: Reportage Opération Wuambushu à Mayotte : dans l'océan Indien, les gendarmes de la brigade nautique traquent sans relâche les bateaux de migrants
Le gendarme de la brigade nautique de Mayotte appuie sans ménagement sur le levier d'accélérateur du bateau M'Djabbar. Les deux moteurs hors-bord de 300 chevaux grondent, poussant l'embarcation jusqu'à 40 nœuds, soit près de 75 km/h. La coque claque sur les vagues de l'océan Indien. Les quatre gendarmes viennent d'être alertés par le poste de commandement de la présence d'un écho sur leur radar, au large du 101e département français.
"Tu l'as à 13 heures !", hurle l'un des gendarmes en ouvrant le bras légèrement à droite. Un petit point blanc, quasiment invisible à l'œil du non-initié, brille à l'horizon. L'un des officiers prend en main un lanceur de balles de défense en cas d'interception difficile. Tous ont également leur arme de poing à la ceinture. Petit à petit, le point blanc s'agrandit et la tension diminue. Fausse alerte. Il ne s'agit pas d'un kwassa-kwassa, cette embarcation prisée des passeurs comoriens pour transporter des migrants depuis l'île d'Anjouan – la plus proche de Mayotte – mais d'un petit bateau de pêche à moteur. Une fois les papiers des deux pêcheurs contrôlés, les militaires repartent à la recherche d'autres embarcations suspectes.
Depuis le lancement de l'opération Wuambushu, les gendarmes sont visibles partout à Mayotte. Quelque 370 militaires supplémentaires ont été envoyés en renfort sur l'île fin avril, selon le ministère de l'Intérieur. Ces quatre escadrons mobilisés viennent porter le nombre de gendarmes à un millier sur la terre, la mer et dans les airs de l'archipel. L'objectif fixé par Gérald Darmanin est de lutter contre la délinquance, l'habitat insalubre et l'immigration illégale dans le département. Le pensionnaire de la place Beauvau procède d'ailleurs à un point d'étape sur place, samedi 24 et dimanche 25 juin.
Plus d'un demi-millier de bateaux interceptés en 2022
Quelques jours plus tôt, mercredi 21 juin, alors que le soleil se lève sur Petite-Terre, quatre gendarmes débutent leur service sur le M'Djabbar, l'intercepteur le plus vieux de leur flotte (11 ans de service). De 6 heures à 14 heures, ils sillonnent les eaux territoriales à la recherche de bateaux pouvant transporter des clandestins. "La nuit dernière, trois kwassa-kwassa ont été interceptés par nos collègues de la police aux frontières", explique l'adjudant-chef Defer, crâne rasé et lunettes aviateur.
Pour la trentaine de gendarmes qui composent la brigade nautique de Mayotte, la priorité, c'est la lutte contre l'immigration illégale, qui vient principalement des Comores voisines. En 2022, 571 kwassa-kwassa ont été interceptés par les autorités sur les 772 détectés, selon la préfecture.
Mais combien passent à travers les mailles du filet des autorités françaises ? Aucun chiffre officiel n'est avancé. Les interceptions représenteraient seulement un tiers du nombre d'embarcations qui tentent d'accoster dans le département français, selon les calculs de Mayotte La 1ère. Dans le même temps, des milliers de sans-papiers sont renvoyés dans le sens inverse. En 2022, toujours selon la préfecture, plus de 26 000 personnes ont été expulsées de Mayotte, principalement vers les Comores.
"La pêche est bonne ?"
À chaque alerte du poste de commandement, l'équipage se lance dans une filature en mer. Mais les radars disséminés sur l'île ne permettent pas de connaître précisément la nature des embarcations. Ce matin-là, seuls des bateaux de pêcheurs sont contrôlés. "Il faut vous rapprocher des côtes !", lance un gendarme à deux pécheurs dans une pirogue en bois. "Il peut y avoir des grosses vagues ici et leurs embarcations sont souvent très rustiques", explique l'homme en bleu.
Dans le banc d'Iris, au nord de Mayotte, d'autres pêcheurs sont parfois en mer depuis plusieurs jours. "La pêche est bonne ?", s'enquiert un gendarme auprès de l'un d'entre eux. La réponse tient en quelques petits poissons planqués dans une glacière. L'homme ne parle presque pas français. Heureusement, l'un des gendarmes de l'équipe connaît des rudiments de mahorais et de comorien. "On n'a pas toujours quelqu'un qui parle leur langue, c'est parfois compliqué", reconnaît l'adjudant-chef.
Au loin, l'île d'Anjouan se dessine. Un nouvel appel du poste de commandement pousse l'équipage vers une autre embarcation de pêcheurs. "Parfois, le radar détecte aussi les baleines", glisse un gendarme en souriant. Heureusement, des renforts dans les airs permettent d'aiguiller les bateaux plus précisément. La brigade nautique aimerait également des drones pour éviter les interventions inutiles.
"Il y a parfois des caillassages"
Depuis le début de l'opération Wuambushu, le nombre de traversées semble avoir légèrement diminué. Mais difficile de se faire une idée précise, la saison n'étant pas la plus propice pour les passeurs. "En ce moment, il y a les alizés, c'est un vent de face en venant des Comores", explique le pilote du bateau. "Il est impossible de prédire à l'avance s'il va y avoir des embarcations ou non, c'est très variable", commente l'adjudant-chef, dont la dernière interpellation remonte à plus d'un mois. L'un de ses collègues présent à bord a lui intercepté un kwassa-kwassa il y a seulement quelques jours.
Tous ont des souvenirs d'interpellations mouvementées au beau milieu de la mer. L'adjudant-chef se rappelle d'une embarcation où 43 personnes étaient entassées. "Une fois, j'ai eu un zébu et des chèvres aussi", se remémore l'un des officiers. "Il y a parfois des caillassages quand on s'approche", commente un autre. Au fil des années, les passeurs se sont également professionnalisés. "Ils peuvent arriver de n'importe quel côté de l'île, explique l'adjudant-chef. Parfois, ils attendent en groupe avant de se disperser pour qu'on ne puisse pas intercepter toutes les embarcations." Une photo de la gendarmerie montre ainsi onze kwassa-kwassa près des eaux françaises en 2021.
Un peu avant 14 heures, l'équipe retourne à sa base de Petite-Terre. Ce jour-là, aucune interpellation n'a été réalisée. Un autre groupe doit prendre le relais pour assurer une présence en mer 24 heures sur 24, avec la coopération de la police aux frontières. Mais deux mois après l'arrivée des premiers renforts, certains sont déjà repartis et une rotation supplémentaire a dû être abandonnée. Dans quelques mois, la "haute saison" des traversées de migrants, elle, devrait reprendre.
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