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Récit "Atteinte sexuelle" sur mineure de 11 ans : l'affaire qui illustre les débats sur l'âge du consentement

Les parents d'une jeune fille de 11 ans ont porté plainte pour viol contre un homme de 28 ans, mais le parquet n'a retenu que le délit d'"atteinte sexuelle". Le procès se tient mardi à Pontoise. Franceinfo revient sur ce faits divers qui est remonté jusqu'à l'Elysée.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le palais de justice de Pontoise (Val-d'Oise), le 3 octobre 2017. (MAXPPP)

Une enfant de 11 ans peut-elle consentir librement à avoir des rapports sexuels ? L'âge minimum du consentement alimente les débats en France. Le tribunal de Pontoise (Val-d'Oise) se penche sur un cas délicat, mardi 13 février, avec l'histoire de Sarah*, 11 ans au moment des faits, qui a eu des relations sexuelles avec un homme de 28 ans. Les parents de la fillette ont porté plainte pour viol, mais le parquet a choisi de poursuivre le jeune homme uniquement pour "atteinte sexuelle".

"Est-ce que tu veux que je t’apprenne à embrasser ou plus ?"

Un haussement d'épaules et tout s'enchaîne. Sarah, 11 ans, élève en 6e dans un collège de Montmagny (Val-d'Oise), quitte l'école un peu plus tôt ce lundi 24 avril 2017. Avec l'annulation du cours de sports, elle sort de son établissement sur les coups de 15 heures. Elle passe devant un petit parc de la ville et tombe sur Romain*, qu'elle a déjà croisé au moins deux fois sur le chemin du retour.

L'homme de 28 ans, survêtement noir et visage juvénile, aborde la jeune fille avec "un ton rassurant, affable, aimable, rien qui n’incite à la méfiance", raconte la mère de Sarah au site Mediapart. Il complimente la collégienne : "Quoi ? Une belle fille comme toi n’a pas de petit copain ?" Sarah est intimidée, flattée. Elle est totalement inexpérimentée en matière de garçon, explique à franceinfo son avocate Carine Diebolt : "Elle n'a jamais eu de petit ami, elle n'a jamais eu de vrai flirt." 

Elle n'a même jamais embrassé de garçon de sa vie !

Carine Diebolt, avocate de Sarah

à franceinfo

"Est-ce que tu veux que je t’apprenne à embrasser ou plus ?", enchaîne Romain. Sarah hausse les épaules. Elle fait le même mouvement quand il lui propose de venir dans son appartement. "Elle n'a pas dit non, ni oui avec sa bouche, elle a levé les épaules, ça voulait dire qu'elle était d'accord pour moi", assure le jeune homme de 28 ans devant les enquêteurs, selon les informations de Marianne.

"Elle était tétanisée"

Ne connaissant même pas leurs prénoms respectifs, ils se dirigent vers l'appartement du jeune homme. Dans l'ascenseur, il tente de l'embrasser. "Elle a compris à cet instant que le piège s’était refermé sur elle, qu’on avait endormi sa conscience. Mais elle était tétanisée, elle n’osait pas bouger, de peur qu’il la brutalise", assure sa mère à Mediapart.

"Il faut expliquer les effets de la sidération dans ce genre de cas, Sarah est incapable de s'opposer à l'acte qu'on lui impose car elle ne sait pas ce qui va se passer", estime pour franceinfo Michel Martzloff, secrétaire général de l'association L'Enfant bleu qui s'est constituée partie civile au procès. "J'étais bloquée par la situation, je ne pouvais pas m'enfuir", confirmera Sarah aux enquêteurs, relate Marianne.

Elle a pensé que c’était trop tard, qu’elle n’avait pas le droit de manifester, que cela ne servirait à rien, et elle a donc choisi d’être comme un automate, sans émotion, sans réaction.

La mère de Sarah

à Mediapart

Arrivé au 9e étage, Romain lui réclame une fellation et cherche à la pénétrer. Dérangé par le gardien de l'immeuble, il lui propose d'entrer dans l'appartement de ses parents. Elle suit, toujours sans protester. Il l'emmène alors dans une chambre sobrement meublée mais disposant d'un lit superposé, décrit Marianne. Nouvelle fellation, puis Romain la pénètre sur le lit. Sarah se rhabille et le jeune homme lui demande de n'en parler à personne. Il lui propose alors de la raccompagner, mais elle décline.

Face aux enquêteurs, "elle leur a paru nonchalante"

A peine sortie de l'immeuble, Sarah s'effondre. "Elle était dans une peine immense, complètement désespérée. C’était comme si la vie avait perdu son sens. Une des premières choses qu’elle m’a dite, c’est 'papa va croire que je suis une pute'", relate encore sa mère dans Mediapart. La police est appelée, arrive rapidement sur place et interroge la jeune fille. A la sortie de l'audition, les policiers expliquent à la mère de la fillette que l'acte a été commis "sans violence, sans contrainte". Avec le recul, la mère pense que l'attitude de Sarah a alors joué contre elle : "Elle n’était pas effondrée, elle leur a paru nonchalante."

Ce premier interrogatoire associé aux autres éléments du dossier amène le parquet à ne pas poursuivre le jeune homme pour viol, mais pour "atteinte sexuelle" car le parquet a considéré qu'il n'y avait pas de "contrainte". Romain risque ainsi une peine maximale de cinq ans, contre vingt ans pour un viol. Cette décision révolte Carine Diebolt, qui souhaite le renvoi à l'instruction du dossier dans le cadre de la plainte déposée pour "viol" : "Je plaide qu'il y a eu contrainte morale et surprise. La contrainte morale peut se déduire de la différence d'âge. Il a exercé un rapport d'autorité naturelle que peut avoir un adulte de 28 ans sur un enfant de 11 ans."

C'est presque insultant pour la victime cette qualification pour "atteinte sexuelle" car cela veut dire qu'elle aurait été ainsi complice de son agresseur.

Carine Diebolt, avocate de Sarah

à franceinfo

"Elle fait plus que son âge"

Si les juges ne retiennent pas cet argumentaire, Romain sera jugé en correctionnel. La justice devra alors répondre à une question essentielle : le prévenu avait-il connaissance de l'âge de Sarah au moment des faits ? La jeune fille affirme que lors d'une précédente rencontre en ville, une semaine plus tôt, elle lui a montré son carnet de correspondance pour lui prouver son jeune âge. "Elle a été constante sur ses déclarations, elle lui a donné son âge dès la première rencontre", assure son avocate.

Mais la version de la défense est toute autre. "Mon client lui a demandé son âge, elle a haussé les épaules, il pensait qu’elle avait au moins plus de 15 ans", insiste Marc Goudarzian, l'avocat de Romain, interrogé par Le Parisien. Devant un expert psychiatre, il affirme ne pas connaître son âge exact, mais donne une estimation entre 14 et 16 ans. Selon les éléments du dossier consultés par Marianne, Sarah est en avance sur son âge. Avec sa taille d'1m65 et sa belle chevelure frisée, elle peut donner l'impression d'avoir quelques années de plus. 

Le prévenu, père de deux enfants, a assuré aux enquêteurs sa surprise en apprenant son âge : "Vous êtes sérieux, là ? Jamais vous croyez que j'aurais baisé avec elle, une fille de 11 ans qui a deux ans de plus que mon fils. Si j'avais su, jamais de la vie. Je suis sonné, là !" Un point qui fait bondir les parties civiles. "Elle fait plus que son âge, mais elle ne paraît pas avoir 18 ans pour autant", s'indigne Michel Martzloff, de l'association L'Enfant bleu. "Le rapport des unités médico-judiciaires dit qu'elle fait plus vieille son âge, mais précise aussi qu'en lui parlant on voit bien par ses mimiques et ses intonations qu'elle a 11 ans !", ajoute Carine Diebolt.

Une jeune fille très connectée sur les réseaux sociaux

Pour appuyer la thèse de l'ignorance de son client, l'avocat de Romain ne cache pas sa volonté d'exposer à l'audience la personnalité de Sarah. Selon Marianne, la jeune fille, très connectée sur les réseaux sociaux, a admis avoir correspondu avec des garçons en envoyant des photos où l'on distingue sa poitrine et en provoquant "la conversation sur le plan sexuel". Elle aurait également reçu "des messages à connotation sexuelle, genre 'Je vais te prendre par les fesses, je vais jouer dans ton cul', c'était très trash", raconte son père aux enquêteurs, toujours selon Marianne.

Pour Carine Diebolt, Sarah a pu se sentir liée à un garçon rencontré sur un jeu en ligne et lui envoyer des photos en décolleté, mais cela ne justifie en rien le préjudice subi par sa cliente :

A 11 ans, on peut être en éveil sexuel, on peut aller sur internet, se documenter... Mais ce qui est virtuel n'est pas réel.

Carine Diebolt

à franceinfo

L'avocate réfute surtout toute idée de provocation qui peut être sous-entendue par la défense : "Elle ne se maquille pas, elle ne s'habille pas de manière provocante. Elle était d'ailleurs en tenue décontractée lors de la première rencontre et en jean-baskets le jour des faits."

Le procès va devoir répondre à ces questions qui restent en suspens, en se détachant de l'émotion suscitée par cette affaire dans l'opinion publique. L'histoire de Sarah a fait réagir jusqu'aux responsables politiques. Selon ses récentes déclarations, Emmanuel Macron a ainsi indiqué vouloir une évolution de la loi en portant à 15 ans l'âge en dessous duquel toute relation sexuelle avec un mineur est forcément considérée comme un viol.

*Les prénoms ont été modifiés.

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