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L'Angle éco. Après la crise, Roubaix compte sur l’e-commerce pour repartir

Reprise ou re-crise ? "L'Angle éco" se penche sur cette question le lundi 5 octobre. Pendant la préparation de l'émission, l'équipe s'est arrêtée à Roubaix.

Article rédigé par franceinfo - Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
L’entrée d’OVH, rue Kellermann à Roubaix.(Nord) Septembre 2015. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCE 2)

Autrefois capitale de l’industrie textile, la ville nordiste subit encore de plein fouet l’impact de la désindustrialisation. Pourtant, elle mise sur ses acquis pour mieux rebondir. Alors que la vente à distance est en crise, Roubaix compte sur sa suite logique : l’e-commerce et le numérique. 

“Tu es parti, toi ?” À l’entrée du siège de La Redoute, Sabine Carton, secrétaire du comité d’entreprise, retrouve un ancien salarié de passage dans la société. Cela fait précisément un an que Fabien Ponthieu a quitté le siège, après y avoir travaillé pendant plus de dix ans. Il était agent employé modèle et type au studio photo. Mais avec la crise, le studio doit fermer.

L’homme de 37 ans vient de l’apprendre, il va pouvoir revenir à La Redoute. Pour une durée d’une semaine, le temps d’une mission d’intérim décidée quelques jours plus tôt. Depuis un an, Fabien Ponthieu cumule ces petites missions. “Moi je n’ai rien demandé”, réagit-il. “Ce que je voulais, c’était rester à La Redoute jusqu’à la retraite”. Sa femme, elle, travaille toujours dans l’entreprise, dans le secteur de la relation-client. “Et elle attend”, raconte l’ancien employé, inquiet pour leur avenir.

L’entreprise historique de Roubaix, née en 1873, est en pleine restructuration. 1178 postes (sur 3437 salariés) seront supprimés d’ici quatre ans. Pour des salariés comme Fabien Ponthieu, la décision est tombée. Pour les autres, c’est l’incertitude. Caroline Porquet, 41 ans dont 16 à La Redoute, est conceptrice-rédactrice pour le catalogue et syndiquée Force Ouvrière. Dans son secteur, un emploi sur deux sera supprimé d’ici 2017. “On vit avec une épée de Damoclès au dessus de la tête”, résume-t-elle. La reprise ? Ici, elle est bien loin des esprits.

 Des start-ups dans l’usine

 Pourtant, c’est dans ces bâtiments mêmes que se jouera l’un des moteurs de la sortie de crise de Roubaix. Un étage entier du siège de La Redoute accueillera sous peu le projet Blanchemaille, un cluster d’entreprises visant à accélérer le développement du e-commerce dans la ville. Guillaume Delbar, le maire (Les Républicains) de Roubaix en est convaincu : c’est par le e-commerce et l’économique numérique que la ville continuera sur le chemin de la reprise.

“Quand la crise devient une opportunité : c’est cette idée que nous portons avec Blanchemaille”, résume l’élu. Avec une activité en baisse à La Redoute, des locaux se sont libérés, laissant la place à des entreprises qui pourraient bien être le futur moteur économique de Roubaix. “Ces acteurs sont en développement, ils cherchent de nouveaux talents. Ils sont capables d’animer un territoire”, affirme Guillaume Delbar.

 Les locaux de Blanchemaille - qui s’étalent sur 2000 m2 - sont encore quasiment vacants. Les responsables du projet promettent une inauguration le 25 novembre, avec 15 start-ups incubées, 10 jeunes entreprises “accélérées” et un hôtel d’entreprises. Le plateau comptera au total 200 emplois. 

Yann Kervarec (gauche), responsable commerce digital chez EuraTechnologies, et Henri-François Caudrelier (droite), chargé du développement économique à la mairie de Roubaix, visitent l’étage de La Redoute qui accueillera bientôt le projet Blanchemaille. (Roubaix, Nord) Septembre 2015. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCE 2)

À La Redoute, l’installation est vue d’un bon oeil. “Je ne sais pas encore comment La Redoute va accompagner ces start-ups, mais elle attend ces start-ups pour l’accompagner !” sourit Jacques Guilmain, directeur des systèmes d’information au sein du groupe. Il est convaincu des bienfaits du projet pour l’entreprise. Mais n’y a-t-il pas un risque de concurrence supplémentaire pour La Redoute, déjà fragilisée par le développement du e-commerce ? “C’est parce qu’on est en compétition qu’on est tiré vers le haut”, défend Jacques Guilmain.

Plus d’emploi à Roubaix ?

Car un autre grand nom du e-commerce arrive bientôt dans la ville. Il servira de véritable locomotive au projet Blanchemaille. Le site marchand Showroomprivé.com a choisi Roubaix pour ouvrir son troisième atelier, après la Plaine Saint-Denis et Barcelone. Et là aussi, l’histoire se répète : une entreprise en plein essor choisit une une usine vacante, l’ancienne filature Lepoutre, pour développer son activité.

Ici aussi, les locaux sont encore vides. Le nouvel atelier de Showroomprivé.com s’étalera sur 2000m2, au coeur d’une usine qui employait jusqu’à 1200 ouvriers au début du 20ème siècle. 35 ans après sa fermeture, ce bâtiment témoin de la crise de l’industrie textile s’offre une nouvelle jeunesse. Située à quelques rues de La Redoute, l’usine Lepoutre accueillera à terme 125 nouveaux emplois. 

L’usine Lepoutre, rue Cuvelle à Roubaix (Nord). Septembre 2015. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCE 2)

Mais ces emplois iront-ils aussi aux habitants de Roubaix, alors que le taux de chômage est de 14,6% dans la zone d’emploi ? “Tout dépendra des profils”, répond PingKi Houang, directeur général de Showroomprivé.com. “Nous cherchons des personnes qui connaissent déjà notre secteur pour gagner en rapidité d’opération. Tant mieux s’ils habitent à Roubaix.”

L’atelier recrute actuellement des graphistes, des chargés de ventes, des habilleurs et retoucheurs. Des offres d’emplois adaptées au bassin d’emploi ? “Si nous n’avions pas de main d’oeuvre qualifiée, Showroomprivé.com serait parti à Barcelone !”, lance Guillaume Delbar. “Notre priorité, c’est de développer une dynamique nouvelle. Et quand un territoire se développe, il crée des emplois de tout type.”

Le pari de la logistique

Les acteurs de Blanchemaille misent aussi sur une demande croissante en logistique pour relancer l’emploi dans le bassin de Roubaix. Une activité comme la préparation des commandes demandera des profils variés, adaptés à la main d’oeuvre parfois moins qualifiée de la ville. “C’est le pari qu’on fait”, poursuit le maire.

L’expérience de Showroomprivé.com le montre déjà. En mars 2014, avant même de s’installer à Roubaix, l’entreprise signe un contrat avec la société nordiste Dispeo, filiale logistique du groupe 3SI dont fait partie 3 Suisses. À la clé : 400 créations d’emplois en trois ans à Hem, ville voisine de Roubaix. Dispeo, qui voyait son activité reculer avec la crise de la vente à distance, a évité les baisses d’effectifs grâce à ce nouveau contrat. “Showroomprivé.com nous a permis de maintenir notre chiffre d’affaires, et de former nos équipes à une autre logistique”, explique Sébastien Hospital, président de Dispeo. Le site est même devenu le client le plus important de l’entreprise.

Dans l’immense entrepôt de Dispeo, qui s’étale sur 40 000 m2, Peggy Jaccoud prépare des commandes pour Showroomprivé.com et d’autres clients. Ce métier, elle le connaît bien. À 40 ans, Peggy Jaccoud est une ancienne de La Redoute. Elle y a travaillé quatre ans, trois ans en CDD puis un an en intérim. Avec la crise, ses contrats se sont terminés sans se prolonger. Impossible de retrouver un travail stable.  

Peggy Jaccoud prépare des commandes dans l’entrepôt de Dispéo à Hem, dans le Nord. (Roubaix) Septembre 2015. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCE 2)

En 2013, Peggy Jaccoud reprend une formation d’auxiliaire de vie, avant d’entendre parler du contrat signé entre Showroomprivé.com et Dispeo. Elle postule. Après un cinq mois d’intérim et cinq mois de CDD, elle décroche un premier CDI. “Heureusement que Showroom était là”, raconte-t-elle avec le sourire. “Ça m’a permis de retrouver mon travail. Ça fait dix ans que je le fais, ce métier !”

“On doit pouvoir recruter des Roubaisiens”

Avec la crise, il est plus que jamais question de recrutement local dans les entreprises moteurs du bassin d’emploi. L’une d’entre elles n’est autre qu’OVH, le leader européen de l’hébergement de sites web. Née en 1999 à Roubaix, OVH y est restée. La société compte 1150 salariés à travers le monde, dont 650 rien que dans la ville. Et elle prévoit d’en embaucher 1000 supplémentaires en cinq ans. Son siège social, rue Kellermann, fait face à des petites maisons ouvrières. Derrière, c’est une véritable “OVH City” qui se construit : cinq data centers et, bientôt, un campus qui s’étalera sur 10 000 m2 de friche industrielle. 

 

L'entrée d’OVH, rue Kellermann à Roubaix.(Nord) Septembre 2015. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCE 2)

 

Antoine Tison, directeur des ressources humaines d’OVH, le reconnaît volontiers. “Nous avons peu de collaborateurs qui habitent Roubaix même”. Pourtant, il l’assure, si l’entreprise pouvait ne recruter que des habitants de la ville, elle le ferait. Et c’est possible, notamment dans la maintenance informatique ou dans la relation-client. “On est une entreprise roubaisienne, on doit pouvoir recruter des Roubaisiens”, affirme Antoine Tison.

En poste depuis six mois à OVH, le directeur des ressources humaines veut faire plus pour embaucher localement. “Vous avez La Redoute qui licencie, pendant que nous, nous avons parfois des difficultés à recruter ! D’anciens salariés de La Redoute pourraient tout à fait travailler pour nous, dans le service-client par exemple”. Antoine Tison le promet, dans quelques mois, il ira “faire le pied de grue” devant la mairie. “Pour rencontrer La Redoute, Camaïeu”, ces entreprises qui vivent encore la crise à Roubaix. Et pour dire, “on est là”. 

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