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Salon de l'agriculture : pourquoi la filière bio est en pleine crise de croissance

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Après plusieurs années de forte croissance, la filière bio en France a enregistré un recul en 2022. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)
Les professionnels du secteur pointent le rôle de l'inflation, mais également une perte de crédibilité du label et un manque de soutien politique.

"En ce moment, nous n'avons pas le vent dans le dos." Le président de Biocoop, Pierrick de Ronne, euphémise quand on l'interroge sur le recul marqué par le marché du bio en France. Après plusieurs années de forte croissance (les ventes avaient doublé entre 2015 et 2020), le secteur, qui va tenter de profiter du Salon de l'agriculture qui s'ouvre samedi 25 février à Paris, connaît un net ralentissement. A la fin du mois d'octobre 2022, la baisse s'élevait à près de 5% sur un an, selon l'Institut IRI, spécialiste de l'analyse de données de consommation.

La première cause n'est autre que l'inflation, qui a atteint en France 5,2% en moyenne sur l'ensemble de l'année 2022. "Huit Français sur dix surveillent désormais leurs dépenses et ne sont pas disposés à dépenser davantage sur l'alimentaire", commente Tarek Louadj, analyste chez NielsenIQ. "Le bio est très sensible au pouvoir d'achat" et ses prix bien plus élevés (30 à 50% plus cher que de l'alimentation conventionnelle selon différentes études) ne sont "pas adaptés au contexte inflationniste", poursuit-il. Selon lui, le bio est "dépriorisé" et ce phénomène "s'accélère". Philippe Camburet, président de la Fédération nationale d'agriculture biologique (Fnab) estime que "l'inflation rajoute une couche de désordre absolu dans la priorisation des achats des ménages".

"C'est la conjoncture qui est la plus responsable dans le tassement de la consommation des produits bio."

Philippe Camburet, président de la Fnab

à franceinfo

Des labels qui foisonnent

La hausse des prix n'explique cependant pas tout. Dans les rayons, le foisonnement d'étiquettes plus ou moins vertes peut prêter à confusion. "Nous sommes bombardés de labels toute la journée. Quoi qu'on achète, il y a un label (...) Le consommateur est dans le flou", relève Tarek Louadj. Le bio (c'est-à-dire les produits portant le logo bio européen et ceux portant la marque française AB, dont la mention est facultative) est désormais accompagné de nombreux macarons : "Haute Valeur environnementale", "Bleu-Blanc-Cœur", "sans pesticides", "sans nitrites" ou encore des étiquettes vantant une production locale ou une dimension éthique.

Ces appellations, qui servent à promouvoir des pratiques présentées comme plus vertueuses que celles de la filière conventionnelle, tendent à relativiser la portée du bio, bien que certaines répondent à des obligations moins contraignantes.

"En voyant tous ces labels, le consommateur peut se dire que, quoi qu'il arrive, il va faire une 'bonne action'. Autant la faire pour pas cher."

Tarek Louadj, analyste chez NielsenIQ

à franceinfo

Mais face à cette multiplication dans les grandes surfaces, la valeur du label a été diluée. Selon une étude de NielsenIQ, seuls 27% des personnes interrogées pensent que le bio présente un vrai bénéfice pour l'environnement, avec une agriculture vraiment durable.

Laure Verdeau, directrice de l'Agence bio, le groupement d'intérêt public chargé du développement, de la promotion et de la structuration de l'agriculture biologique en France, constate une "ignorance" du grand public vis-à-vis du bio. Par conséquent, "le citoyen peut confondre le label public et les allégations marketing". Pourtant, la procédure pour être certifié bio est stricte et lourde, insiste-t-elle. La dirigeante évoque notamment les nombreuses réglementations, la conversion qui se fait en deux à trois ans, ou encore des contrôles fréquents et réguliers menés par des organismes indépendants.

Soigner la com'

Laure Verdeau rappelle qu'un agriculteur bio se passe de 90% des substances chimiques autorisées pour ne garder que les plus naturelles. Ce qui permet notamment une biodiversité 30% plus importante sur les parcelles bio, une fertilité des sols préservée, des nappes phréatiques moins affectées, ou encore des polluants qui ne se retrouvent ni dans l'air ni dans les poumons de l'agriculteur. "Il faut réalphabétiser le consommateur sur ce qu'est le bio. C'est un enjeu pour être une démocratie alimentaire. On ne peut pas avoir des citoyens qui ne savent pas faire la différence entre bio et 'simili-vert'", estime-t-elle.

"Pourquoi le bio est-il un peu plus cher ? Parce que nous rémunérons le risque de cet entrepreneur qui décide de produire de façon très exigeante. Ce sont des geeks de l'agronomie."

Laure Verdeau, directrice de l'Agence bio

à franceinfo

La directrice de l'Agence bio juge indispensable de relancer des campagnes de communication à grande échelle. Elle attire l'attention sur celle intitulée "Pour nous et pour la planète, #BioRéflexe", menée entre mai 2022 et octobre 2022. Un succès, assure-t-elle. Trois études d'impact ont montré qu'elle "avait renforcé la confiance dans le bio – qui est en train de baisser –, renforcé sa compréhension et qu'elle avait généré entre 4 et 5% de ventes supplémentaires là où la campagne avait été diffusée".

Les professionnels et spécialistes du secteur interrogés par franceinfo s'accordent effectivement sur un point : la communication est l'un des nerfs de la guerre pour ce marché. Un facteur pris en compte dernièrement par l'exécutif. Le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé en décembre des fonds supplémentaires pour soutenir la filière bio, dont 750 000 euros pour l'Agence bio dédiés à une nouvelle campagne d'information. Une enveloppe bienvenue mais jugée bien trop légère au regard des moyens déployés par les grands groupes. "Le budget communication de Leclerc en bio, c'est 70 millions d'euros", souligne le président de Biocoop, Pierrick de Ronne.

Une politique de soutien "insuffisante"

La Cour des comptes a dressé un bilan similaire dans un rapport publié en juin dernier : "L'Agence bio, principal opérateur de l'Etat pour la filière bio en France, ne dispose pas de moyens à la hauteur de ses missions, en particulier pour la communication." Mais, au-delà du volet com', la Cour des comptes juge plus globalement que "la politique de soutien à l'agriculture biologique reste insuffisante".

"Cette politique aurait pu être davantage motrice dans le développement de l'agriculture biologique, qu'elle a, au mieux, accompagné et parfois freiné."

La Cour des comptes

dans un rapport sur le soutien à l'agriculture bio

S'il est nécessaire de "réexpliquer avec suffisamment de vigueur et plus de moyens" les fondamentaux du bio, "cela ne doit pas faire diversion", prévient Pierrick de Ronne. Le bio n'est plus porté politiquement au plus haut niveau, affirme-t-il, déplorant "un essoufflement majeur depuis de nombreuses années". Il mentionne la suppression d'aides aux agriculteurs, "la mise en valeur surdimensionnée du label 'Haute Valeur environnementale'" et le fait qu'il soit, dans la loi Egalim, "au même niveau" que le bio pour accéder au quota écologique dans la restauration collective. Il souligne également une différence de traitement avec le non-bio, évoquant par exemple le plan d'urgence de 270 millions d'euros lancé en janvier 2022 pour soutenir la filière porcine.

"Nous voyons qu'il n'y a aucun coussin de sécurité pour les producteurs bio. Mais ces coussins-là, on les retrouve en conventionnel. Ce n'est pas du tout la même impulsion."

Pierrick de Ronne, président de Biocoop

à franceinfo

Dans ce contexte plombant, Philippe Camburet reconnaît qu'une "sinistrose s'installe sur la production bio". "Dans certaines filières, les éleveurs s'arrêtent", a raconté mi-janvier à France 3 Hauts-de-France Riwal Bourdoulous, jeune agriculteur qui s'est installé en 2017 pour produire du porc biologique. Pour l'instant, le taux de "déconversion", c'est-à-dire le passage du bio au conventionnel, est stable, autour de 4%, selon l'Agence bio. Mais la Fnab anticipe, pour le mois de mai, des chiffres particulièrement mauvais.

"Nous avons un nombre de conversions en chute libre. Nous aurons peut-être moitié moins de conversions cette année par rapport à l'année dernière."

Philippe Camburet, président de la Fnab

à franceinfo

"Des marges de progression énormes"

Le cabinet Xerfi, spécialiste des études sectorielles, entrevoit, comme l'Agence bio, une sortie du tunnel pour 2024. "Il ne faudrait pas que cela dure trois ans comme ça", souffle Pierrick de Ronne, même si Biocoop est moins touché que l'ensemble du marché spécialisé.

En attendant, Laure Verdeau, directrice de l'Agence bio, a identifié des pistes pour faire progresser la filière de façon structurante. Elle rappelle que l'on trouve en France seulement 6% de bio dans les cantines, loin des 20% mentionnés dans la loi Egalim. Ces seuils représenteraient 1,4 milliard d'euros supplémentaire pour la filière bio en France (sur un marché de 13 milliards d'euros en 2021).

Laure Verdeau évoque également la restauration commerciale, "un angle mort", où le bio représente moins de 2% de l'offre. "Si les restaurateurs achetaient 10% de bio, cela ferait un marché additionnel de 1,5 milliard d'euros", glisse-t-elle. "Les marges de progression sont énormes." Le ralentissement actuel n'est que temporaire, veulent croire les professionnels du secteur, réclamant toutefois des plans ambitieux et rapides pour redresser la barre durablement. "Le bio, c'est le sens de l'histoire", répètent-ils à l'unisson.

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