On vous explique les cours criminelles, qui vont juger des crimes sans jurys populaires
Composées de magistrats professionnels, ces cours entrent en vigueur jeudi, à titre expérimental. Elles sont compétentes pour juger les majeurs accusés de crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion, s'ils ne sont pas récidivistes.
Elles sont l'une des mesures phares de la réforme de la justice. Les cours criminelles, qui seront expérimentées pendant trois ans et chargées de juger les crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion, entrent en vigueur. C'est à Caen (Calvados), jeudi 5 septembre, qu'aura lieu la toute première audience devant cette nouvelle juridiction. Une audience qui risque d'être scrutée à la loupe par la profession. Et pour cause : exit les jurys populaires, ces cours seront exclusivement composées de magistrats professionnels.
La justice française finira-t-elle par ne plus être rendue "au nom du peuple français", comme certains le craignent ? Franceinfo fait le point sur ces cours criminelles controversées.
Quel est le principe de ces cours ?
Initialement baptisées "tribunaux criminels départementaux", les cours criminelles sont l'une des principales mesures de la réforme de la justice, promulguée le 23 mars 2019. A mi-chemin entre la cour d'assises, où sont jugés les crimes, et le tribunal correctionnel, qui examine les délits, la cour criminelle sera compétente pour les crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion. Les cours d'assises continueront, de leur côté, à se pencher sur les crimes passibles de peines plus lourdes, comme les meurtres (trente ans de réclusion) ou les assassinats (perpétuité), sur les crimes commis en état de récidive et sur l'ensemble des crimes jugés en appel.
Contrairement aux cours d'assises composées de trois juges (le président et deux assesseurs) et de six jurés tirés au sort parmi les citoyens, les cours criminelles seront exclusivement formées de magistrats professionnels. Ils seront cinq au total, dont un maximum de deux magistrats honoraires (à la retraite mais souhaitant continuer à servir l'institution judiciaire). En mars 2019, à l'annonce de l'expérimentation de ces cours, le ministère de la Justice a indiqué qu'en cas de généralisation (PDF) de ces juridictions, 57% des affaires actuellement jugées aux assises (sur un total de 2 000) seraient concernées.
Pourquoi ont-elles été mises en place ?
Devant les sénateurs, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, avait expliqué, en novembre 2018, que l'expérimentation des cours criminelles visait à répondre à l'"engorgement des cours d'assises". Selon l'arrêté du 25 avril 2019, il s'agit effectivement de "rendre plus rapide le jugement des crimes", mais aussi "de limiter la pratique de la correctionnalisation". Actuellement, certains crimes sont requalifiés en délits afin d'être jugés plus rapidement en correctionnelle. C'est notamment le cas de viols requalifiés en agressions sexuelles.
Régulièrement, les délais d'audiencement des cours d’assises – entre quelques mois et plusieurs années – valent à la France d'être condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). En septembre 2015, par exemple, la justice a libéré "la veuve noire de l’Isère", condamnée un an plus tôt à trente ans de réclusion pour avoir tué son mari. Elle attendait d'être rejugée en appel à Grenoble, mais l'audience n'était toujours pas programmée alors qu'elle était incarcérée depuis plus de cinq ans. Son avocat avait alors invoqué l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal." C'est ce "délai raisonnable" qui est souvent mis en cause dans la tenue des procès d'assises.
Où et pendant combien de temps vont-elles être expérimentées ?
Selon l'arrêté du 25 avril 2019, sept départements sont concernés par l'expérimentation des cours criminelles, qui siègent au même endroit que les cours d'assises. Il s’agit des Ardennes, du Calvados, du Cher, de la Moselle, de La Réunion, de la Seine-Maritime et des Yvelines. L'expérimentation est prévue pour durer trois ans, à compter du 13 mai 2019. Mais ces cours entrent réellement en fonction début septembre, avec la première audience à Caen.
Les personnes mises en accusation devant la cour d'assises avant mai 2019 peuvent être renvoyées devant une cour criminelle, avec leur accord et sur décision du premier président de la cour d'appel. La loi prévoit également que les personnes mises en accusation devant la cour criminelle dans un délai de deux ans à partir du début de l'expérimentation et qui ne seraient pas encore jugées dans un délai de trois ans à compter du 13 mai 2019 sont de plein droit mises en accusation devant la cour d'assises.
Qui peut être jugé par ces cours ?
Les cours criminelles jugeront exclusivement les personnes majeures, non récidivistes, qui encourent quinze ou vingt ans de réclusion criminelle. Sont notamment concernées les personnes accusées de viol, d'homicide involontaire, d'actes de torture ou de barbarie, de vol à main armée ou de séquestration.
Si la cour criminelle estime, pendant ou à l'issue des débats, que les faits dont elle est saisie constituent un crime puni de plus de vingt ans de réclusion ou de la perpétuité, elle doit renvoyer l'affaire devant la cour d'assises.
Pourquoi ces cours font-elles débat ?
A l'annonce de leur création, les cours criminelles ont reçu un accueil mitigé au sein de la profession. "Ce n'est pas, comme certains le prétendent, la fin du jury populaire, car les cours d'assises statueront toujours en appel et pour les affaires les plus graves", tranche Jacky Coulon, secrétaire général de l'Union syndicale des magistrats (USM), favorable à la réforme. "C’est une expérimentation intéressante pour raccourcir des délais d’audiencement qui ne sont pas acceptables et pour diminuer la correctionnalisation quasi-systématique de certains crimes", poursuit-il, soulignant tout de même auprès de franceinfo l'attention portée par le syndicat aux moyens alloués à ces cours criminelles.
Un avis que ne partage pas le Syndicat de la magistrature. Katia Dubreuil, sa présidente, regrette une "mesure de rationnement". "Dans la justice, vu la pénurie de moyens, à partir du moment où on fait sauter des verrous procéduraux comme le principe de l'oralité propre aux cours d'assises, il y a un risque fort que les dossiers soient jugés plus rapidement et au détriment de la qualité du débat judiciaire", indique-t-elle à franceinfo. Lors d'un procès d'assises, tout est expliqué à l'oral afin de faciliter aux jurés – qui ne sont pas des professionnels du droit – la compréhension des tenants et des aboutissants de l'affaire.
Du côté des avocats, nombreux sont ceux qui y voient une étape vers la disparition des cours d'assises. Pour Daphné Pugliesi, avocate pénaliste au barreau de Versailles interrogée par Europe 1, les cours criminelles entraînent une "régression démocratique parce qu’il n'y a plus de jurys populaires alors qu'ils sont garants d'une certaine indépendance". D'autres redoutent que cette réforme aboutisse à des procès de moindre qualité. "La justice sera moins bien traitée, estime sur France Inter Karine Bourdié, membre du comité directeur de l'Association des avocats pénalistes. C'est la fin de l'oralité des débats qui se profile, la fin du temps pris pour bien juger en prenant le temps d'écouter des témoins et des experts."
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