Mégabassines, haies, exploitations... Pourquoi le projet de loi d'orientation agricole est jugé trop peu ambitieux sur le plan écologique
Plus de production, moins d'écologie ? Les députés ont commencé à examiner le projet de loi d'orientation pour l'agriculture à l'Assemblée nationale, mardi 14 mai. Censé apaiser la colère du secteur agricole qui a éclaté au cours de l'hiver, le texte contient des mesures pour favoriser notamment la formation et la transmission des exploitations. Mais les défenseurs de l'environnement estiment qu'il manque d'ambition sur le plan écologique. "Le gouvernement se fixait comme cap la résilience de notre agriculture face au changement climatique. Mais là, on a un texte vide et dangereux en matière d'atteinte en droit de l'environnement", dénonce auprès de franceinfo la députée écologiste Marie Pochon, dont le groupe a défendu une motion de rejet préalable. Franceinfo détaille les mesures les plus contestées.
Un projet de loi accusé de faciliter la construction de mégabassines
Les opposants au texte craignent de voir se multiplier des projets de mégabassines, ces reservoirs d'eau puisée dans les nappes phréatiques puis utilisée pour l'irrigation des terres agricoles. L'article phare du projet de loi prévoit en effet de consacrer "l'agriculture et la pêche" comme étant "d'intérêt général majeur". Pour ses détracteurs, cette notion est un appel au juge administratif à faciliter certains projets quand ils sont mis en balance avec un enjeu écologique. La secrétaire nationale des Ecologistes-EELV, Marine Tondelier, y voit ainsi un moyen de "favoriser l'installation de mégabassines" et de "fermes-usines".
Mais pour le ministre de l'Agriculture, cette disposition serait un moyen de garder un "équilibre" entre environnement et agriculture, faute de quoi, "à la fin, on sacrifiera notre agriculture". "Nous avions donné le sentiment, parfois au niveau national, parfois au niveau européen, que c'est l'agriculture qui trinquait", affirmait Marc Fesneau au micro de franceinfo début mai.
Autre mesure pointée du doigt : l'"accélération des contentieux" en cas de recours contre des projets de stockage d'eau ou de construction de bâtiments d'élevage. Cette réduction des délais se ferait "au détriment des associations et des riverains qui auraient moins de temps pour rassembler, organiser et présenter des arguments concernant les risques environnementaux", avance Greenpeace dans un communiqué. Dans son avis, le Conseil d'Etat a par ailleurs mis en garde le législateur sur les "risques de constitutionnalité", quand la Défenseure des droits considère, dans le sien (en PDF), qu'il y aurait une "atteinte injustifiée au droit de recours".
Marc Fesneau s'est défendu de vouloir favoriser "les grandes exploitations" à travers le projet de loi. "Ce ne sont pas de grandes [exploitations] forcément, mais on a besoin de produire, de bâtiments d'élevage", prenant en exemple la production de volailles. "On ne va pas nourrir les gens avec un poulailler de 50 poules", a-t-il illustré.
La crainte de voir les arrachages de haies facilités
Lors des manifestations qui ont éclaté pendant l'hiver, les agriculteurs ont dénoncé les démarches administratives trop lourdes, citant comme exemple la réglementation sur les haies. Le projet de loi prévoit de simplifier la législation autour de ces rangées végétales. L'arrachage des haies devra faire l'objet d'une demande auprès des autorités, mais l'absence de réponse dans un délai fixé par décret vaudra autorisation.
"Il risque d'y avoir des milliers de demandes d'un coup que les préfectures n'auront pas le temps de traiter dans le délai imparti, et les agriculteurs pourront donc couper la haie", s'inquiète le spécialiste Jacques Caplat, de l'association Agir pour l'environnement. Or ces murs végétaux rendent de précieux services, dont l'Office de la biodiversité liste les vertus : "conservation de la biodiversité, protection des animaux d'élevage, stockage du carbone, régulation des inondations..."
Interrogé par La Nouvelle République le 10 mai, Marc Fesneau voit plutôt cette mesure comme un "message de confiance adressé au monde agricole, dont l'activité sera libérée de normes et de contraintes devenues superflues (...) sans pour autant sacrifier à nos exigences de protection de la santé humaine, de protection de l'environnement et de qualité des productions". Le ministère de l'Agriculture a par ailleurs annoncé début mars une enveloppe de 110 millions d'euros annuels supplémentaires à partir de 2024, afin d'atteindre l'objectif de "50 000 kilomètres" de haies plantées "d'ici 2030".
Des moyens pour la transition agroécologique jugés insuffisants
Le projet de loi mentionne certes "la transition agroécologique et climatique de l'agriculture et de l'alimentation". Mais pour les défenseurs de l'environnement, le texte devrait comporter plus de moyens pour accélérer le passage à l'agroécologie, une forme d'agriculture qui s'appuie sur les ressources naturelles à disposition. "C'est l'agriculture bio, l'élevage à l'herbe, le système de cultures diversifiées, illustre Jacques Caplat. Pour pousser vers ça, il aurait fallu prévoir des outils fonciers. Comment des fermes énormes, dont les agriculteurs vont partir à la retraite, vont faire pour changer leurs cultures ?"
"Les nouveaux entrants, il faut les pousser vers des exploitations agroécologiques."
Marie Pochon, députée écologisteà franceinfo
Si l'ONG Réseau action climat salue l'ambition affichée sur ce sujet dès l'introduction du texte, elle considère aussi qu'il "ne dote pas la politique d'installation-transmission d'un objectif clair d'orientation en faveur de la transition agroécologique" et "devrait permettre de mieux flécher les financements à l'installation et à l'investissement, en priorité vers les systèmes les plus durables".
Après l'examen du texte en commission, les rapporteurs issus des rangs de la majorité présidentielle ont eux aussi insisté dans leur rapport sur "la prise en compte des objectifs de transition agroécologique" dans le chantier à engager pour "faciliter la transmission du foncier". Ces questions seront débattues à nouveau en séance publique jusqu'au 28 mai, jour du vote solennel sur le texte.
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