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Retraites : avec leurs 1 000 euros minimum en 2022, les agriculteurs sont-ils vraiment les grands gagnants de la réforme ?

Avec sa promesse d'une pension au moins égale à 85% du smic, la réforme proposée par le gouvernement apparaît comme une bonne nouvelle pour les agriculteurs. Mais dans le détail, la situation est plus contrastée.

Article rédigé par Simon Gourmellet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La réforme des retraite permettrait à un chef d'exploitation agricole ayant une carrière complète perçoive au moins 1 000 euros net de retraite, puis 85% du smic à partir de 2025.  (J-B NADEAU / ONLY FRANCE / AFP)

Depuis le début, les agriculteurs sont classés dans le camp des grands gagnants de la réforme des retraites. Lors de la présentation du projet du gouvernement, Edouard Philippe a promis qu'une personne "ayant fait toute sa carrière au smic percevra 1 000 euros net de retraite en 2022, puis 85% du smic en 2025".

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Cette mesure "s'applique aussi aux travailleurs indépendants et aux agriculteurs", a précisé le Premier ministre. Une annonce bien accueillie par la FNSEA, le principal syndicat de la profession. "Si demain, un euro cotisé donne les mêmes droits à tout le monde, ça ne peut être que mieux pour les agriculteurs", expliquait ainsi le 3 décembre Christiane Lambert, la patronne de la FNSEA, en annonçant que le syndicat agricole ne se joindrait pas au mouvement de grève entamé le 5 décembre. Pourtant, lorsque l'on rentre dans les détails de la réforme, la situation est loin d'être aussi idyllique qu'il y paraît. Au-delà des annonces, le diable, comme souvent, se cache dans les détails.

Un régime déficitaire

Petit rappel historique : en 1946, lors de la création de la Sécurité sociale, le monde agricole refuse d'intégrer le régime général, préférant cotiser dans un régime séparé, géré par la Mutualité sociale agricole (MSA). Ce régime fait donc partie de ce que l'on nomme à tort les "42 régimes spéciaux" et concerne deux catégories distinctes : les salariés agricoles, alignés sur le régime général, et les chefs d'exploitation, conjoints collaborateurs, veuves ou veufs d'exploitation. Pour ces derniers, la retraite est calculée sur l'ensemble de la carrière et non sur les 25 meilleures années, rappelle La Croix.

Début 2019, plus de 1,3 million de personnes (572 196 hommes et 744 585 femmes) bénéficiaient d'une pension au régime des non-salariés agricoles (NSA) de la Mutualité sociale agricole (MSA), pour moins de 450 000 actifs. Cela représente un actif pour trois retraités. D'où l'intérêt, pour les agriculteurs, de rejoindre le régime général. "On ne veut pas lâcher et passer à côté de la réforme, comme cela s'est produit par le passé", explique à franceinfo André Tissot, de la Confédération paysanne, dont le syndicat continue de s'associer aux manifestations. 

Au-delà d'aider un régime déficitaire, l'urgence vient également du niveau des pensions. Actuellement, les montants mensuels moyens pour les retraités ayant validé une carrière complète (165 trimestres) est de 953 euros pour les hommes et 852 euros pour les femmes, chiffre la caisse de retraite des agriculteurs. Ceux qui n'ont pas d'autre revenu – un bien en location, le plus souvent – restent donc bien en deçà du seuil de pauvreté en France, établi en 2019 à 1 041 euros par mois. 

Avec les artisans et les commerçants, nous touchons les pensions les plus faibles de tous les régimes.

Jacques Dufrechou 

président de la section anciens exploitants de la FNSEA

C'est donc une véritable révolution qui s'annonce pour 2022, date d'entrée en vigueur théorique de la réforme, selon le gouvernement. Ce dernier propose qu'un chef d'exploitation agricole ayant une carrière complète perçoive au moins 1 000 euros net de retraite, puis 85% du smic à partir de 2025. Un basculement qui permettra une hausse des revenus pour bon nombre d'entre eux. D'ailleurs, à part le Modef, syndicat minoritaire proche du Parti communiste, qui demande "le retrait pur et simple de la réforme" et "une retraite à 1 200 euros pour tous à 60 ans", le monde agricole estime qu'un régime universel sera un progrès.

Tous les agriculteurs ne gagnent pas le smic

Mais cette proposition de 1 000 euros minimum est en réalité issue d'une loi de 2003, mise en application pour les salariés du régime général en 2009, mais sans cesse repoussée (2019 puis 2020 et maintenant 2025) pour les non-salariés agricoles, déplore la Coordination rurale. Une promesse non tenue, annoncée en 2003 par le désormais ex-haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, comme le rappelle le site Bastamag.net. En décembre 2016, une proposition de loi avait déjà été déposée pour porter le niveau minimal des retraites agricoles de 75% à 85% du smic. Mais en mars 2018, le gouvernement a renvoyé l'application du texte après sa réforme des retraites. "On reste justement vigilant sur ce point", note Jacques Dufrechou.

Quid des agriculteurs qui espèrent prendre leur retraite d'ici à 2022 ? "C'est la question qui remonte déjà auprès de nos représentants locaux", alerte le syndicaliste. Et cette interrogation a des conséquences directes sur les jeunes agriculteurs. "Aujourd'hui, un agriculteur a 75% du smic lorsqu'il prend sa retraite. Ne doit-il pas attendre pour partir dans de meilleures conditions ? Dans ce cas, il ne va pas vendre sa ferme et laisser sa place à un jeune. On risque un blocage général et un gel des installations dans les prochaines années", s'inquiète Jacques Dufrechou.

Et encore faut-il parvenir à tenir toute une carrière en s'assurant ce smic. Dans la production agricole, les revenus varient fortement d'une année sur l'autre, les carrières sont souvent courtes et hétérogènes, et selon l'Insee, 22,1% des agriculteurs vivaient en 2016 sous le seuil de pauvreté, rappelle LibérationAutre bémol et principal reproche des syndicats d'agriculteurs, et notamment de la Confédération paysanne : si cette réforme améliore potentiellement le sort des futurs retraités agricoles, elle ne change rien à celui des 1,3 million de retraités actuels.

Il faut une revalorisation immédiate des pensions les plus basses.

André Tissot

à franceinfo

"Tant qu'on ne prend pas en compte la situation des retraités actuels, et notamment des conjoints-collaborateurs qui sont majoritairement des femmes, on ne peut pas être d'accord avec cette réforme", poursuit le porte-parole de la Confédération paysanne.

Une hausse des cotisations en perspective

En outre, cette retraite à 1 000 euros va entraîner des augmentations de cotisation, qui vont plomber encore un peu plus les revenus des agriculteurs. Pour un chef d'exploitation, le taux va ainsi passer de 21% aujourd'hui à 28%. "Mais cette hausse va être compensée en partie par la baisse de l'assiette [le montant qui sert de base au calcul des cotisations]. Elle ne sera que de 2,5 points", assure à l'AFP Robert Verger, chargé de la question des retraites à la FNSEA. Pour lui, "l'essentiel, c'est d'avoir une amélioration de la retraite, on n'a rien sans rien". Les cotisations hors assurance vieillesse (par exemple, la CSG) seront assises sur une assiette plus réduite, de manière à diminuer leur poids et contrebalancer ainsi l'accroissement des prélèvements pour les retraites, explique ainsi Le Monde.

Sauf que les autres syndicats veulent des assurances et des éclaircissements. Ce flou fait partie des nombreuses demandes d'éclaircissement envoyées vendredi 13 décembre à l'ex-haut-commissaire Jean-Paul Delevoye par la Coordination rurale. "On ne sait pas concrètement sur quelle base nous allons cotiser", s'interroge André Tissot. Des questions qui vont rapidement demander des réponses claires de la part de Laurent Pietraszewski, le nouveau "monsieur retraites" du gouvernement.

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