"C’est aussi répandu que l’achat de streams dans la musique" : comment les faux avis positifs sur les restaurants sont traqués

Neuf Français sur dix consultent les avis avant de consommer. Certains restaurateurs n’hésitent pas à acheter de faux avis pour augmenter illégalement la note de leur commerce. Une pratique de plus en plus surveillée.
Article rédigé par Thomas Sellin
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3 min
Les faux avis positifs dans la restauration (PAULA DANIËLSE / MOMENT RF)

Consulter les notes et les avis avant de consommer, c'est ce que font 92% des Français, selon une étude Ifop-GuestSuite publié en septembre 2023. Une tendance qui n’est pas prête de s’arrêter puisqu’en deux ans, ce chiffre a augmenté de 20%. L’enjeu est tel que certains restaurateurs font appel à des sociétés de marketing ou à des freelances pour acheter de faux avis. Les sites concernés sont bien sûr ceux qui font référence auprès du plus grand nombre : TripAdvisor, Google Maps ou encore The Fork. L’accès aux données de ces géants d’internet étant assez difficile, l’ampleur du phénomène est lui aussi compliquée à mesurer. En 2021, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) estimait qu’au moins 15% des avis sur TripAdvisor étaient faux. Et tous secteurs confondus, l’administration française révélait que 45 % des avis étaient faux ou biaisés.

Toujours en 2021, après une enquête de la DGCCRF, la société de communication Bistrobis a été condamnée pour avoir publié de faux avis positifs sur Google et TripAdvisor. Elle agissait pour le compte d’une douzaine de brasseries parisiennes. Elle a été condamnée à une amende de 30 000 euros et l’addition aurait pu être beaucoup plus salée. Une entreprise qui a recours à ce procédé s’expose à une amende de 300 000 euros et à une peine de deux ans de prison (article L. 132-2 du Code de la consommation). "Les faux avis concernent l'ensemble de la restauration", explique Mouloud Saada, consultant marketing et concepteur de restaurant. Il confirme que ces pratiques sont courantes : "C’est aussi répandu que les achats de streams dans la musique. Parfois, vous avez avant même l'ouverture d’un restaurant 100 ou 200 avis positifs." En juin dernier, un restaurant d’une plage privée de Mandelieu s’est rendu suspect en arborant plus d’une centaine d'avis positifs le jour de son ouverture.

L’IA à la rescousse

Pour Mouloud Saada, les solutions existent pour endiguer ce phénomène. "La partie technique, avec l’arrivée des IA, fait déjà une première passe qui permet de réduire considérablement les faux avis." En 2022, Google a mis en place un nouvel algorithme et les résultats sont là. En 2023, 170 millions d’avis trompeurs ont été supprimés, soit 45% de plus que l’année précédente. Google va même jusqu’à poursuivre en justice ceux qui font de ce procédé leur cœur de métier. En juin 2023, le géant du web a intenté une action en justice contre l’entrepreneur Ethan QiQi Hu pour avoir publié plus de 14 000 avis illégitimes. Dans son récent "rapport de transparence", TripAdvisor annonce aussi avoir battu un record en 2023 dans cette chasse aux faux avis. C'est deux millions d'avis trompeurs qui ont été bloqués. La DGCCRF a déployé de son côté son propre outil, Polygraphe, qui aide les enquêteurs dans leur traque aux faux avis.

"Responsabiliser le consommateur"

Si l’IA est une partie de la solution, elle n’est pas suffisante. Google nous a confié que des faux avis passaient encore entre les mailles du filet et que "l’intervention humaine" est encore nécessaire. Elle se base donc également sur des signalements en interne ou de la part de ses consommateurs. Et justement, pour Mouloud Saada, ce sont eux qui sont au cœur de la solution : "Il faut tabler sur la responsabilité et la loyauté des clients. Les personnes qui déposent un avis devraient être obligées de prendre en photo le plat dont elles parlent. Il faut aussi donner plus de pastilles ou de labels aux consommateurs actifs comme les Local Guides [utilisateurs Google certifiés] qui ont vraiment un avis pertinent et jouent un rôle prescripteur." C'est tout le secteur et même au-delà qui se mobilise dans ce sens. Amazon, Booking.com, Expedia Group, Glassdoor, TripAdvisor et Trustpilot ont annoncé leur collaboration en lançant la Coalition for Trusted Reviews (coalition pour les avis fiables). Problème, les faussaires dans ce milieu ont peut-être déjà trouvé la parade : rémunérer les avis positifs, créant ainsi de "faux vrais avis positifs" qui passent alors sous les radars…

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