Classements des collèges et des lycées : le bien-être à l'école, grand absent des indicateurs de réussite
Un taux de réussite de 100% au bac, des mentions à foison, mais combien d'élèves épanouis à l'école ? Chaque année, au printemps, la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), le service statistique de l'Education nationale, publie les indicateurs de résultats – ou indicateurs de valeur ajoutée – par lycée (Ival). Depuis 2023, elle produit également ces statistiques pour les collèges (Ivac). Certains médias, dont franceinfo, vous dévoilent, mercredi 20 mars, ces résultats sans hiérarchiser les établissements, quand d'autres produisent des classements.
Au-delà de la réussite scolaire, ces données permettent d'apprécier la capacité d'un établissement à surpasser les attentes en fonction du profil initial de ses élèves, au regard de leur origine sociale ou de leurs résultats précédents. Mais cette performance ne dit rien du bien-être des enfants, pourtant devenu un enjeu majeur ces dernières années.
"Les parents sont de plus en plus soucieux de l'épanouissement des enfants à l'école", observe Marie Duru-Bellat, sociologue spécialiste de l'éducation. Si de tels indicateurs existaient, "la mesure du bien-être serait tout aussi regardée" que l'excellence académique, suggère la chercheuse. Reste que mesurer le degré de satisfaction à l'égard de son établissement scolaire est aujourd'hui difficile.
Historiquement, "on a avant tout construit l'école pour faire apprendre" aux élèves, rappelle Benoît Galand, professeur en sciences de l'éducation à l'université catholique de Louvain (UCL), en Belgique. "Depuis une vingtaine d'années, de nombreuses recherches ont été menées sur le bien-être à l'école, mais dans les politiques publiques, cette préoccupation est plus récente", explique le spécialiste belge. Selon Eric Debarbieux, chercheur spécialiste des questions de violence à l'école, "les premières enquêtes de la part de l'institution [le ministère de l'Education nationale] datent du début des années 2010".
Une notion récente, large et subjective
Outre ce tardif changement de mentalité, le bien-être est une notion floue, liée au climat scolaire, ce qui rend sa mesure délicate. "ll existe des définitions plus ou moins larges, remarque Benoit Galand. Le bien-être s'intéresse plutôt à comment les élèves se sentent, alors que le climat scolaire dépeint la perception de l'école par l'ensemble des acteurs", des profs aux parents, en passant par les élèves, illustre-t-il.
Une étude française, réalisée en 2015 dans des établissements de la région nantaise (en PDF), liste cinq éléments constituant une échelle du bien-être à l'école, selon les élèves interrogés : la relation avec les enseignants, les activités scolaires, le climat de la classe, le sentiment de sécurité et le rapport aux évaluations.
D'autres études vont aussi choisir de cibler une facette précise du bien-être. "Les évaluations unidimensionnelles présentent l'intérêt de fournir une mesure rapide et relativement stable, mais elles restent très générales et peu informatives", expliquent les chercheurs de l'étude menée en 2015. La récente enquête nationale sur le harcèlement scolaire, révélée par le ministère mi-février, et dans laquelle plus d'un élève par classe en moyenne se dit victime, est basée sur cette approche unidimensionnelle. Ces dernières années, les enquêtes nationales relatives à la violence scolaire, menées par la Depp, se sont par ailleurs multipliées.
Autre écueil dans la mesure du bien-être à l'école : le point de vue des élèves n'est pas neutre. Comme l'explique l'OCDE, "de nombreux indicateurs clés du bien-être, tels que la satisfaction à l'égard de la vie, comportent une forte composante subjective qui, par définition, peut être influencée par des normes culturelles et la personnalité du répondant".
Un protocole d'enquête très strict
L'absence d'indicateurs relatifs à l'épanouissement des élèves dans les Ivac et Ival n'est donc pas une surprise. Le ministère de l'Education, contacté par franceinfo, rappelle que ces indicateurs sont calculés "pour chacun des collèges et des lycées, sur la base de données disponibles sur tous les élèves : résultats aux examens, profil social et scolaire des élèves, sexe..." Or, la Depp ne dispose pas de telles statistiques pour le bien-être, mais uniquement de celles "issues d'enquêtes menées sur un échantillon d'écoles, de collèges et de lycées".
"La sensibilité des données recueillies (atteintes subies, harcèlement) demande un protocole d'enquête très strict pour garantir l'anonymat du répondant et mettre le répondant dans les conditions adaptées pour le recueil d'une réponse la plus sincère possible", explique le ministère. En outre, "ce protocole, certes nécessaire, demande des moyens très importants et ne peut pas être étendu à l'ensemble des établissements scolaires".
Pour Agnès Florin, coprésidente du Centre national d'étude des systèmes scolaires (Cnesco), une instance indépendante, "il faut faire évaluer les choses" en dépit de ces freins. "Parmi les préconisations du Cnesco en lien avec le bien-être [qui viennent d'être dévoilées en mars], on demande l'intégration d'indicateurs sur le sujet dans les Ivac et les Ival", explique-t-elle, regrettant que l'on "ne prenne en compte que les facteurs de performance des élèves".
"Le but n'est pas de faire des classements"
Il existe cependant des enquêtes locales sur le climat scolaire, menées à l'initiative des établissements et encadrées par les académies. Le but affiché n'est pas de produire des statistiques pour les porter à la connaissance du public, mais bien d'établir un diagnostic pour trouver, ensuite, des solutions aux problématiques identifiées à l'échelle locale. Une démarche qui, selon Agnès Florin, va dans le bon sens. "L'évaluation du bien-être doit se faire au service de l'action. Le but n'est pas de faire des classements", juge la coprésidente du Cnesco. Mesurer le bien-être dans chaque établissement dans le seul but d'en afficher le résultat "serait une véritable perversion", renchérit Eric Debarbieux.
"Je suis contre le fait que le climat scolaire devienne une norme administrative, qui créerait plus de problèmes qu’elle n’en résout."
Eric Debarbieux, chercheur spécialiste des violences à l'écoleà franceinfo
Eric Debarbieux, qui privilégie l'approche par le climat scolaire plutôt que le bien-être, a été sollicité par un établissement de la région bordelaise pour réaliser une enquête autour d'une problématique-clé : la discipline. "90% des élèves estimaient que les punitions étaient injustes, et 80% des personnels jugeaient qu'elles étaient trop laxistes. On avait là deux vérités humaines qui coexistaient, il fallait comprendre le pourquoi de cette tension", raconte le chercheur.
Le fort turnover des enseignants de ce collège – la plupart étant très jeunes ou avec un statut de contractuel – n'a pas facilité la solidarité au sein de l'équipe pédagogique. Sous le poids de la solitude, les professeurs peu expérimentés ont eu tendance à brandir les punitions en classe. A la suite de cette enquête, "ils ont été formés au travail en équipe", relate Eric Debarbieux.
Une corrélation entre bien-être et réussite scolaire
Du côté de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), "on se méfie globalement des indicateurs des collèges et des lycées, qui viennent marquer les établissements avec une étiquette positive ou négative", regrette son président, Grégoire Ensel. En conséquence, produire des indicateurs sur le bien-être présenterait le noble intérêt de "contrebalancer l'unique approche du résultat mathématique de réussite des établissements", mais cela viendrait "malheureusement accréditer des stratégies de contournement qui sont déjà à l'œuvre", juge-t-il.
Plutôt que d'alimenter la machine des Ivac et des Ival, la FCPE souhaite que certaines informations, en lien avec les conditions d'apprentissage des élèves, soient affichées devant les grilles des établissements, "à titre informatif" pour les familles. Grégoire Ensel donne pour exemple "la qualité du renouvellement de l'air" dans les classes, ainsi que "l'étiquette énergétique des bâtiments". "On oblige les particuliers à le faire, pourquoi ne pas étendre cette transparence au sujet de nos écoles ?", interroge le président de la FCPE.
Si le bien-être et le climat scolaire sont de plus en plus scrutés, en lien étroit avec "une poussée de l'individualisme et de l'épanouissement personnel" qui touche toute la société, selon Benoît Galand, c'est aussi parce qu'ils ont des vertus sur la réussite des élèves. Car plus les enfants sont épanouis à l'école, plus ils ont de chances de progresser. "Diverses recherches montrent ainsi que les élèves satisfaits de leur vie à l'école sont plus à même de développer des stratégies adaptatives, d'accroître leurs ressources personnelles et de s'engager vers le succès à l'école", révèlent les auteurs de l'enquête menée à Nantes.
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