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Violences conjugales : l'Ordre des médecins favorable à la levée du secret médical sous certaines conditions

Le Conseil national de l'Ordre propose qu'un médecin puisse déroger au secret professionnel "lorsqu'il a l'intime conviction que la victime majeure est en danger immédiat et qu'elle se trouve sous l'emprise de leur auteur".

Article rédigé par franceinfo - Jean-Loup Adenor
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49 personnes avaient manifesté contre les violences faites aux femmes à Paris le 23 novembre 2019. (JEROME LEBLOIS / HANS LUCAS)

La mesure faisait débat, l'Ordre des médecins a finalement tranché. Une "très large majorité" des membres du Conseil national de l'Ordre a décidé de soutenir une "évolution" du secret médical en France, annonce l'institution dans un communiqué diffusé mercredi 18 décembre. L'objectif : accompagner une proposition issue du Grenelle sur les violences faites aux femmes visant à permettre au médecin de signaler des cas de violences conjugales sans l'accord de leur patiente. Une dérogation, donc, à la règle du secret médical, pour protéger les femmes sous emprise exposées à des compagnons violents.

L'Ordre des médecins propose d'ajouter aux règles d'exception au secret médical, disposées par l'article 226-14 du Code pénal, le cas de figure suivant : "Les violences exercées au sein du couple relevant de l'article 132 -80 du présent code, lorsqu'il a l'intime conviction que la victime majeure est en danger immédiat et qu'elle se trouve sous l'emprise de leur auteur." Deux conditions sont donc retenues : que la victime soit dans une situation de danger immédiat et qu'elle se trouve sous l'emprise de l'auteur des violences.

La recommandation du Conseil de l'Ordre prévoit également que le médecin recherche d'abord l'accord de la victime. "En cas d'impossibilité d'obtenir cet accord, il doit l'informer du signalement fait au procureur de la République", poursuit le communiqué. L'Ordre des médecins se prononce pour la désignation d'un procureur dédié au violences conjugales, "à qui les signalements des médecins pourraient être adressés", une façon de "renforcer l'accompagnement des victimes".

"C'est plutôt un gros coup de communication"

La position du Conseil de l'ordre n'allait pas de soi, tant la proposition a soulevé inquiétude et protestations chez de nombreux médecins. "On sort du chapeau une fausse bonne mesure", estimait notamment Gilles Lazimi, professeur en médecine générale à Sorbonne Université et militant associatif membre de SOS Femmes 93 et du Collectif féministe contre le viol. "On déplace la responsabilité des féminicides et des violences faites aux femmes sur les médecins, pour empêcher de voir l'inefficacité de la police, le fait que les plaintes ne soient pas instruites, le fait que les femmes ne soient pas protégées", fustigeait-il.

Une opinion partagée par le collectif féministe #NousToutes, qui considère cette mesure inefficace voire dangereuse. "La relation de confiance est centrale dans la question des violences faites aux femmes. Si on veut que les femmes parlent, il faut qu'elles se sentent en sécurité pour parler, dans un espace de confiance", rappelle Madeline da Silva, qui fait partie du collectif. Plus grave encore, la jeune femme craint que des signalements non désirés puissent mettre en danger les femmes victimes de violence. "Aujourd'hui, le problème c'est que le système est défaillant. Si on signale une femme victime et que rien n'est fait, elle peut se retrouver en situation de plus grand danger", prévient-elle.

Deux tiers des femmes qui sont mortes en 2015 avaient porté plainte. Aujourd'hui, on ne questionne pas le système, on ne sait pas accompagner ces femmes.

Madeline da Silva

à franceinfo

D'autant que #NousToutes ne manque pas de rappeler que des dispositions similaires existent déjà dans la loi et notamment la possibilité pour le médecin de lever le secret médical lorsqu'il est confronté à un danger de mort. "C'est plutôt un gros coup de communication qu'une mesure efficace. Encore une fois, on ne regarde pas au bon endroit. On préfère les mesures législatives qui ne coûtent rien plutôt que voir tout ce qu'il y a à faire du côté de l'accompagnement et de l'hébergement", estime Madeline da Silva. Lundi, le Collège de la médecine générale (CMG) s'était, lui aussi, dit inquiet d'une telle mesure, l'estimant "inutile" et "contre-productive".

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