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Violences sexuelles dans le patinage : pourquoi Roxana Maracineanu ne peut-elle pas limoger Didier Gailhaguet, le président de la fédération ?

Après les révélations d'agressions sexuelles et de viols, la ministre des Sports a demandé la démission du président de la fédération française des sports de glace. Mais, face à un Didier Gailhaguet inflexible, les pouvoirs de Roxana Maracineanu sont limités.

Article rédigé par franceinfo avec AFP - Alice Galopin
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La ministre des Sports, Roxana Maracineanu, s'exprime devant la presse, le 3 février 2020. (BERTRAND GUAY / AFP)

Il est au cœur de la tempête, mais ne fléchit pas. Didier Gailhaguet, le président de la Fédération française des sports de glace (FFSG), a été prié de démissionner. Une demande formulée par la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, lundi 3 février, après les récentes révélations de violences sexuelles dans le patinage, publiées par L'Equipe (article payant) et L'Obs.

La ministre des Sports estime que Didier Gailhaguet "ne peut se dédouaner de sa responsabilité morale et personnelle". Pas de quoi impressionner l'omnipotent président de 66 ans, qui s'est montré inflexible, refusant de s'exprimer sur la demande de la ministre. Mais pourquoi Roxana Maracineanu ne peut-elle pas écarter Didier Gailhaguet ?

Seule la fédération peut limoger son président

C'était le premier round d'un bras de fer qui s'annonce agressif. Didier Gailhaguet a été reçu lundi après-midi par la ministre des Sports pour s'expliquer notamment sur le maintien, dans les années 2000, de Gilles Beyer, l'un des entraîneurs soupçonnés d'agressions sexuelles et de violsA l'issue de plus d'une heure d'entrevue, Roxana Maracineanu a estimé qu'il existait un "dysfonctionnement général" au sein de la fédération, dirigée par Didier Gailhaguet depuis 1998 (avec une pause entre 2004 et 2007), et "lui [a] donc demandé d'assumer toutes ses responsabilités et de démissionner". 

Roxana Maracineanu n'a donc pas limogé le président de la FFSG, elle a formulé une demande. Une nuance qui a son importance puisque le ministère des Sports n’a pas le pouvoir de limoger un président de fédération. Cette structure est une association dont les statuts indiquent que c'est le conseil fédéral, organe exerçant une fonction de "surveillance et de contrôle", qui détient cette faculté. Il est composé de 31 membres issus du milieu du patinage, dont des représentants des ligues, mais aussi des athlètes, arbitres ou médecins licenciés. "Le conseil fédéral peut mettre fin au mandat du président et aux fonctions du bureau exécutif par un vote à la majorité des deux tiers des membres le composant", peut-on lire dans les textes officiels de la FFSG (PDF). 

Une enquête et des critiques

La ministre des Sports tente d'exercer une pression sur Didier Gailhaguet jusqu'à la rendre insoutenable. "Le cas de monsieur Gailhaguet, c'est simplement un président bénévole d'une association à qui on demande de prendre ses responsabilités, a-t-elle martelé au micro de franceinfo, mardi matin. S'il ne le fait pas, de toute façon, le ministère ouvre des enquêtes et va contrôler toutes les associations, tous les éducateurs qui ont été mis en cause dans les médias." La ministre a également indiqué qu'elle participerait à la création d'une "association de victimes", assurant que "leur prise de parole ne sera pas vaine". D'autant qu'après les révélations de la patineuse Sarah Abitbol, qui dit avoir été victime de l'entraîneur Gilles Beyer, le parquet de Paris a ouvert mardi une enquête pour viols et agressions sexuelles sur mineurs. 

Roxana Maracineanu peut capitaliser sur les nombreuses critiques formulées ces derniers jours à l'encontre du puissant président, déjà éclaboussé par plusieurs affaires durant ses mandats. "Didier Gailhaguet est omnipotent dans la fédération. Tout passe par lui. Il sait tout. Qu'il ne sache pas que ça soit allé jusqu'au viol ? Possible. Maintenant, il savait que Gilles Beyer avait des attitudes très discutables vis-à-vis des filles et des jeunes filles", a ainsi jugé Gwendal Peizerat, champion olympique de patinage et ex-candidat à la présidence de la FFSG contre Didier Gailhaguet en 2014, au micro de franceinfo.

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Pas de quoi faire trembler le président de la FFSG. "J'ai commis des erreurs, pas des fautes", s'est-il défendu après son entrevue avec la ministre. Face aux journalistes, Didier Gailhaguet a éludé les questions concernant une potentielle démission, se contentant d'indiquer qu'il allait y "réfléchir". Il a d'autre part annoncé la tenue d'une conférence de presse, mercredi après-midi. 

Le retrait de délégation, une "arme atomique"

Roxana Maracineanu dispose tout de même d'un atout considérable pour ébranler Didier Gailhaguet : le retrait de la délégation de service public à la FFSG. Une procédure qu'elle a lancée lundi et qu'elle avait qualifiée d'"arme atomique" ces derniers jours. Concrètement, le retrait de la délégation priverait la fédération de son rôle d'organisation des compétitions et de gestion des équipes de France. 

La délégation est négociée tous les quatre ans, au début de chaque cycle olympique, comme le prévoit le Code du sport. L'article R131-31 dispose qu'elle "peut être retirée par le ministre chargé des Sports", notamment en cas d'"atteinte à la moralité publique".

Nous allons, dans les quinze jours, demander à la fédération ce qu'elle a fait jusqu'à maintenant et ce qu'elle compte faire pour la suite.

Roxana Maracineanu

à franceinfo

Cette procédure intervient alors que les patineurs français doivent en principe disputer les prochains championnats du monde du 16 au 22 mars à Montréal, une compétition importante, à deux ans des Jeux olympiques d'hiver. Si la FFSG perdait sa délégation, c'est le comité national olympique français (CNOSF) qui prendrait la relève. La fédération pourrait également se voir privée de ses subventions publiques et devoir se passer des conseillers techniques sportifs (CTS) du ministère.

Ce retrait de la délégation est une mesure rare. En 2005, Jean-François Lamour, ministre des Sports de l'époque, avait utilisé ce levier contre la Fédération française des sports équestres (FFE) car elle ne s'était pas dotée d'un règlement disciplinaire relatif à la lutte contre le dopage, rapporte Le ParisienCette menace suffira-t-elle à faire plier Didier Gailhaguet ? "Comment je suis ? Je suis là, déjà. Vivant", a-t-il affirmé avec aplomb à la sortie de sa rencontre avec la ministre. Le président a convoqué un bureau extraordinaire de la fédération, mardi soir, pour "étudier ensemble la situation de très près, avec lucidité et responsabilité".

Prendre la "bonne" décision

A l'issue de cette réunion, il a déclaré qu'il "attendra les résultats de l'inspection générale mise en place par la ministre des Sports avant de prendre une décision sur une démission demandée" par Roxana MaracineanuDidier Gailhaguet donnera ainsi une "conférence de presse ce mercredi à 14 heures au siège de la fédération des sports de glace".

"Je ne mérite pas le traitement qui m'est apporté, et je saurai le démontrer", a toutefois martelé le président de la fédération. Roxana Maracineanu n'en démord pas, la démission de Didier Gailhaguet est la seule issue. "A mes yeux, il n'y a qu'une seule décision à prendre et j'invite le comité directeur qui se réunit (...) à prendre la bonne", a-t-elle déclaré sur franceinfo.

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