Quatre questions sur l'indexation des salaires sur l'inflation, réclamée par la CGT et écartée par le gouvernement
Face à la hausse des prix, syndicats et représentants politiques de gauche continuent à réclamer une indexation des salaires sur l'inflation. Une mesure abandonnée en France dans les années 1980 et systématiquement balayée par l'exécutif.
C'est une idée simple qui revient comme une rengaine et qui pourrait selon certains régler la question du pouvoir d'achat : indexer les salaires sur l'inflation. Une "évidence" à gauche, devenue l'un des mots d'ordre de la CGT, et qui s'oppose à un refus catégorique du côté de l'exécutif. L'inflation, qui atteint 5,6% sur un an en septembre 2022, avec des pics à 10% pour l'alimentation ou 18% pour l'énergie, met la question des salaires au centre du débat.
Augmenter automatiquement les salaires pour suivre la courbe des prix n'est pas la solution pour le gouvernement. Emmanuel Macron l'écarte systématiquement et la Première ministre, Elisabeth Borne, invite plutôt les entreprises qui le peuvent à augmenter les salaires. Comment pourrait réagir l'économie française face à une telle mesure ? Quelles en sont les limites ? Comment cela se passe-t-il dans les pays qui ont gardé une telle mesure ? Franceinfo répond à quatre questions sur le sujet.
1Quand a-t-on abandonné ce dispositif en France ?
La France a connu un dispositif d’indexation des salaires pendant 30 ans, instauré en 1952, alors que le pays est confronté à une inflation de près de 25% par an. Face à cette flambée du coût de la vie, le gouvernement d’Antoine Pinay décide à l'époque de bloquer les prix et instaure l’échelle mobile des salaires, qui lie les salaires à l’inflation. Il faut attendre la fin des "Trente Glorieuses" et les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, avec une inflation qui frôle les 15%, pour que ce principe soit remis en cause.
La hausse mécanique des salaires alimente alors ce que les économistes appellent une boucle prix-salaires : des salaires plus hauts entraînent des coûts de production plus hauts, qui entraînent à leur tour une augmentation des prix... et donc de nouveau une hausse des salaires.
"C’est un peu la métaphore du tube de dentifrice : on connaît le mécanisme pour le faire sortir, mais on ne sait pas le faire rentrer à nouveau dans le tube."
Eric Heyer, économiste et directeur du département analyse et prévision de l'OFCEà franceinfo
Les banques centrales augmentent alors les taux d’intérêt. L’indexation ne résiste pas au tournant de la rigueur de 1983. Il est abandonné par le gouvernement socialiste de Pierre Mauroy. L’inflation retombe alors sous les 5%.
Depuis, seul le SMIC est encore indexé sur l’indice des prix aujourd'hui. Une mesure qui permet de protéger les plus fragiles, puisqu’en France, aucun salarié ne peut être payé en dessous du SMIC. Ce salaire minimum est revalorisé automatiquement tous les ans au 1er janvier et en cours d’année dès que l’inflation dépasse les 2%. Un "coup de pouce" exceptionnel peut aussi être décidé ponctuellement par le gouvernement. Le dernier remonte à 2012.
2Qui réclame une réindexation des salaires sur l’inflation ?
Cette revendication d’une réindexation des salaires sur l’inflation est régulièrement brandie depuis plusieurs mois, notamment sur les banderoles des syndicats lors des différentes journées de mobilisation de cet automne. C’est encore le cas, jeudi 27 octobre, avec un appel à la manifestation de la CGT pour "maintenir la pression" sur le gouvernement.
On retrouve aussi cet argument dans la bouche de nombreux responsables politiques de gauche. "Il faut indexer les salaires sur l’inflation, au moins pour une large partie des salariés", plaide encore jeudi sur France Inter Yannick Jadot, eurodéputé EELV et ancien candidat à l’élection présidentielle.
.@yjadot : "Le taux de marge des entreprises aujourd'hui n'a jamais été aussi élevé, on a une augmentation de 33 % sur un an des dividendes : est-ce qu'à un moment on peut donner aux salariés leur part du gâteau ?" #le7930inter pic.twitter.com/akD2A0JSVV
— France Inter (@franceinter) October 27, 2022
Le 16 octobre, le député insoumis de la Somme, François Ruffin affirmait aussi sur franceinfo que l'indexation des salaires sur l'inflation "paraît aujourd'hui une nécessité puissante dans le pays", rappelant qu’"il y a 40 ans, en 1980, le salaire d'un enseignant, c'est 2,3 fois le Smic. Aujourd'hui, c'est 1,2 fois le Smic." La France insoumise propose aussi une augmentation sensible du salaire minimum (SMIC), ce qui nécessiterait d’augmenter tous les bas revenus et de renégocier les grilles salariales.
3Pourquoi le gouvernement s'y oppose ?
Cette idée est systématiquement balayée par l’exécutif. "Si on veut créer des emplois pour que les Français qui travaillent vivent dignement, la solution n'est pas de réindexer les salaires sur l'inflation. Les augmentations de salaires, ce n'est pas l'Etat qui les décide", a fermement affirmé Emmanuel Macron mardi 26 octobre sur France 2, invoquant l’argument de la spirale inflationniste. Le chef de l’Etat invite plutôt au dialogue dans les entreprises et à une "répartition plus juste" des profits, affirmant qu’une réindexation des salaires pourrait détruire "des centaines de milliers d’emploi".
La situation d’aujourd’hui est différente de 1983 explique Eric Heyer : "On a choisi de limiter l’inflation avec le bouclier tarifaire au lieu de donner de l’argent directement aux ménages". De quoi absorber une partie du choc subi par l'économie française, qui se chiffre selon Emmanuel Macron à 85 milliards d'euros. "L’Etat a pris la moitié du choc, la question est de savoir qui paie l’autre moitié", précise Eric Heyer. "Si on indexe les salaires, les entreprises prennent tout sur elle et il est probable qu’une grande majorité d’entre elles ne pourront pas se le permettre." Il craint aussi une "perte de compétitivité" qui pourrait "fragiliser le tissu productif" et entraîner une hausse des faillites. Un argument que certains contestent, avançant notamment les nombreuses exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires.
L’indexation n’a donc rien d’évident. "Il n’y a pas de bonne solution", reconnaît l’économiste Henri Sterdyniak, co-fondateur des Economistes Atterrés. "Soit les salariés paient en perdant du pouvoir d'achat, soit on indexe les salaires et on déclenche une boucle prix-salaires avec une inflation qui se diffuse", même si "ce n’est pas si grave", selon lui. Henri Sterdyniak estime que la question à se poser est de savoir si "on maintient le déficit public pour maintenir le bouclier tarifaire". Pour trouver les milliards nécessaires, il faut donc passer par l’impôt et "poser la question des superprofits et de taxer les plus riches". La question d’indexer "les plus bas salaires" sur l’inflation est aussi une possibilité, en assumant que les plus hauts revenus subiront des "pertes de pouvoir d’achat".
4Ce dispositif existe-t-il ailleurs en Europe ?
Aujourd’hui, quatre pays de l’Union européenne ont conservé un système d’indexation totale ou partielle des salaires : le Luxembourg, Chypre, Malte et la Belgique. Chez nos voisins belges, les salaires sont revalorisés par secteur professionnel en fonction d’un indice des prix à la consommation. Cette revalorisation s'effectue soit à date fixe, soit dès que l’inflation franchit les 2%. Aujourd’hui, l'indice des prix à la consommation dépasse les 11% et devrait se situer autour de 9% en moyenne pour 2022, contre un peu plus de 2% en 2021, selon les données de Statbel. Résultat, si le principe d'indexation des salaires sur l'inflation n’a pas été remis en cause par le gouvernement, il est de plus en plus dénoncé par la droite et par les patrons.
"On comprend la volonté de protéger le pouvoir d’achat, mais il ne faut pas oublier le côté compétitivité", avance Christophe Ernaelsteen, conseiller à la Fédération des Entreprises de Belgique. "La spirale inflationniste se fait déjà sentir. Après le choc du prix de l’énergie, il y a un renforcement de l’inflation avec la hausse des salaires", assure-t-il. La FEB estime que les salaires vont augmenter de "15 à 20%" sur la période 2022-2023 : "C’est intenable", s’inquiètent les représentants du patronat, "ce sera 5 à 15% chez nos voisins". Ils demandent donc la désindexation des prix au risque de voir des entreprises "faire faillite ou délocaliser", "ce qui posera un gros problème pour les gens aussi au bout du compte", conclut Christophe Ernaelsteen.
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