Cet article date de plus d'un an.

Inflation : pourquoi les prix de l'alimentation ont explosé (et pourquoi ça va durer en 2023)

Les agriculteurs et industriels ont vu leurs coûts de production bondir. En cette fin d'année 2022, ils demandent donc aux distributeurs de nouvelles hausses de prix.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
En novembre, l'inflation des produits alimentaires a atteint 12,2% sur un an, selon l'Insee. (LEX VAN LIESHOUT FOTOGRAFIE / ANP MAG / AFP)

Pâtes, huile, poulet… La facture des courses s'est envolée en 2022. En novembre, l'inflation des produits alimentaires a atteint 12,2% sur un an, selon les résultats provisoires de l'Institut national de la statistique (Insee). Une hausse des prix deux fois plus élevée qu'en juin et 24 fois supérieure à celle d'il y a un an.

>> INFOGRAPHIES. Inflation : découvrez le prix du panier de courses de franceinfo dans votre département

La situation n'est pas près de s'inverser. "D'ici la fin de l'année (…) l'inflation [devrait] continuer sa progression dans l'alimentaire", prévenait l'Insee dans une note de conjoncture du 6 octobre, estimant même qu'elle deviendrait "la plus grosse contribution" à l'inflation globale, devant l'énergie. "La hausse des prix des biens alimentaires et des produits manufacturés ne [devrait] se normaliser que progressivement et demeurer élevée en 2023", anticipait aussi la Banque de France, dans ses prévisions parues en septembre. Franceinfo vous explique pourquoi.

Parce que les prix des matières premières s'envolent...

La hausse actuelle des prix des produits alimentaires est en partie "la traduction directe de l'envolée spectaculaire du prix des matières premières agricoles et industrielles", selon la synthèse d'un rapport du Sénat (PDF) de juillet. En cause, "la reprise économique en 2021", qui a vu la demande reprendre d'un coup après les confinements, alors que l'offre, désorganisée, n'était pas suffisante pour y répondre. Mais aussi "les aléas climatiques extrêmes (dôme de chaleur au Canada, sècheresses, gel tardif, etc.)" qui ont détruit une partie des récoltes. Enfin, la guerre en Ukraine a réduit les quantités de matières premières disponibles dans le monde, les deux belligérants représentant par exemple un tiers des exportations mondiales de blé.

Or, "les prix des matières premières sont très volatils, car les consommateurs ne modifient que peu leur consommation alimentaire en fonction de la quantité disponible", rappelle à franceinfo Christophe Gouel, directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Quand l'offre baisse, il n'y a donc quasiment pas d'ajustement de la demande… et les prix augmentent.

Cette cause seule n'explique pas le niveau d'inflation actuel. De nombreuses matières premières (viande, produits laitiers, céréales, huiles végétales...) connaissent des baisses de prix depuis cet été, notamment grâce à l'accord sur les exportations de céréales entre Ukraine et Russie. Celles-ci n'ont pas entraîné de baisse des prix des produits en rayons. Et pour cause : pour "un dollar de produit alimentaire vendu, seuls 16 centimes sont liés au coût des matières agricoles qui le composent", dissèque l'économiste Christophe Gouel. "Lorsqu'il y a de fortes augmentations du prix des produits alimentaires, il est donc peu probable que cela soit dû seulement à la hausse des prix des produits agricoles."

... tout comme celui de l'énergie et d'autres moyens de production

La cause de l'inflation alimentaire se trouve aussi du côté des prix de l'énergie, dont la hausse est évaluée par l'Insee à 18,5% sur un an en novembre. Chaque étape de la production de produits alimentaires – notamment transformés – est gourmande en énergie. Les fertilisants agricoles sont produits grâce à l'extraction d'azote, qui demande du gaz. Les serres qui abritent une partie de la production ont besoin d'être chauffées. Les produits ont souvent besoin d'être cuits, ou pasteurisés, ce qui nécessite d'atteindre des températures élevées. Et les emballages sont produits grâce à des machines alimentées en électricité.

Outre la hausse du prix de l'énergie, les engrais ou les emballages ont eux-mêmes connu des hausses de prix lié à la reprise post-Covid ou à la guerre en Ukraine. En tenant compte de l'ensemble de ces hausses (matières premières, énergie et autres intrants), les agriculteurs ont vu leurs coûts de production exploser.

L'indice mensuel des prix d'achat des moyens de production agricole, mesuré par l'Insee, est ainsi passé de 123,1 en janvier 2022 (avant le conflit en Ukraine), à 142,2 en octobre. Les industriels de l'agroalimentaire connaissent une situation similaire : une multitude d'indices de prix de production et d'importation dans l'industrie, là aussi établis par l'Insee, témoignent de l'explosion des coûts de production (pour les légumes surgelés, les yaourts et desserts frais, ou encore les plats cuisinés à base de viande).

Parce que la hausse des coûts se répercute à retardement sur toute la chaîne de production

Alors que la hausse des prix de l'énergie ralentit (18,5% de hausse sur un an en novembre, contre 33,1% en juin, selon l'Insee), celle de l'alimentation suit la trajectoire inverse (12,2% sur un an en novembre, contre 5,8% en juin). "La hausse des prix met du temps à se transmettre le long de la chaîne de production, surtout dans le cas de produits complexes", qui nécessitent de nombreuses étapes de production, explique Christophe Gouel.

"Quand le boulanger voit ses coûts de production majorés, il n'augmente pas tout de suite le prix de sa baguette. Il finit par le faire après quelques mois."

Christophe Gouel, économiste spécialiste de l'agroalimentaire

à franceinfo

A cause de la hausse continue des prix des matières premières et des coûts de production en 2022, les industriels de l'agroalimentaire ont exceptionnellement pu renégocier durant l'année leurs tarifs avec les supermarchés. Certains ont ainsi réussi à limiter la casse, comme le numéro un français de la volaille LDC, qui a pu faire accepter une hausse de 25%, puis une autre de 10%. Mais tous n'ont pas demandé, ou obtenu, des hausses de prix équivalentes à celles de leurs coûts de production.

Parce que de nouvelles négociations commerciales sont ouvertes

Depuis début décembre et jusqu'à la fin février se tiennent les négociations annuelles entre industriels et distribution, laissant entrevoir une nouvelle salve de hausse pour début 2023. D'autant plus que certains industriels "se trouvent sur une ligne de crête" et vont s'efforcer d'intégrer dans leurs nouvelles demandes de revalorisation "la hausse de prix qu'ils n'ont pas pu passer en 2022, faute d'accord avec les distributeurs", explique à l'AFP Thierry Dahan, le médiateur des relations commerciales agricoles.

>> Comment est négocié le prix de nos courses ? Dans les coulisses des négociations commerciales annuelles de l'agroalimentaire

"Entre le coût des emballages en verre, mais aussi la parité dollar-euro, qui fait s'envoler le prix des oranges, je ne m'en sors pas à moins" d'une hausse de "12%", justifie ainsi dans Le Parisien (article réservé aux abonnés), Alexis Vaillant, fondateur d'Alterfood (soupes, jus de fruits, etc.) et porte-parole de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France. "Au 1er janvier, notre nouveau contrat [d'énergie] affichera un bond de… 280%. Face à des sommes aussi folles, nous avons besoin de relever nos tarifs dès le premier janvier, d'autant qu'il y aura en plus l'envolée du prix du sucre", abonde dans le quotidien Didier Boudy, le patron de Mademoiselle Desserts (boulangerie industrielle).

"Les demandes de la part des industriels sont très souvent entre 10% et 25% d'augmentation."

Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution

à l'AFP

Cela ne signifie pas nécessairement que les tarifs augmenteront d'autant pour le consommateur. Adoptée en 2021, la loi Egalim 2 oblige les distributeurs à tenir compte du prix des matières premières, mais pas des coûts de production industrielle – dont fait partie l'énergie. Dans un contexte où les clients sont très attentifs aux montants affichés sur leurs tickets de caisse, les supermarchés risquent donc de rechigner à accorder des hausses de tarifs qui pourraient les rendre moins compétitifs que la concurrence.

Sans augmentation importante, producteurs et industriels pourraient néanmoins "arrêter de produire" faute de rentabilité, souligne auprès de l'AFP Yannick Fialip, président de la commission économique du premier syndicat agricole, la FNSEA. "Tout le monde va devoir prendre une part de l'effort", tranche Jacques Creyssel, alors qu'un rapport à l'Inspection générale des finances a conclu que les hausses de prix n'avaient pas gonflé les marges des agriculteurs, des industriels et des distributeurs.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.