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"Il va y avoir des burn-out chez les vignerons" : l'année tourne au vinaigre pour le secteur viticole

L'arrivée précoce des vendanges ajoute de la pression sur une filière dont les ventes ont dégringolé durant le confinement et la crise du Covid-19. Les syndicats estiment que les aides annoncées par l'Etat ne suffiront pas.

Article rédigé par franceinfo - Marion Fontaine
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Un vignole AOC de l'appellation saint-émilion, à Arvouet, sur la commune de Vignonet (Gironde), en automne.  (PHILIPPE ROY / PHILIPPE ROY / AFP)

L'année 2020 était pourtant partie pour être très bonne pour le vin français. Dans la majorité des régions viticoles de l'Hexagone, l'hiver a été doux, le printemps pluvieux et chaud avec peu de gelées. Des conditions idéales pour le raisin, mais qui provoquent aussi une maturation beaucoup plus précoce des fruits. Une contrainte supplémentaire pour un secteur déjà fragilisé par la crise du Covid-19. Sans chômage partiel, avec des ventes en chute libre pendant les mois de confinement et des aides de l'Etat jugées "insuffisantes", la filière viticole est en souffrance.

"On a subi la double peine. On devait payer nos salariés qui travaillaient dans les vignes alors que nos revenus étaient quasi nuls" explique à France 3 Grand-Est Didier Pettermann, président du Conseil interprofessionnel des vins d'Alsace. Car pour les travailleurs de la vigne, il n'y a pas eu de chômage partiel. Pendant toute la durée du confinement, les viticulteurs ont dû continuer de s'occuper de leur exploitation. "On travaille le vivant, on était obligé d'être sur le pont", lance Eric Thomas, responsable technique du domaine La Grange, dans le Haut-Languedoc.

Un secteur déjà ébranlé par la crise du Covid-19

Pierre-Antoine Giovannoni est président de la Fédération régionale des vignerons indépendants des Pays de la Loire. Il est aussi vigneron dans un domaine familial de 32 hectares. "Les viticulteurs ont versé 4,5 milliards d’euros de salaires pendant le confinement malgré le manque de recettes, sans Café Hôtel Restaurant [CHR, un secteur essentiel pour les débouchés de la profession], sans export, sans salons et sans chômage partiel", déplore-t-il auprès de franceinfo, avant de pointer du doigt un autre problème : "Le Covid-19 a été un frein redoutable à la commercialisation des vins."

Les pertes ont été moindres pour les vignerons collaborant avec la grande distribution, qui a continué de vendre leurs produits pendant le confinement. Mais pour ceux qui travaillent avec les restaurants, les bars et l'hôtellerie, à l'arrêt pendant trois mois, le printemps a été particulièrement difficile. La vente aux particuliers s'est elle-aussi effondrée, contrairement à d'autres secteurs de l'agriculture

Déjà compromises en partie par la taxe Trump depuis octobre 2019, les exportations se sont considérablement ralenties, surtout sur les principaux marchés américains et chinois. L'œnotourisme, complément de revenu considérable pour beaucoup de domaines, peine à redémarrer. Et les salons, qui pèsent jusqu'à 15% du chiffre d'affaire des vignerons, selon Pierre-Antoine Giovannoni, ont été annulés. 

Résultat : les viticulteurs français ont perdu en moyenne "60% de chiffre d'affaires" selon Jean-Marie Fabre, le

Certains petits producteurs ont perdu presque 100% de leur chiffre d'affaires pendant le confinement.

Eric Thomas, du domaine La Grange

à franceinfo

A ce contexte particulier de Covid-19 qui use le secteur viticole s'ajoute la précocité des vendanges. Un phénomène récurrent. Cette année, les vignerons prévoient une, voire deux semaines d'avance par rapport à la date des vendanges habituelles. 

Le coupable ? Le réchauffement climatique. Pierre-Antoine Giovannoni se souvient : "Il y a vingt ans, les vendanges débutaient fin septembre-début octobre. Depuis quatre ans, elles démarrent fin août." 

Les vendanges précoces dans un vignoble de Fitou (Aude), le 28 juillet 2020.  (RAYMOND ROIG / AFP)

La hausse des températures pendant toute l'année accélère la pousse. Mais la canicule, les forts pics de chaleur et la sécheresse provoquent un stress hydrique sur la vigne, ce qui peut bloquer sa maturation et repousser la date des vendanges. Avec la chaleur de ces dernières semaines, les professionnels ont donc gagné quelques jours de répit. La récolte "aurait pu commencer quinze jours encore plus tôt", note le Syndicat AOC Languedoc à franceinfo.

Reste que "les vendanges arrivent de plus en plus tôt", souffle Eric Thomas. "C'est compliqué en termes de logistique. Le planning se resserre et nous prenons de moins en moins de temps de repos entre les périodes très intenses de mai et juin et le début des vendanges." Nicolas de Saint-Exupéry, vigneron et propriétaire de plusieurs domaines dans le Languedoc, estime, amer : "Il va y avoir des burn-out chez les vignerons."

Quant à la main-d'œuvre nécessaire pour récolter les raisins, cette année, "les besoins restent les mêmes que d'habitude" souligne au micro de franceinfo Jean-Marie Fabre, le patron des vignerons indépendants. Pour les raisins qui ne sont pas récoltés à la machine (soit les grands crus classés et les vignes jeunes ou abîmées), les vignerons se tournent cette année vers une main-d'oeuvre locale et étudiante, "qui sera encore en vacances en août et ne reprendra pas forcément les études dès septembre", souligne Nicolas de Saint-Exupéry.  

Concernant la mise en place des gestes barrières contre le Covid-19, les vignerons ne sont pas très inquiets. Le travail des saisonniers se fait en plein air, et il y a assez d'espace entre eux pour respecter les règles de distanciation physique. Christophe Chateau ajoute que certains domaines ont commandé de grosses quantités de masques, afin de se préparer à toute éventualité. 

Les poches vides, mais les caves pleines

Avec le quasi-arrêt des ventes, certains viticulteurs se sont retrouvés avec un important stock difficile à écouler. Le gouvernement a donc décidé d'aider la filière viticole en établissant un dispositif de distillation de crise, début juin. Financé par les fonds publics européens, il permettra à 33 distillateurs français agréés de collecter du vin. L'alcool obtenu à partir de la distillation de ce vin sera exclusivement réservé à l'industrie et pourra même devenir du gel hydroalcoolique. Les viticulteurs faisant appel à cette distillation de crise sont indemnisés à hauteur de 78 euros par hectolitre de vin sous appellation et 58 euros par hectolitre de vin sans indication géographique. 

Ce sont les vins à consommation rapide  — les blancs et les rosés — qui sont surtout concernés par le dispositif. "Je n'avais pas énormément de stock, mais j'ai fait appel à la distillation de crise par sécurité et pour renflouer un peu la trésorerie", concède Nicolas de Saint-Exupéry, "mais cela reste seulement un pansement".

Les syndicats et les conseils interprofessionnels de la filière viticole ne cachent pas leur déception. "Ce n'est pas suffisant au regard des aides distribuées à l'aéronautique ou l'automobile", dénonce Christophe Château, du Conseil interprofessionnel du vin de bordeaux. "Il y a un déséquilibre des forces choquant" dans les moyens alloués à ces deux secteurs par rapport à celui de la viticulture, ajoute Pierre-Antoine Giovannoni, "alors que l'économie viticole représente 600 000 emplois dans toute la France et est la deuxième productrice de richesse du pays après l'aéronautique".

Une enveloppe de 246 millions d'euros

En mai, le gouvernement a alloué une enveloppe de 170 millions d'euros au secteur. Il a décidé d'y ajouter 76 millions mercredi 5 août, passant ainsi le montant total à 246 millions. Selon le Premier ministre, Jean Castex, ces aides sont destinées à améliorer le stockage des surplus et à augmenter la distillation des invendus.

"C'est un soulagement pour la filière viticole", note Jérôme Despey, secrétaire général de la FNSEA et viticulteur dans l’Hérault. Il regrette néanmoins "que cette aide de 246 millions d’euros prenne une partie du budget européen consacré à la viticulture" et appelle à puiser dans les fonds communautaires afin d'avoir "des mesures structurantes pour les viticulteurs plutôt que des mesures de gestion de crise". 

Pierre-Antoine Giovannoni demande en plus au gouvernement la mise en place d'un dispositif d’exonération de charges sociales et l'ouverture "au plus vite" du dispositif exceptionnel d’aide au stockage privé, qui permettrait aux vignerons possédant des volumes disponibles d'héberger le vin d'autres vignerons qui n'en auraient pas assez.  "Même si l'ambiance est compliquée et qu'on a du mal à vendre notre vin à cause de la conjoncture actuelle", Nicolas de Saint-Exupéry se veut optimiste : "On accueille la récolte comme on accueille un enfant. Tout ce qu'on fait aujourd'hui, c'est pour demain, et demain, ça ira mieux."

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