendum, il semble beaucoup moins à l'aise avec les diverses formes prises par la mobilisation. 

A commencer par sa participation aux manifestations des 5, 12 et 17 décembre. La présidente du RN avait expliqué, en prévision de la première journée de mobilisation, soutenir la manifestation mais sans y participer elle-même, considérant que "ce n'est pas la place d'un dirigeant de parti politique". Certains cadres du RN sont au contraire descendus dans la rue, mais sans banderole, ni signe distinctif. Le député Sébastien Chenu ou le conseiller de Marine Le Pen et  député européen Philippe Olivier se sont, par exemple, brièvement joints aux cortèges, selon Les Echos.

Les syndicats et le RN, deux mondes très différents

Jean-Lin Lacapelle, vice-président du groupe RN au conseil régional d'Ile-de-France, a lui aussi manifesté à Paris, le 17 décembre. "Il aurait été mal venu de venir avec mon écharpe, on le fait sans vouloir récupérer politiquement le mouvement. D'ailleurs, j'ai défilé avec des amis, des anciens collègues de Danone et de L'Oréal", raconte cet ancien cadre de plusieurs grands groupes industriels. Une initiative à titre privé donc, mais surtout loin des cortèges syndicaux officiels. 

Je n'ai pas spécialement envie de défiler côte à côte avec ceux qui ont manifesté avec les islamistes ou qui ont appelé à voter Macron, comme Martinez.

Jean-Lin Lacapelle, cadre du RN

à franceinfo

Les cadres et militants RN "ont une réticence à se retrouver dans la rue avec des gens qui sont plus que des adversaires politiques, des ennemis politiques", souligne le politologue spécialiste de l'extrême droite Jean-Yves Camus. "Ils sont très mal à l'aise avec le syndicalisme, ce sont deux mondes très différents", appuie Jean Grosset. Et cet ancien conseiller social de Jean-Christophe Cambadélis, l'ex-patron du PS, de poursuivre : "Quand vous regardez dans le programme du RN sa position vis-à-vis des syndicats, aucun ne trouve grâce à ses yeux, à part de temps en temps FO. Le RN dit des syndicats qu'ils sont co-responsables des difficultés des salariés car ils continuent à accompagner l'immigration illégale en France."

Ils sont très gênés d'accompagner ce mouvement aux côtés des organisations syndicales. La CGT, c'est le spectre communiste pour eux.

Jean Grosset, de la fondation Jean-Jaurès

à franceinfo

A contrario, le PS et La France insoumise sont idéologiquement plus compatibles avec ce genre de manifestations. Leurs leaders, que ce soit Olivier Faure ou Jean-Luc Mélenchon, ont d'ailleurs participé de manière visible à toutes les mobilisations. De son côté, la CGT n'accueille pas franchement à bras ouverts les militants du Rassemblement national. "L'extrême droite n'est pas bienvenue dans nos manifestations", avait mis en garde la centrale syndicale dans un communiqué publié le 4 décembre. La conclusion était sans appel : "Nous sommes une organisation avec l'antiracisme chevillé au corps et nous n'aurons jamais rien en commun avec un mouvement qui porte une idéologie raciste et xénophobe."

"Mon rôle n'est pas de soutenir ou pas la grève"

Difficile aussi, pour "le parti de l'ordre", comme le rappelle Jean Grosset, de soutenir ouvertement et pleinement les grévistes. "En l'état, est-ce que vous soutenez ceux qui continuent à faire grève ? Dites-vous la même chose que les syndicats : 'le compte n'y est pas' ?" demandait un journaliste à Marine Le Pen après les annonces d'Edouard Philippe, le 11 décembre. "Je soutiens ceux qui s'opposent à cette réforme", avait éludé la députée du Pas-de-Calais.

L'embarras est encore plus grand chez l'un de ses très proches, l'eurodéputé Jordan Bardella. Interrogé sur LCI le 12 décembre, le vice-président du RN s'est révélé incapable de répondre à une question pourtant simple : "Soutenez-vous les grévistes ?" Jordan Bardella a ainsi passé plusieurs minutes à tenter de contourner le problème –"Je leur dis que le plus important face à la politique du gouvernement, c'est de voter" ou encore "Je leur dis que la mobilisation a été historique"– avant de finalement confesser : "Moi, mon rôle n'est pas de soutenir ou pas la grève." 

"La grève n'est pas dans la culture du RN, c'est un outil de lutte des classes", rappelle Jean-Yves Camus. Pour ne pas avoir l'air de prendre uniquement le parti des grévistes, le RN a d'ailleurs appelé à une "trêve pour Noël". Selon les dires de Marine Le Pen sur Europe 1, "même pendant la guerre, on faisait la trêve pour Noël". Un discours dans lequel s'est immédiatement engouffré son ancien bras droit, Florian Philippot. 

Le président des Patriotes explique "la pudeur" du RN vis-à-vis de la grève par "des raisons sociologiques". "Dans l'encadrement du parti, il y en a certains qui sont issus de la haute bourgeoisie et qui voient la grève comme quelque chose de mal", assure-t-il. 

Quel bénéfice électoral ? 

Malgré ses contradictions, impossible toutefois pour le parti d'extrême droite de ne pas se prononcer sur la contestation sociale. "Quand vous dites que vous êtes la deuxième force politique du pays, vous ne pouvez pas passer à côté d'un mouvement qui mobilise des milliers de personnes, le silence n'est pas une option", analyse Jean-Yves Camus. Le politologue indique également que "la question des retraites, les militants et sympathisants du Rassemblement national se la posent aussi comme le reste des Français, ils attendent que le parti donne son avis".

En termes de solutions économiques, le RN prône la retraite à 60 ans et défend une politique nataliste pour sauvegarder le système des retraites, explique le JDD. Mais le parti passe plus de temps à marteler sa solution politique pour sortir de la crise –le référendum– que de développer des propositions sur le fond. "C'est parfaitement cohérent, si on écoute Marine Le Pen, on va tout trancher par référendum, mais à un moment donné la politique réclame de l'action immédiate", souligne Jean-Yves Camus. A entendre les députés de la majorité, la solution référendaire n'est même pas sur la table. "L'option du référendum serait d'une hypocrisie sans nom, cela se transformerait en un 'pour ou contre' Macron, balaye un député LREM. Et on ne répond pas à une question complexe avec une question simple". Mais, pour le RN, le référendum lui permet "de combler son déficit technique en s'en remettant au peuple", selon Jean-Yves Camus. 

Le référendum, c'est un bon moyen de s'en sortir pour éluder les réponses techniques, ça permet de botter en touche.

Jean-Yves Camus, politologue

à franceinfo

Quelle que soit l'issue du mouvement social, pas sûr que Marine Le Pen en ressorte gagnante. "Si Emmanuel Macron se rétablit en lâchant quelque chose qui satisfait les syndicats réformistes, Marine Le Pen réalisera l'extrême difficulté qu'il y a pour elle à affronter le président en 2022", décrypte Jean-Yves Camus. Et si le chef de l'Etat sort affaibli de cette séquence ? "Ce n'est pas elle qui a été à l'initiative de ce mouvement, elle n'e s'y est pas montrée, dans la rue cela reste un mouvement de gauche. Bref, le bénéfice électoral est assez difficile à déterminer pour le RN", conclut le politologue. 

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