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Vrai ou faux Le pouvoir d'achat a-t-il augmenté de "1 400 euros par Français et par an" depuis 2017, comme l'avance le patron des députés MoDem ?

Au cours des cinq dernières années, le pouvoir d'achat a progressé en moyenne de près de 300 euros par an, selon une étude de l'OFCE. Un chiffre près de cinq fois inférieur à celui avancé par le député Patrick Mignola. Mais cette moyenne masque une grande hétérogénéité selon les ménages.

Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le rayon fruits et légumes d'un supermarché en Ile-de-France, le 20 mai 2022. (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS / AFP)

C'est le premier chantier du nouveau gouvernement. Chèque alimentaire, bouclier tarifaire, triplement de la prime Macron... Pour faire face à l'inflation des prix alimentaires et énergétiques, le projet de loi sur le pouvoir d'achat sera présenté en Conseil des ministres après les élections législatives, a déclaré, lundi 23 mai, la nouvelle porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire.

Le président du groupe MoDem à l'Assemblée nationale, Patrick Mignola, a de son côté défendu, dimanche, l'action déjà menée par Emmanuel Macron lors de son premier quinquennat pour protéger le portefeuille des ménages. "Depuis cinq ans, le pouvoir d'achat (...) a augmenté en moyenne de 1 400 euros par Français et par an", a assuré le député de la Savoie dans l'émission "Dimanche en politique" sur France 3 (extrait à partir de 14'10''). Mais cet ordre de grandeur est-il juste ?

Une hausse moyenne estimée à 294 euros par l'OFCE

Dans une note d'analyse publiée en mars, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a justement chiffré les gains de pouvoir d'achat des ménages durant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron. Le centre de recherche en économie, rattaché à Sciences Po Paris, s'est appuyé sur l'évolution du "pouvoir d'achat du revenu disponible brut". Cet indicateur correspond à l'addition des revenus issus du travail (salaires), du capital (loyers, dividendes), ainsi que des prestations sociales, moins les cotisations sociales et les impôts, le tout en tenant compte de l'évolution des prix. Ces données sont présentées par "unité de consommation", un outil statistique permettant de "comparer les niveaux de vie de ménages de taille ou de composition différente", comme l'explique l'Insee.

L'étude conclut que le premier mandat d'Emmanuel Macron à l'Elysée s'est soldé par des "gains positifs" pour les ménages français. En moyenne, le pouvoir d'achat par unité de consommation a progressé de 294 euros par an (+ 0,9% par an). Un chiffre près de cinq fois inférieur à celui avancé par Patrick Mignola. Cette augmentation est toutefois nettement supérieure à celle observée lors des deux précédents quinquennats. Selon l'OFCE, le gain moyen annuel était de 78 euros (+ 0,2% par an) durant la présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012), et de 16 euros (+ 0,1% par an) sous François Hollande (2012-2017). 

D'autres études, s'appuyant sur des méthodologies différentes, ont confirmé une hausse du pouvoir d'achat ces cinq dernières années. En octobre, le Rapport économique, social et financier pour 2022 (PDF), rédigé par la direction générale du Trésor, rattachée au ministère de l'Economie, avait pointé une progression plus marquée des gains de pouvoir d'achat au cours du quinquennat d'Emmanuel Macron que sous ceux de ses deux prédécesseurs. De son côté, l'Institut des politiques publiques (IPP) a publié en mars une étude sur les effets redistributifs des mesures socio-fiscales du quinquennat écoulé (PDF), qui juge que "les gains moyens sont positifs pour une grande majorité de ménages". 

Alors, comment expliquer cette progression du pouvoir d'achat ? D'abord, par "l'amélioration du marché du travail", détaille Pierre Madec, co-auteur de l'étude de l'OFCE. L'économiste rappelle que plus d'un million d'emplois ont été créés entre 2017 et 2022. L'étude souligne également l'impact des mesures sociales et fiscales mises en œuvre durant le quinquennat.

"L'évolution des prélèvements fiscaux et sociaux directs sur les ménages ont contribué positivement au pouvoir d'achat, ce qui n'avait jamais été observé au cours des quatre mandats précédents."

L'OFCE

dans une note d'analyse publiée en mars

Derrières les moyennes, de grandes disparités

Toutefois, "ces moyennes cachent des disparités extrêmement importantes" en fonction des niveaux de vie des ménages, met en garde Pierre Madec. "Les grandes gagnantes des mesures socio-fiscales sont les classes moyennes qui ont bénéficié de la suppression de la taxe d'habitation, de la défiscalisation des heures supplémentaires ou de la revalorisation de la prime d'activité", analyse l'économiste. Leur pouvoir d'achat a progressé en moyenne de 7% au cours des cinq dernières années. Celui des 10% des ménages les plus modestes aurait grimpé de l'ordre de 5,3%, contre 3,5% pour les plus aisés.

Mais si on rapporte ces pourcentages en euros, la hausse du pouvoir d'achat sur l'ensemble du quinquennat serait de 600 euros pour les plus modestes, contre 2 600 euros pour les plus aisés, calcule l'OFCE. Ces derniers ont notamment profité de la suppression de l'impôt sur la fortune (ISF), transformé en impôt sur la fortune immobilière (IFI). Par ailleurs, en observant plus finement dans les tranches de niveaux de vie, certains foyers des classes moyennes ont perdu du pouvoir d'achat, comme les retraités.

"Les retraités ont pâti de l'augmentation de la Contribution sociale généralisée (CSG) et de la sous-indexation des pensions."

Pierre Madec, économiste à l'OFCE

à franceinfo

Parmi les ménages les plus modestes, certains ont également "perdu du niveau de vie avec la réforme de l'assurance-chômage ou la baisse des aides au logement", souligne Pierre Madec. La hausse des prix du tabac a également davantage pesé sur leur porte-monnaie.

Entre 65 et 295 euros de gain pour les ménages les plus modestes

Contacté par franceinfo, Patrick Mignola avance que la hausse de pouvoir d'achat de 1 400 euros par an évoquée dimanche concerne "les premiers déciles" de niveaux de vie, c'est-à-dire les plus modestes, et non l'ensemble des Français. Le député MoDem estime que ces foyers ont gagné 120 euros par mois grâce à quatre mesures prises durant le quinquennat : la suppression de la taxe d'habitation, la hausse de la prime d'activité, la baisse des charges salariales et celle de l'impôt sur le revenu. Un calcul étonnant, puisque les foyers les plus modestes sont le plus souvent exonérés d'impôt sur le revenu.

L'élu ne prend par ailleurs pas en compte les mesures qui ont pesé sur leur pouvoir d'achat. Les valeurs qu'il avance s'écartent donc nettement des calculs de l'OFCE. Sur les deux premiers déciles, c'est-à-dire les 20% les plus modestes, le centre de recherche évalue entre 65 et 295 euros par an les gains de pouvoir d'achat directement liés aux mesures fiscales et sociales du gouvernement. 

Néanmoins, si la hausse du pouvoir d'achat fait globalement consensus, les analyses divergent sur les principaux bénéficiaires des mesures fiscales et sociales du premier quinquennat d'Emmanuel Macron. La direction générale du Trésor estime par exemple que les "ménages modestes, situés dans les premiers dixièmes de niveau de vie" sont ceux qui ont bénéficié "de la progression de pouvoir d'achat la plus importante en pourcentage". A l'inverse, l'IPP conclut que les mesures du quinquennat ont généré des gains plus importants pour les 1% des plus riches que pour les 5% les plus modestes. Ces divergences de résultats tiennent à des différences méthodologiques, notamment sur le champ des mesures prises en compte, comme l'ont expliqué l'OFCE et l'IPP dans leurs récentes notes.

Des foyers plus exposés que d'autres à l'inflation

Enfin, sur le plateau de France 3, Patrick Mignola a souligné que l'inflation avait "rogné" les gains de pouvoir d'achat. Effectivement, la hausse des prix, en grande partie due au coût de l'énergie, aurait entraîné des pertes de pouvoir d'achat pour plus de 60% des ménages en 2021, selon les estimations de l'OFCE. Là encore, avec de grandes disparités en fonction des Français. L'étude juge que "10% des ménages ont subi une inflation inférieure à 1,8% tandis que 10% ont subi un renchérissement de leur panier de consommation supérieur à 5,3%".

"Les ménages qui ont des dépenses énergétiques élevées, en raison de leur mode de transport ou de leur chauffage, ont subi une inflation plus importante."

Pierre Madec, économiste à l'OFCE

auprès de franceinfo

Pour au moins un tiers des ménages français, le renforcement du chèque énergie et l'indemnité inflation ont cependant permis de compenser ces pertes de pouvoir d'achat l'année dernière, selon l'étude. Ces dispositifs ont particulièrement profité aux 10% des foyers les plus modestes. Les pertes sont à l'inverse "maximales" pour les ménages se situant autour du revenu médian.

Pour l'heure, ces travaux ne tiennent pas compte de l'accélération de l'inflation en 2022, observée depuis le début de la guerre en Ukraine fin février, et des nouvelles mesures récemment mises en place par le gouvernement (remise sur les prix à la pompe, relèvement du barème de l'indemnité kilométrique...). 

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