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Comment est négocié le prix de nos courses ? Dans les coulisses des négociations commerciales annuelles de l'agroalimentaire

Chaque année, les distributeurs et les producteurs discutent du prix des produits qui finiront dans notre panier. Franceinfo vous dévoile la face cachée du bras de fer déséquilibré entre vendeurs et acheteurs dans l'agroalimentaire.

Article rédigé par franceinfo, Guillaume Gaven
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Une femme marche dans un supermarché. Photo d'illustration. (SALESSE FLORIAN / MAXPPP)

Combien va coûter votre paquet de pâtes dans trois mois ? On entend beaucoup parler de hausses des cours mondiaux pour les céréales mais comment, et quand, cela va-t-il se traduire en prix à la caisse ? Ces prix de l'agroalimentaire sont décidés lors des négociations commerciales annuelles. Aujourd'hui, en raison de l'épidémie de Covid-19, elles se déroulent en visioconférence. On trouve face-à-face des vendeurs et des acheteurs. Les vendeurs, ce sont les industriels de l'agroalimentaire et les acheteurs, les distributeurs et notamment les supermarchés comme Leclerc ou Auchan.

"Des méthodes de cowboys"

Longtemps, ces négociations ont été très opaques. Il y a trente ans, racontent les plus anciens, les vendeurs devaient se déplacer jusqu'au siège des grandes enseignes : Casino à Saint-Etienne, Auchan dans le Nord. Ils devaient parfois attendre dans un box, pendant plusieurs heures, parfois dans le noir ou avec le chauffage à fond. Et quand la négociation commençait, petite vexation, ils se rendaient compte que leur chaise était plus basse que celle des acheteurs.

Des "méthodes de cowboys" commente en "off" le directeur commercial d'une grande enseigne, mais qui ont peu évolué, malgré plusieurs lois successives. "C'est quand même toujours le rapport de force, déplore Serge Papin, l'ancien président de Système U. C'est un peu la loi du plus fort. Ces 'négos', qui sont destructrices, fragilisent tous les appareils de production notamment l'appareil agricole." 

Concrètement, chaque industriel tel que Lustucru, Bonne Maman, ou encore Danone doit envoyer ses conditions de vente aux supermarchés avant le 1er décembre. Commence, alors, une négociation, qui doit impérativement se terminer le 1er mars. Cela laisse donc quatre mois pour discuter des prix qui sont "toujours à la baisse", raconte Olivier Lauriol.

Ancien acheteur pour la grande distribution, il est aujourd'hui à la tête du cabinet Arkose qui accompagne les industriels dans ces négociations. "On va commencer par dire : 'J'ai reçu votre tarif général, l'année dernière j'avais obtenu 40% de remise sur le tarif donc j'achetais votre produit à 60. En 2022, j'ai reçu un tarif qui augmente parce que vous avez des coûts supplémentaires. Si 2021 était sur la base 100, le tarif 2022 est sur la base 105, mais moi, je veux toujours rester à 60'."

"L'expression de la libre concurrence", selon les distributeurs

Ces demandes des distributeurs du prix le plus bas existent encore malgré le contexte international où tout flambe. Le discours dominant chez les acheteurs des supermarchés reste qu'"un prix ça se négocie, celui qui ne négocie pas fait une mauvaise affaire." Ces négociations commerciales aujourd'hui ne sont que "l'expression de la libre concurrence et sont donc plutôt saines". Sauf que si on regarde de plus près, le bras de fer est un peu déséquilibré car la grande distribution s'est constituée en centrales d'achat : il y en a quatre aujourd'hui, qui se font et se défont selon les années. La plus importante, qui regroupe Carrefour, Cora et Système U, pèse 34% du marché ! Difficile dans ces conditions de se fâcher avec quelqu'un qui pèse si lourd.

Pourtant, il y a des lois pour cadrer ces négociations qui sont régies par la loi de modernisation de l'économie, de 2008. Et parce que ça n'a pas suffi, il y a eu d'autres lois. La plus récente étant Egalim, issue des États généraux de l'Alimentation, pour faire en sorte que les agriculteurs ne soient plus les grands perdants de ces négociations. "Il y avait urgence à ce que les agriculteurs puissent vivre de leur travail, développe Serge Papin qui a participé à l'élaboration de la loi. Donc, on a mis en place un système basé sur des indicateurs de coût de production réel, vérifiable et non négociable. Nous verrons ce que ça donne mais peut être qu'enfin les agriculteurs pourront vivre. Ils sont aujourd'hui les maillons faibles car ils ne sont pas forcément aussi bien organisés que les maillons forts"

"Il est anormal que l'agriculture soit la variable d'ajustement d'une guerre des prix."

Serge Papin

à franceinfo

Des industriels inquiets

Si les agriculteurs paraissent tirés d'affaire, ce sont aujourd'hui les industriels qui s'inquiètent. Si la loi stipule que le prix de la matière première ne peut plus être négocié, elle ne dit rien du prix de la partie transformée.

Et comme tout flambe, les industriels sont arrivés aux négociations en 2022 en demandant 6% de hausse, selon l'Association nationale des industries alimentaires (Ania) qui représente 15 000 entreprises de l'alimentaire. Son président, Jean-Philippe André, ne veut pas être la victime collatérale : "Cette négociation sur la partie agricole cache le fait que les autres intrants, tels que les cartons, l'énergie, les masses salariales, le transport routier, le fret maritime, ne sont absolument pas pris en compte dans la structure de coût. Or, la reprise mondiale fait qu'il y a une explosion des prix sur cette partie de la structure coût."

Une explosion qui devra être prise en compte, sauf que les vieilles habitudes ont la vie dure. Un prix bas en supermarché, une baguette à 29 centimes chez Leclerc, attire le chaland. Il se murmure même qu'une centrale d'achat, malgré tout ce qu'on a pu dire, a encore proposé cette année des prix en déflation au nom de la sacro-sainte défense du pouvoir d'achat des consommateurs.

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