Reportage "Ils ont été jetés à même la terre" : dans le Gard, la sidération des familles de harkis après la découverte d'un cimetière d'enfants oublié
Il y a encore quelques mois, il n'y avait que des ronces et des petits chênes verts qui poussaient sur le sol sablonneux du camp de Saint-Maurice l’Ardoise, face au Mont-Ventoux dans le Gard, à une vingtaine de kilomètres au nord d'Avignon. Mais depuis que des fouilles archéologiques ont commencé, la parcelle a été nettoyée. Sur place, sur cinquante mètres, une trentaine de petites tombes d'enfants ont été découvertes. La plupart sont des nourrissons. Ces enfants sont morts dans les deux camps harkis situés à quelques kilomètres de ce lieu de sépulture longtemps oublié voire même caché par l'État.
C’est une nouvelle page sombre de l’histoire des harkis, ces musulmans qui ont combattu aux côtés des Français pendant la guerre d'Algérie, qui est en train de s’écrire en France. Les fouilles archéologiques ont mis au jour un petit cimetière sauvage datant des années 1960. La secrétaire d'État aux anciens combattants et à la mémoire, Patricia Mirallès s’est rendue sur place vendredi 21 avril, en compagnie des familles de Harkis.
Les petites sépultures sont entourées d'une corde blanche, on trouve aussi des bouquets de fleurs. C'est Aïda Seifoune, 83 ans, qui s'approche lentement et difficilement des tombes. Son fils est enterré ici. De son arrivée en 1962, au camp de harkis, elle se souvient du froid cet hiver-là, de la neige et de la naissance de son enfant. "Quand le bébé est né, je l'ai emmené au médecin et il m'a dit "ça va, il va bien" mais il est mort le lendemain." Nadia ,sa fille, raconte : "quand maman a eu son bébé, elle l'a montré aux médecins. Mais mon frère Raoul est mort au petit matin dans ses bras. Elle m'a dit que les militaires avaient pris le bébé sans même lui indiquer où ils allaient l'enterrer. Et donc apparemment, aujourd'hui, on aurait découvert des ossements ici."
Les restes de deux enfants retrouvés
"Comme des chiens", juge Aïda pour qualifier la manière dont ont été traités les corps, "comme des animaux" ajoute sa fille, "sans aucune empathie, ils ont été pris et jetés à même la terre comme ça". "Ça touche et ça fait mal, rien que d'en parler, ça fait mal, témoigne Aïda, même pour maman, ça lui remonte des souffrances."
Mais paradoxalement, c'est aussi un soulagement pour certaines familles. Savoir, enfin, où sont enterrés tous ces enfants. Et cela, les familles le doivent à une personne, Nadia Ghouafria, fille de harki elle-même. Elle a découvert récemment dans les archives départementales un document qui contenait un registre d’inhumation mentionnant la présence de 31 tombes, dont 30 appartenant à des enfants, qui a permis de déclencher les fouilles et d’aboutir aujourd’hui à la découverte du lieu de la sépulture. À ce stade des recherches, les archéologues ont pu retrouver les restes de deux enfants.
"C'est un mélange d'émotion. Je suis satisfaite mais en colère, en colère de savoir que ces défunts ont été abandonnés", explique Nadia Ghouafria. "Les enfants inhumés sur cette parcelle sont morts suite aux conditions de vie, le froid, la faim, la maladie. On a voulu cacher les conditions de vie indignes des harkis et de leurs familles", développe la fille de harki.
Quelles responsabilités ?
Les familles mettent en cause directement l'État. Un document que franceinfo a pu consulter prouve que les autorités savaient que ce cimetière sauvage et à l'abandon existait. Avant de partir à la retraite en 1979, le directeur du camp de harkis, un militaire, avait révélé, dans une lettre transmise aux services de l'État, l'existence de ce cimetière. La lettre se terminait ainsi : "Il ne faudrait pas trop ébruiter l'affaire qui risquerait d'avoir des rebondissements fâcheux."
"Personne ne se dit :"merde, allez, on va faire quelque chose. On ne va pas les laisser". Mais si, ils les ont laissé comme ça", assène Rachid Bedjghit qui cherche encore les restes de son frère. Effectivement, en 1979, rien n'a été fait. Pire, plusieurs tombes ont été vidées. Mais par qui ? L'armée ? Rachid Bedjit s'interroge : "Ils sont où les restes des sept tombes ? Parce qu'il y avait mon frère, mais il y en avait sept, pas une, sept. Ils sont où ? Qu'est-ce qu'on en a fait ? J'ai besoin de réponses. Je veux savoir ce qui s'est passé ?
Rachid Bedjghit demande aujourd'hui que les archives de l'armée soient déclassifiées pour peut-être savoir ce que sont devenus ces restes. Parce que du côté du ministère des Anciens combattants et de la Mémoire, la secrétaire d'État Patricia Mirallès l'admet : "Je n'ai pas la réponse, je le découvre. Je vous mentirais si je vous disais le contraire". Patricia Mirallès est tout de même venue dans le Gard, pour annoncer la création d'un lieu de mémoire sur l'emplacement du cimetière.
"Les familles qui souhaitent récupérer les sépultures pourront le faire" détaille la secrétaire d'État, "et pour ceux qui souhaitent que l'on fasse un mémorial avec un vrai cimetière, nous le ferons et évidemment, l'État paiera tous les frais que ça engendrera. On aura un beau cimetière à la hauteur de leurs souffrances, avec un mémorial comme ils le souhaitent." Un cimetière avec les noms des défunts. C'était une volonté des familles pour se souvenir de ces enfants qui reposaient là depuis tant d'années, sous les ronces et les petits chênes verts.
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