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Opération militaire russe contre l'Ukraine : "Il fallait vraiment être aveugle pour ne pas voir que Poutine ne souhaitait pas négocier", selon un expert

L'expert en stratégies militaires Pierre Servent estime que les rencontres de Vladimir Poutine ces derniers jours avec les dirigeants occidentaux n'étaient qu'"une fausse séquence diplomatique".

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
Un appartement touché par une attaque aérienne à Kharkiv dans l'Est de l'Ukraine le 24 février 2022. (WOLFGANG SCHWAN / ANADOLU AGENCY)

"Nous sommes plongés dans l'histoire tragique", réagit jeudi 24 février sur franceinfo le journaliste et expert en stratégie militaire Pierre Servent, après le lancement d'une offensive russe en Ukraine. Selon lui, les rencontres de Vladimir Poutine ces derniers jours avec les dirigeants occidentaux, dont Emmanuel Macron, n'étaient qu'"une fausse séquence diplomatique". "Il fallait vraiment être très aveugle pour ne pas se rendre compte qu'il ne souhaitait absolument pas négocier. Il y a une volonté de restaurer la force et un mépris pour le droit." Selon lui, on assiste ce jeudi au "prologue d'une opération d'assez vaste ampleur". "Les Ukrainiens ne pourront pas s'opposer à l'hégémonie russe."

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franceinfo : Êtes-vous surpris par cette offensive russe ?

Pierre Servent : Non, cela fait des semaines que j'explique que Vladimir Poutine a décidé, sans doute en octobre, de passer à des opérations militaires. Depuis, il a lancé une fausse séquence diplomatique. Il fallait vraiment être très aveugle pour ne pas se rendre compte qu'il ne souhaitait absolument pas négocier. Aujourd'hui, le masque tombe. On voit la réalité de la posture hégémonique de Poutine et d'un Etat devenu Etat voyou depuis assez longtemps. C'est l'éternel double discours, qui était d'ailleurs celui de l'Union soviétique, qui consiste en permanence à accuser les autres de ses propres crimes. Quand vous entendez Poutine parler de génocide en Ukraine et dire qu'il vient sauver ses frères russophones, tout cela est artificiel. Il y a une volonté de restaurer la force et un mépris pour le droit. C'est pour cela que les propositions françaises, américaines ou européennes d'essayer de reconstruire une architecture de sécurité en Europe ne l'intéressent pas. Nous sommes maintenant plongés dans l'histoire tragique.

Comment réagissez-vous quand vous voyez que cette offensive massive touche même l'Ouest de l'Ukraine, à la frontière avec la Pologne et donc avec l'Union européenne ?

On est sur le prologue d'une opération d'assez vaste ampleur qui, pour autant, selon moi, ne devrait pas conduire à une invasion totale de l'Ukraine. L'objectif tel que je le comprends, c'est de prendre le moins de risques. Poutine ne veut pas de cercueils de soldats russes qui reviendraient en masse dans le pays. Il décapite toutes les capacités de réactions ukrainiennes qui ont été renforcées depuis l'invasion de la Crimée. Il vise les stockages d'armements qui posent problème à la Russie, notamment les missiles Javelin antichars donnés par les Américains, ou les drones armés fournis par la Turquie. Il y a des frappes par des missiles, des opérations spéciales lancées par des commandos ou des mercenaires Wagner. Au même moment où Vladimir Poutine tenait une conférence de presse commune avec Emmanuel Macron au sujet de la désescalade, il n'a cessé de renforcer un porte-avion militaire avec des armements majeurs à Kaliningrad. La deuxième étape, ce sera de mettre en ordre la reconnaissance des deux Républiques du Donbass. Et, comme aujourd'hui les sécessionnistes n'occupent qu'un tiers de ces territoires, il va partir à l'assaut des deux tiers restants.

Faut-il s'attendre à un conflit long ?

Tout dépend des buts de guerre de Vladimir Poutine. Si c'est une conquête totale du Donbass et une fermeture de la mer d'Azov de façon à rejoindre la Crimée, il y aura des combats mais la supériorité russe va dominer. Pendant que Poutine racontait des histoires sur la diplomatie, il amassait des forces considérables, notamment un tiers de ses groupes tactiques qui combinent différents types d'armements avec des blindés lourds, de l'infanterie mécanisées, de l'artillerie, des moyens du génie. Il a la capacité de détruire en profondeur le dispositif ukrainien de sorte que, quand il y aura des concentrations de force, elles seront frappées par toutes les batteries de missiles que Poutine a placés à Kaliningrad. C'est d'ailleurs très préoccupant puisque ce sont des missiles qui peuvent emporter des têtes nucléaires. Il avait déjà agité cette menace lors de la conquête de la Crimée. Il a une capacité à frapper sans que les Ukrainiens ne se rendent compte de quoi que ce soit. Les Ukrainiens pourront infliger des pertes mais ils ne pourront pas s'opposer véritablement à l'hégémonie russe.

Après les sanctions économiques qu'il a déjà prises, que peut l'Occident ?

À mon sens, il n'y aura aucun soldat européen ou américain sur le sol ukrainien. La communauté internationale avait pris la décision de faire une sorte de riposte graduée en matière de sanctions, donc là on va passer à un niveau très supérieur. Cela va quand même devenir un moment difficile pour l'économie russe qui est assez fragile. Mais il n'y aura pas d'opération militaire directe. Ce qu'il va se passer sans doute, c'est une intensification des livraisons de certains types d'armement à l'Ukraine. Notamment des missiles sol-air, des munitions pour l'artillerie. La position de la France était de ne pas livrer d'armes tant que la phase diplomatique n'était pas terminée. Je pense que maintenant elle va y réfléchir.

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