Harcèlement scolaire : comment savoir si votre enfant persécute ses camarades, et que faire pour l'aider à prendre conscience de ses actes ?

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Nombre de parents sont à mille lieues d'imaginer que leur enfant puisse avoir un comportement de harceleur à l'école, surtout dans les milieux aisés. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
S'il est difficile pour un parent d'imaginer son enfant persécuter ses camarades, des signaux faibles permettent d'identifier ce type de situation.

Quel parent ne s'est jamais inquiété de savoir si son enfant pouvait être victime de harcèlement scolaire ? En France, près d'un million d'enfants (soit un sur dix) en sont la cible, comme le rappelle régulièrement le gouvernement. Il est moins naturel, en revanche, d'imaginer sa progéniture, les portes de l'école ou du collège franchies, harceler ses camarades. Les statistiques officielles, d'ailleurs, manquent. "On a quand même plus de chance d'avoir un enfant auteur de harcèlement que l'inverse", juge pourtant Mathilde Zrida, responsable du pôle thérapeutique de l'association "Marion la main tendue". Une question de logique : "Pour un élève harcelé, il y a au moins un meneur, puis des suiveurs. Donc si on a un million d'élèves harcelés, on peut estimer à trois millions le nombre de harceleurs".

Cette réalité, impensable pour de nombreux parents, est aussi difficilement perceptible. A l'occasion de la journée nationale contre le harcèlement, jeudi 9 novembre, franceinfo vous explique, avec l'aide de quatre experts, les signaux qui doivent alerter en tant que parent et comment réagir si votre enfant se rend coupable de tels agissements.

Comment savoir si mon enfant harcèle ses camarades de classe ? 

Il existe des "signaux faibles", c'est-à-dire des comportements qui laissent entendre que l'enfant peut harceler ses camarades. Ces signaux sont, quoi qu'il arrive, la manifestation d'un certain mal-être. L'enfant peut notamment banaliser la violence au quotidien. Aussi faut-il s'inquiéter, par exemple, devant "un jeune violent dans ses propos et sa manière d'être, qui ne va pas juger quelque chose comme violent alors que cela l'est", avance Johanna Dagorn, sociologue chercheuse à l'Université de Bordeaux.

Soyez attentif à son rapport aux autres. Les élèves harceleurs méprisent leurs camarades et s'inscrivent dans une logique dominant/dominé. "Observez-le, par exemple, jouer dans un parc avec les autres. Emploie-t-il des phrases dénigrantes pour s'adresser à ses camarades, du style 't'es nul' ?", expose Jean-Luc Robert, psychologue spécialisé dans les troubles du comportement de l'enfant. "Si l'enfant a des relations conflictuelles avec ses frères et sœurs, il faut se demander pourquoi" et s'il existe un prolongement à l'école, conseille Mathilde Zrida. Elle ajoute que, pour un harcelé comme pour un harceleur, il peut y avoir des signaux tels que "le décrochage scolaire" ou "les troubles du sommeil".

Autre signe d'alerte : les enfants auteurs de harcèlement montrent peu de compassion envers les autres. "Ils ont une empathie en sommeil, à développer, remarque Mathilde Zrida. Dans notre société, c'est quelque chose qui doit s'apprendre." Alors que le ministre de l'Education, Gabriel Attal, a justement annoncé la mise en place de cours d'empathie dans les petites classes, cette art-thérapeute milite pour que "tout le climat scolaire, les adultes, soit dans une dynamique d'empathie". 

Forte de son expérience, Nicole Sacagiu, à la tête de l'association "Parle, je t'écoute", remarque que l'enfant harceleur a souvent vécu une expérience traumatisante. Elle cite le cas d'un jeune qu'elle a suivi, dont "le papa était décédé" et "la maman seule avec trois enfants". "Il était l'aîné et a eu moins d'attention. Il a donc exprimé sa souffrance par un comportement agressif envers les autres. De manière inconsciente, c'était comme un appel à l'aide." Selon un rapport (document PDF) de l'Unicef publié en 2019, les enfants "bénéficiant d'un plus grand soutien familial" sont "moins susceptibles d'être victimes d'intimidation ou d'intimider" les autres. 

Si je n'ai détecté aucun signal, cela veut-il dire qu'il a un comportement irréprochable ?

Non. Il n'existe pas de profil-type du harceleur et le comportement à la maison reste différent de celui à l'école. "Le harceleur a souvent un double visage, donc les signaux sont difficiles à déceler", souligne Jean-Luc Robert. Contrairement aux idées reçues, il est "charismatique" et n'est pas forcément le cancre de la classe, ajoute le psychologue. Il peut avoir été harcelé par le passé, "mais ce n'est pas le cas le plus fréquent". Pour Mathilde Zrida, les parents ne doivent pas se sentir coupables.

"La culpabilité immobilise. Si on a un enfant auteur de harcèlement, cela ne veut pas dire qu'il est un monstre, ou que l'on est un mauvais parent."

Mathilde Zrida, art-thérapeute pour l'association "Marion la main tendue"

à franceinfo

En l'espace de quatre ans, l'association "Parle, je t'écoute" n'a accompagné qu'une dizaine de harceleurs. Il y a des parents pour qui demander de l'aide est difficile, car la réalité est dure à assumer, mais aussi ceux qui sont "complètement dans le déni et qui pensent que leur enfant est un ange", souligne Nicole Sacagiu. Mon enfant, un tyran ? Peu se l'imaginent. Il s'agit là d'un "impensé social" pour de nombreux adultes, surtout dans les milieux aisés, analyse Johanna Dagorn. Celle qui a étudié le mécanisme de l'exclusion dans trois collèges favorisés se souvient d'une phrase prononcée par des parents : "Impossible, mon fils est premier de la classe". Mais aussi d'une autre, plus violente encore : "Du moment que ce n'est pas lui la victime…"

    Pour cette sociologue, il faut impérativement sortir des "logiques de compétition" à l'école. "Plus on est dans un système compétitif, avec son lot d'inégalités, plus il va y avoir du harcèlement et de la violence", juge Johanna Dagorn. Les familles elles-mêmes s'intéressent souvent bien plus aux notes qu'au climat scolaire dans lequel évolue leur enfant. "'Comment tu te sens à l'école ? Est-ce qu'il y a des camarades que tu apprécies ? D'autres moins ?' En plus de poser ces questions, un parent doit connaître le nom des élèves de la classe de son enfant", estime Jean-Luc Robert.

    Que faire concrètement si je me rends compte que mon enfant est auteur de harcèlement ?

    Si votre enfant harcèle ses camarades, il faut d'abord l'écouter et lui faire comprendre la gravité de ses actes, sans le condamner. "On peut lui demander en quoi [sa victime] le dérange et ce qui l'a poussé à l'embêter", suggère Mathilde Zrida. "On remet la victime au milieu de la situation. Généralement, il n'y a pas d'intentionnalité" de faire du mal, "surtout chez les plus petits", ajoute Johanna Dagorn. Il s'agira ensuite de poser un cadre en choisissant une sanction adéquate, éducative, "qui a du sens" pour limiter les risques de récidive, estime Mathilde Zrida. "Si on souhaite le punir de téléphone, l'enfant doit avoir la perspective qu'il y aura accès sous certaines conditions. A partir d'une certaine heure, on peut, par exemple, le ranger dans un panier", illustre Jean-Luc Robert.

    "L'enfant doit sentir qu'on peut le pardonner et qu'on lui donne la possibilité de changer, même s'il est puni."

    Jean-Luc Robert, psychologue

    à franceinfo

    Faire suivre votre enfant par un psychologue reste une étape cruciale pour le faire travailler sur lui-même. Il existe de nombreux professionnels spécialisés dans les troubles de l'enfant, mais aussi des associations comme "Marion la main tendue" ou "Parle, je t'écoute", qui proposent d'accompagner les élèves auteurs de harcèlement, ainsi que leurs parents. Vous pouvez en outre proposer à votre enfant des séances de sophrologie "pour l'apaiser", conseille Mathilde Zrida. 

    S'excuser auprès de l'élève harcelé et de ses parents n'est pas forcément une bonne idée à chaud. "Pour la victime, cela peut être d'une grande violence d'être mis à côté de son harceleur. Il faut qu'elle soit prête avant tout", rappelle Nicole Sacagiu. Pour Mathilde Zrida, la démarche peut passer par une lettre, que l'on "donne à l'école qui agit comme médiateur". Jean-Luc Robert ajoute que, pour un élève harcelé, savoir que "tout le monde reconnaît qu'il est une victime fait un bien fou pour se reconstruire". "Les parents des harcelés, il ne faut pas oublier qu'ils sont, eux aussi, blessés", souligne le psychologue.

    Dans tous les cas, prendre en charge votre enfant le plus tôt possible ne peut être que positif pour la suite : il s'agit d'une part de protéger ses victimes, d'autre part de le protéger d'un avenir chaotique. Johanna Dagorn souligne que "les risques sont beaucoup plus importants de devenir délinquant à l'âge adulte quand on a été harceleur".


    Vous êtes victime de cyberharcèlement ? Vous avez été témoin d'une situation de harcèlement scolaire ? Si vous avez besoin d'une aide directe, ou que vous êtes inquiet pour l'un de vos proches, des numéros de téléphone gratuits et confidentiels ont été mis en place pour répondre à vos questions : le 3020 (consacré au harcèlement) et le 3018 (dédié au cyberharcèlement).

    Vous pouvez aussi vous adresser à la direction ou un membre de l'équipe éducative de l'établissement dans lequel un cas de harcèlement est détecté. Vous trouverez enfin de nombreuses informations sur les manières de réagir sur le site du ministère de l'Education nationale.

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