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L'Angle éco. Les hosties françaises, un marché en crise

Les 32 monastères vivant encore de la fabrication d’hosties en France font face à une forte baisse de la demande. En cause, une pratique religieuse en chute libre, mais aussi l’arrivée d’hosties étrangères sur le marché français, à des prix défiant toute concurrence.

Article rédigé par franceinfo - Valentine Pasquesoone
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Temps de lecture : 6 min
  (GODONG / BSIP)

Depuis cent six ans, l’activité bat son plein à l’abbaye Notre-Dame de Bon-Secours, à Blauvac. Cette communauté de 18 moniales s’affaire 5 heures et demi par jour, matin et après-midi, à la fabrication d’hosties. Une sœur âgée de 102 ans participe elle aussi à cette tâche quotidienne, fondamentale dans cette abbaye cistercienne du Vaucluse, proche d’Orange et d’Avignon. Pour cette communauté, la production d’hosties est – et a toujours été – la principale source de revenus. Blauvac est aujourd’hui le premier fabriquant d’hosties de France. Les choses étaient bien différentes il y a cinq ans.

A l’époque, les comptes de l’abbaye étaient déficitaires. La demande d’hosties reculait, mettant sérieusement en péril les revenus de la communauté. C’est paradoxalement la fermeture de l’abbaye d’Ubexy, dans les Vosges, autre fabricant d’hosties, qui a permis à Notre-Dame de Bon-Secours de remonter la pente. Une partie de la production d’Ubexy a été transférée à Blauvac et dans d’autres monastères. Sans cette reprise, la communauté aurait dû chercher une autre activité pour survivre. “Cela s’améliore pour nous, mais cela veut dire que des monastères ont fermé”, réagit sœur Marie Samuel.

L’abbaye de Blauvac est l’une des rares communautés religieuses à continuer de confectionner des hosties en France. Elles ne sont plus que 32, quand chaque diocèse – 104 aujourd’hui – comptait un à deux fabricants d’hosties il y a cinquante ans. “Notre travail est calqué sur la vie de l’Eglise, poursuit sœur Marie Samuel. Quand un prêtre disparaît, nous, nous sommes privés de notre commerce.” Entre le recul de la pratique religieuse et une concurrence étrangère importante, la fabrication d’hosties françaises subit, elle aussi, une crise sans précédent. 

Une demande en chute libre

Comme à Blauvac, le transfert de la production de l’abbaye d’Ubexy a bénéficié aux bénédictines de Rosheim, dans le Bas-Rhin. Elles produisent aujourd’hui 4,5 à 5 millions d’hosties par an, contre 3,5 millions il y a quinze ans. Sans Ubexy et la reprise d’une autre production voisine, la fabrication d’hosties aurait progressivement chuté ici aussi. “Nos client historiques sont des clients dont la demande a diminué, confirme sœur Marie Pierre, prieure de la communauté. Des prêtres nous disent qu’au lieu d’avoir 80 personnes à la messe, ils n’en ont plus que 30”.

Le recul de la pratique religieuse et des vocations a aussi un impact économique direct : une consommation des hosties en chute libre. Selon l’étude La Religion dévoilée, une nouvelle géographie du catholicisme (éditée par la Fondation Jean-Jaurès en 2014), seuls 5% des catholiques vont encore à la messe “tous les dimanches”. Ils étaient 25% en 1961. La France compte aujourd’hui environ 3 millions de catholiques pratiquants. Dans les années 1960, ils constituaient jusqu’à 70% de la population dans certaines régions. Moins de fidèles et moins de prêtres, cela entraîne moins de demande, et donc moins de revenus pour les fabricants d’hosties. A Rosheim, certains clients avaient l’habitude d’acheter 20 000 hosties d’un coup quatre fois par an. Ils viennent désormais trois fois par an au maximum.

Le carmel de la Trinité, à Metz-Plappeville en Moselle, est peut-être l’une des communautés où la production a le plus chuté : en vingt ans, la fabrication d’hosties y a baissé de moitié, avec une accélération particulièrement forte depuis 2006. Aujourd’hui, le carmel produit environ 3,5 millions d’hosties par an, contre 6,9 millions en 1995. Les sœurs n’ont d’autre choix que d’augmenter les prix, d’autant que la farine et l’électricité ont également augmenté. Un sachet de 500 petites hosties coûte désormais 9,20 euros, contre l’équivalent en francs de 6 euros il y a vingt ans.

La concurrence des hosties polonaises

Sœur Agnès, la prieure du carmel, voit deux raisons à cette évolution. La baisse de la pratique et la crise des vocations, mais aussi la concurrence étrangère, notamment polonaise. Des hosties fabriquées à l’étranger sont entrées sur le marché français, à des prix souvent imbattables.

A travers la France, les moniales qui produisent des hosties s’inquiètent. Une affaire les a particulièrement marquées en 2010, quand les responsables du sanctuaire ont envisagé d’acheter des hosties moins chères à une entreprise, et non plus au monastère qui les fournissait. “Moins cher, c’est que ce n’était pas français”, se souvient sœur Marie Samuel. Notre-Dame de Bon-Secours et les autres fabricants se sont alors battus pour que le sanctuaire fasse marche arrière. “Lourdes est revenue à ses fournisseurs initiaux, poursuit sœur Marie Samuel. Mais pour nous, cela reste comme une épée de Damoclès.”

Selon les estimations du groupement des monastères fabriquant et vendant des hosties, les hosties produites en France représentent à peine plus de la moitié du marché national. Au monastère de la Visitation, à Lourdes, les moniales parlent même d’hosties venues de Corée ou de Chine. “On nous dit que c’est moins cher ailleurs, mais nous n’avons pas d’autres ressources !” s’inquiète sœur Marie Augustine. Même à Lourdes, la demande ne cesse de baisser. Au monastère, seules deux sœurs sont chargées de la fabrication d’hosties, contre quatre auparavant. La cuisson des hosties, autrefois quotidienne, n’a plus lieu que deux fois par semaine.

Plusieurs communautés s’accordent à dire que la concurrence vient avant tout d’Europe, et en particulier de la Pologne. Sœur Elisabeth Marie, de la communauté des clarisses de Cormontreuil, près de Reims, confirme que certains prêtres polonais “profitent de leur retour au pays pour ramener des hosties”. Le phénomène est limité, selon elle. Il aurait surtout lieu en Alsace.

Preuve que les hosties représentent un véritable marché, les premiers signes de concurrence sont apparus il y a quarante ans, au début de la mondialisation. Dans les années 1980, “des industriels américains se sont adressés à moi pour connaître notre marché et nos productions, affirme sœur Marie Reine, de l’association Monastic, à Paris. Cela met en péril l’économie des monastères.” Pour les communautés, “c’est un combat constant”.

"C'est le gagne-pain des moniales"

Depuis quelques années, plusieurs acteurs de l’Eglise catholique tentent de sensibiliser les paroisses au problème. Sœur Agnès, du carmel de la Trinité, se souvient d’une campagne lancée par l’évêque de Metz en 2007 et 2008. A l’époque, monseigneur Raffin avait appelé les prêtres de Lorraine à acheter local – il leur demandait de se fournir en hosties auprès du carmel de Metz-Plappeville.

Pourtant, certaines paroisses ne savent pas que la fabrication d’hosties fait vivre plus de 30 monastères, et n’ont pas conscience qu’il existe une concurrence. “A chaque fois que j’ai eu l’occasion d’en parler, je sentais que ce n’était pas connu, confie sœur Clotilde, de l’abbaye de Valognes, en Normandie. Les prêtres ne se rendent pas forcément compte du travail que cela représente.” 

L’association Monastic a pris les devants en avril 2014. Elle a envoyé une lettre à tous les diocèses de France, les appelant à soutenir les communautés fabricantes. “C’est, pour chacune de ces communautés contemplatives, une part importante de leurs revenus, voire la seule, soutenait le président de Monastic dans cette lettre. Or, de gros fabricants laïques, basés aux Etats-Unis et en Pologne notamment, fournissent le marché français, avec des moyens – et donc des tarifs – hors de portée des monastères.” Il appelait alors les diocèses à informer leurs paroisses pour qu’elles vérifient la provenance de leurs hosties.

Deux ans plus tard, les campagnes de sensibilisation se poursuivent. “Cela reste un problème excessivement important, reconnaît sœur Marie Reine, de Monastic. Il faut constamment insister sur le fait qu’il s’agit du gagne-pain des moniales. Si on arrête, elles vont mourir de faim.”

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